De tous les très beaux chapitres du livre* de Flavie Flament, il en est un qui me semble parfaitement résumer son propos, il est intitulé Ça mord !, page 227.
On y voit Flavie, à peine quinze ans, « dans son ciré trop grand troué aux poches, bottes au pieds », elle a esché son hameçon d’une crevette grise, elle a lancé sa ligne au milieu des pêcheurs hilares, elle est près de son père, plus loin son petit frère fait le guignol, et soudain, ça y est, ça mord !, le silence se fait, les pêcheurs s’approchent, curieux, et là où on s’attend à un petit éperlan, c’est un bar qui apparaît, un gros bar, magnifique, « du jamais vu au bout de la digue », et pour la seconde fois du livre, et sans doute de son enfance, Flavie crie de joie.
La petite crevette grise, c’est elle.
Le bar, les hommes.
Et la pêcheuse, sa mère.
La plus grande violence faite à l’enfance de Flavie, c’est sa mère.
Sa mère, fumeuse de Gitanes, buveuse de kirs, un joli sourire, un ennui abyssal dans sa petite vie contentinaise, et qui fait de sa petite un hameçon pour alpaguer les hommes – c’est le terrible chapitre Aux Champs-Élysées (page 159) lesquels n’ont soudain plus rien de la légèreté d’une aimable chanson de Dassin.
Cette mère qui laisse les bars dévorer le petit hameçon, qui ferme les yeux, qui encourage même, et l’offre : « À 14 heures, elle a viol » (page 121).
Un viol. Un Polaroïd.
Flavie nous livre le drame de son enfance, sans violence, sans haine, presqu’en douceur.
Elle ouvre pour nous l’album de son chagrin. Elle nous dévoile quelques images. On reconnaît, sans qu’elle ait besoin de le nommer, le prédateur, « le grand photographe connu, reconnu ». On découvre une jolie gamine qui voulait juste voir sa maman sourire. On assiste à l’éclosion d’une adolescente qui veut enfin croire que le bonheur « c’est possible ».
Ceux qui rechercheront les potins en seront pour leurs frais. La Consolation est le livre d’une femme rescapée, en vie, doublée d’un véritable écrivain.
Il est un règlement de paix que s’offre Flavie, au terme d’un long combat avec tous ses fantômes. Il est un enfin cadeau qu’elle fait à toutes les gamines comme elle abusées, emmurées dans les silences.
Ouvrir ce livre, c’est laisser leur parole s’envoler.
*La Consolation, de Flavie Flament. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie ce matin.
PS. Six semaines après la parution du livre, le photographe David Hamilton, 83 ans, jamais cité dans le texte, mais accusé plus tard à la télévision par Flavie Flament d’être son violeur, se suicide. Il est retrouvé mort ce vendredi 25 novembre à son domicile parisien, selon des sources policières, confirmant une information d’Europe 1.