Archive | juin, 2016

Interdit de Casino.

Librairie Passion Culture Orléans

L’une des plus belles librairies de France, dirigée par Sylvie Champagne, une femme passionnée, brillante, animée par des libraires passionnantes vient de fermer parce que le Groupe Casino (celui dont la fondation prétend « aider les enfants à accéder aux bienfaits de la culture ») augmente les charges à un tel niveau qu’une librairie ne peut pas suivre.
Tuer la culture, c’est détruire des rêves. C’est empêcher des vocations, des envols et ces rencontres qui peuvent changer une vie. Alors, en signe de protestation, je me suis fait interdire de Casino.

Crise cardiaque.

C’est La Sirène rouge que j’ai pris dans la gueule, d’abord. Un « Léon » sans la mièvrerie. Puis Les Racines du mal, un second uppercut, comme au temps où je découvrais Selby Jr. Après, on m’a dit qu’il était devenu fou, savant, génial, catholique, canadien, robot, réactionnaire, royaliste, techno-philosophe. Et maintenant, on me dit qu’il est mort. Les gens disent n’importe quoi.

Un vieux couple jeune.

Karine Lambert

Voici un livre doux comme une infusion de camomille avec une couche de miel au fond de la tasse, un texte léger comme un parfum de lavande dans le coin d’un tiroir, un pot-pourri aimable – un de ces livres vraiment gentils comme on n’en écrit plus.
Karine Lambert, dont j’avais bien aimé le premier roman, L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes*, une histoire constantinienne, nous raconte ici la rencontre entre Marguerite Delorme, dite Maguy, de Maisons-Laffitte, soixante-dix-huit ans, veuve d’Henri, notaire, et Marcel Guedj, venu du Bled en 54, veuf de Nora, noyée suite à une crise cardiaque, âge non précisé, mais plus jeune que Maguy – « Une cougar à Maisons-Laffitte ! » (page 243).
Une rencontre délicieuse, concoctée comme un macaron à la rose de chez Ladurée (ou un Céleste de chez Hermé, comme vous voulez) ; un petit conte charmant qui laisse rêver d’autres fins possibles à nos parents et grands-parents que l’Ehpad promis depuis dix ans par votre député, ou la maison de retraite du coin (à ce propos je vous invite à revoir le fabuleux et formidablement irrévérencieux sketch d’Ettore Scola, Comme une reine).
Eh bien dansons maintenant !** démontre, s’il en était encore besoin, que le cœur n’a pas de rides, le désir pas d’âge, et que des corps qui sont encore touchés, encore aimés, vivent plus longtemps et beaucoup plus heureux.
Alors, à l’heure où l’espérance de vie est (soi-disant) plus longue d’un trimestre par an, il est réjouissant de penser, comme Karine Lambert, qu’après une très très longue histoire d’amour, il peut y en avoir encore une autre – et peut-être même encore plus belle, mais chut !.

*L’immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes, Karine Lambert. Éditions Le livre de Poche.
** Eh bien dansons maintenant !, Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie depuis le 4 mai 2016.

Selon Marie-Laure.

Marie-Laure Isoz

Yverdon-les-Bains. Ravissante commune suisse du canton de Vaud, située dans le district du Jura-Nord vaudois. On y vient pour ses cures thermales, son musée de la science-fiction et surtout sa librairie Payot où j’ai eu, l’an dernier, la joie d’être reçue par une jeune libraire passionnée, Marie-Laure Isoz.
Voici ses cinq grands coups de cœur qui vous donneront des idées pour la plage, dans quelques semaines.

La fille de l’hiver, d’Eowyn Ivey (Fleuve Noir, 2012, 10/18, 2013).
Cet ouvrage représente beaucoup pour moi ; outre sa propre histoire, il fait partie de mon aventure de libraire… J’avais le choix entre bien des romans, pourtant ce fut celui-ci que je présentai à l’un de mes examens, voilà un peu plus d’un an. Visiblement, il aura convaincu mes professeurs…
Son histoire nous livre celle de Jack et Mabel, un couple qui tente de guérir de la perte de leur enfant en fuyant dans les plaines glacées de l’Alaska. Cependant, au lieu de les rapprocher, l’impétueux climat va les renfermer chacun dans sa solitude.
Jusqu’à un soir…
Une étincelle, un désir. Un jeu. Une petite fille de neige à qui l’on prête une écharpe, des gants. Si belle qu’elle pourrait presque être vivante…
Seulement presque ? La mystérieuse apparition qui joue dans l’ombre des arbres n’est-elle qu’un fantôme, une illusion ? Qui est donc cette enfant, qui semble venue de nulle part ? La suite vous le dira…

Et puis Paulette… de Barbara Constantine (Calmann-Lévy, 2012, Le livre de poche, 2013).
Un roman si simple, mais pourtant si doux ! La plume espiègle, Barbara Constantine nous entraîne dans une valse parfois un peu maladroite, mais où la tendresse et l’émotion nous caressent l’âme à chaque page.
Dans ce récit, celui qui m’a fait découvrir l’auteure et fredonner une semaine durant la chanson qui lui est fatalement consacrée, l’on va apprendre à connaître Ferdinand, un retraité un peu seul qui s’ennuie dans sa ferme trop grande. Jusqu’au jour où il accueille sa voisine, Marceline, qui a le malheur de voir son toit trop abîmé pour continuer à vivre chez elle.
N’en déplaise à Ferdinand, la venue de la gentille veuve un peu décalée ne sera pas de trop pour égayer son quotidien, surtout quand elle sera suivie d’une ribambelle d’autres nouveaux venus tous plus cocasses et attachants les uns que les autres !
Et puis, bien sûr, il y aura Paulette…

Journal d’hirondelle, d’Amélie Nothomb. (Albin Michel, 2006, Le Livre de Poche, 2008).
Une auteure que j’ai découverte avec ce titre et qui d’emblée m’a autant bouleversée qu’amusée…
Un jeune homme, suite à un chagrin d’amour, ne ressent plus rien. Ni plaisir, ni émotions ; le néant. D’abord perplexe devant cette absence de ressenti, il décide de la mettre à profit et devient tueur à gages.
Amené à assassiner une famille entière, il découvre sur place le journal intime d’une jeune fille. Touché par la volonté farouche qu’elle avait employée à le protéger, il s’en empare et le garde en sa possession. Sauf qu’il n’est visiblement pas le seul à désirer le détenir…
Aussi furtif et léger que l’envol d’une hirondelle, ce roman, qui fut le premier d’une longue lignée, reste ancré dans ma mémoire en la vision d’une plume douce et caressante…

Le pacte des vierges, de Vanessa Schneider, (Stock, 2011).
Suite à la présentation d’un autre de ses ouvrages intitulé « Le jour où tu m’as quittée » dans l’émission Marque-Page, j’ai désiré en savoir un peu plus cette auteur. Inspiré d’un fait divers, ce roman, très court, a pourtant été une très belle rencontre, et les voix de toutes les héroïnes m’accompagnent encore parfois au quotidien…
Dix-sept jeunes filles, toutes encore au lycée, se retrouvent enceintes. De plus, il semblerait que leurs grossesses aient été désirées tout autant que calculées dans le temps afin que les enfants viennent au monde en même temps.
Intriguée par ce curieux fait divers, une journaliste vient interroger quatre d’entre elles. L’une après l’autre, les futures mamans se confient ; entre rires et larmes, l’on découvre des femmes autant que des enfants, certaines terrorisées et d’autres confiantes, qui chuchotent à nos yeux de lecteurs des miettes d’elles-mêmes, des fragments de secret. Un véritable petit trésor…

Les filles de l’ouragan, de Joyce Maynard (Philippe Rey, 2012, 10/18, 2013).
Conseillé par une ancienne collègue libraire, il fut le roman qui me fit découvrir une auteure qui aime à donner à chacune de ses histoires un goût de liberté et d’espoir, en nous faisant découvrir une Amérique un peu nostalgique mais au charme inaltérable.
Une tempête va lier à jamais deux familles que pourtant tout opposait. Deux petites filles qui grandissent en parallèle, une rêveuse et une scientifique, pourtant unies dans un même combat ; exister.
Leurs chemins vont longtemps ne faire que se croiser ; jusqu’au jour où ils se rassembleront pour ne faire qu’un, dévoilant ainsi le tempétueux secret qui aura lié leurs familles tout au long de leurs vies respectives.
Un roman puissant, à la force brut, un roc dans la tempête.

Rentrée littéraire 2016 – déjà.

Après la magnifique rentrée littéraire 2015 qui vit les Renaudot et Goncourt des Lycéens attribués à « D’après une histoire vraie » (Delphine de Vigan), l’énorme succès des « Gens dans l’enveloppe » (Isabelle Monnin), et l’accueil épatant fait à Crans-Montana (Monica Sabolo), revoici Lattès avec quatre romans français, et surtout une nouvelle et très belle direction artistique.
Je viens de les recevoir (merci Philippe). Je les lis et vous tiens au courant.

Lattès rentrée 16

La fille de Brooklyn et le fils de Guillaume.

Musso1

La fille de Brooklyn* possède, selon la quatrième de couverture, une « intrigue diabolique, personnages uniques et attachants (…) » et précise que « Guillaume Musso signe l’un de ses romans les plus ambitieux et les plus réussis ».
Pour être dans la réclame depuis trente-cinq ans, je sais le poids de ces mots-là, mais pour avoir lu le livre, je sais aussi qu’outre cette incroyable histoire autour de la fille de Brooklyn, c’est la place du fils de Guillaume qui m’a touché.
Je m’explique.
Depuis que ses livres sont dédiés « à Ingrid » et maintenant « à Nathan », la paternité semble inspirante et prépondérante dans l’œuvre de Guillaume.
Elle lui valent des lignes magnifiques : Perdre son enfant est un chemin de croix perpétuel, une déchirure que rien ne pourra recoudre. Chaque jour, tu crois avoir atteint le pire, mais le pire est toujours à venir. Et le pire, finalement, qu’est-ce que c’est ? Ce sont les souvenirs qui se fanent, qui s’étiolent et qui finissent par disparaître (page 453).
Dieu merci, il semble que le fils de Guillaume aille parfaitement bien, mais cette crainte qu’un jour ce qui arrive dans ses livres lui arrive réellement est bouleversante : La paternité m’avait rendu parano, comme si les histoires de meurtres et d’enlèvements que je mettais en scène dans mes polars pouvaient contaminer ma vie familiale (page 33).
D’ailleurs, le métier d’écrivain de Guillaume est très présent dans ce quatorzième opus. Il semble nous livrer des choses, comme les indices d’un thriller : L’engouement des lecteurs pour le polar m’avait fait vivre une décennie fabuleuse au cours de laquelle j’avais intégré la confrérie restreinte des auteurs qui pouvaient vivre de leur plume. Chaque matin en m’asseyant à ma table de travail, je savais que j’avais cette chance que des gens partout dans le monde attendent la sortie de mon prochain roman (page 27).
Alors bien sûr, il y a des surprises dans cette nouvelle histoire, des rebondissements, des MacGuffin ; il y a ce Tribeca dont semble être amoureux l’auteur, tout cet exotisme américain ; il y a des méchants et des désespérés ; il y a cette fille qui n’a vraiment, mais alors vraiment pas de bol ; mais surtout, il y a l’immense joie de la paternité de Guillaume qui affleure, et qui, pour moi, emporte tout.

*La Fille de Brooklyn, Guillaume Musso. Éditions XO. En librairie depuis le 23 mars 2016.

Toute première fois /Toute toute première fois.

Nicolas Rey

Toute première fois /Toute toute première fois. Ah, Jeanne Mas, de son vrai nom, Jeanne Mas. Elle devrait, comme Nicolas Rey, Philippe Jaenada, Éliette Abécassis, Philippe Besson et d’autres, rejoindre la magnifique collection jubilatoire Incipit, de chez Steinkis, construite autour des « premières fois ». Les premiers Jeux Olympiques. Le premier Festival de Cannes. Le premier malade du sida. Les premiers congés payés.
C’est ce dernier que je viens de lire – sans doute parce que l’actualité française prône de ne plus travailler, de passer la nuit debout, et d’attendre des sous, beaucoup de sous, de Très Généreux Normal Ier.
Les délices de 361, écrit par Nicolas Rey, racontent ce moment joyeux, en 1936, où la France ouvrière découvre le train qui mène à la mer, « c’est vrai que la mer, c’est un peu décevant. C’est juste beaucoup d’eau au fond, non ? » (page 40), les décapotables des riches, et les jolies filles de treize ans des bourgeois et des patrons (que deux jeunes écervelées rêvent aujourd’hui de pendre sous le Pont d’Avignon), et plus tard, le tennis.
Et cet été là, dans l’idée folle qu’on allait pour la première fois être payé sans travailler, Nicolas Rey raconte une autre première fois : celle de Marius, fils d’ouvrier, et d’Emma, fille de, (à peine trente ans à eux deux), un premier amour solaire, mais brûlant à l’arrivée, comme un méchant coup de soleil qui incendie la peau, les yeux et le cœur.
Les délices de 36 portent dans leur titre le nom qui les définit le mieux. Croyez-moi.

1.Les délices de 36, de Nicolas Rey, éditions Steinkis, collection Incipit. En librairie depuis le 1er juin 2016.
Un très grand merci à Moïse Kissous pour m’avoir offert ces deux livres, et à Ambre Rouvière pour ne pas désespérer de parvenir à me faire écrire une « première fois ».

Les Nourritures terrestres*.

DeDebauve et Gallais.auve

Trois livres lus ces derniers jours (deux français, un américain), mais aucun d’eux ne me donne envie d’un partage avec vous. Heureusement, il y a bien d’autres gourmandises que les mots bien alignés sur des pages blanches : il y a les chocolats de chez Debauve et Gallais* par exemple, bien alignés sur des petits plateaux, comme autant de courts chapitres sur le bon goût, le plaisir, la surprise, l’inattendu, l’audace, la jouissance ; le tout orchestré à la manière d’un roman de Serge et Anne Golon : « Nous sommes en 1779. La reine Marie-Antoinette, accablée par de douloureux maux de tête, rechigne à prendre ses médicaments dont le goût la révulse. Sulpice Debauve décide donc d’innover : le pharmacien mélange le remède à du beurre de cacao. Cette savoureuse invention comble Marie-Antoinette qui baptise ces médaillons en chocolat Pistoles. Le premier chocolat à croquer est né ».
Et quand vous vous souviendrez que le chocolat – préférez ici les grosses bouchées qui inondent la bouche de saveurs – sont anti-stress, bons pour le cholestérol, anti oxydants et diminuent la tension artérielle, vous aurez probablement envie de les déguster en compagnie d’un bon livre.

*Merci André.
**Debauve et Gallais. Chocolatier depuis 1800. À Paris, 33 rue Vivienne et 30 rue des Saints Pères.