Alors bien sûr, quand on voit la couverture, qu’on lit le titre, puis la quatrième, laquelle annonce une histoire de clodos, de clopinardes, on change de cap, on tourne la tête, on baisse les yeux, comme quand on en croise un vrai, et on passe, sans le savoir, et c’est rudement fâcheux, à côté d’une merveille. La Rue est mon royaume* est une merveille. Un livre inattendu, une grande baffe dans le cœur, costardée d’une d’écriture fabuleuse qui n’est pas sans me rappeler celle d’Un Singe en hiver, et tiens, puisque j’en jase, dans le roman de Bénédicte Froger-Deslis, il y a la même folie de vivre que dans l’histoire de Blondin, les mots d’Audiard, ces mêmes chagrins qui tintinabulent dans le cœur, ces mêmes alcools qui font pousser les ailes et cette même tendresse qui fend les mers, toutes les armures. La Rue est mon royaume est l’un des bouquins les plus tisonnants, qu’il m’a été donné de savourer depuis quelques temps, qui me « contente », comme dirait son héroïne. Un babillard bien loin de certaines chochotteries littéraires qu’on croise parfois dans les salons de thé ou du livre – notamment à l’aube d’une Rentrée Littéraire ; ici, tout est puissant, odorant, transperçant ; ici, une putain d’histoire d’amour, comme disait l’autre ; une chute fabuleuse, vertigineuse et virtuose, entre Léa l’écrivain et Hugues le corsaire, une passion comme on en lit si peu, une vertigineuse remontée d’apnée.
La Rue est mon royaume ne sort pas d’une grande maison mais d’un éditeur sis à Pointe-Noire (Congo) et il est avéré que la critique est passée à côté, n’a pas vu ce qu’il y avait sous la couverture et du coup, vous a privé d’un choc, d’un retournement du cœur, d’une belle humanité. Mais il n’est jamais trop tard.
*La Rue est mon royaume, de Bénédicte Froger-Deslis. Éditions Les Lettres Mouchetées. En librairie depuis septembre 2016. (Le titre « Illumine les vivants » vient de la page 452).