Des pommes et des oranges ne sont pas, à proprement parler, un sujet d’une originalité folle, au mieux des petites sphères de couleur qui embaument, évoquent parfois des jardins normands ou des pays sucrés, et pourtant, lorsque Cézanne s’en empare, et peint sa Nature morte aux pommes et aux oranges (1895-1900), on est soudain émerveillés, on redécouvre la beauté des choses banales, on se sent vivant ; eh bien il en est de même avec l’apparent sujet classique du très beau texte* de Valérie Zenatti qui nous embrase avec l’histoire de Jacob, de sa famille, de sa mère Rachel, Jacob ainsi nommé à cause de son frère mort, lequel se prénommait aussi Jacob, Jacob, qui possède une voix de velours et la beauté des innocents, Jacob, juif de Constantine, enrôlé en juin 44 pour libérer la France, et qui va découvrir la crasse de la guerre, celle, plus forte encore, de l’éloignement de ceux qu’on aime, et qu’on perd, inexorablement, Jacob qui va deviner l’amour dans sa beauté éphémère, son absence de promesses, dans le ventre doux d’une Louise qui s’appelle en réalité Léa et qui, comme un contemporain de Cézanne, n’a plus qu’une oreille, Jacob bouleversé, Jacob bouleversant, ange de 19 ans, parti comme tant d’autres, comme trop d’autres, tuer du Boche pour les français, mais que la grâce de l’écriture de Zenatti rend absolument unique avec ses belles phrases longues, longues, comme une plainte d’amour.
* Jacob, Jacob, Valérie Zenatti. Editions de l’Olivier. En librairie depuis août 2014. Prix Méditerranée 2014 – où j’ai eu l’honneur d’être juré.