Archive | mai, 2018

Est-ce ainsi que les hommes meurent ?

Mathieu Menegaux 3

Ses deux premiers romans* étaient pour moi de magnifiques héritiers de ces textes et films noirs des années 50, certes remis au goût du jour, mais qui possèdent assidûment cette particularité de croire au bien et au mal en tant qu’ils sont les deux seuls éléments sérieux capables de définir un personnage. Ainsi fabrique-t-on les héros.
Rebelotte avec Est-ce ainsi que les hommes jugent ?** qui aurait pu porter le titre d’un film d’Hitchcock, Le faux coupable, ou de Fritz Lang, Chasse à l’homme : l’histoire de Gustavo Santini, accusé de tentative d’enlèvement sur une petite fille de treize ans et d’homicide sur la personne du père de la petite fille.
Mathieu Menegaux, avec la rouerie d’un grand scénariste, nous entraîne dans cette broyeuse policière qui débarque toujours à l’aube, à l’heure des réveils, des petits déjeuners en famille, juste avant l’école, avant le boulot. Il nous jette malicieusement dans cet enfer, là où tout ce qu’on dit peut être retenu contre nous, et nous y maintient en apnée jusqu’à l’inculpation de Gustavo. Ou non.
Mais c’est après que les choses deviennent vraiment terrifiantes.
Quand la meute décide de fabriquer un criminel, quand elle s’affranchit de la justice des hommes pour imposer celle de la rumeur.
Et qu’elle devient à son tour criminelle.

*Je me suis tue (2015) et Un fils parfait (2017), chez Grasset.
**Est-ce ainsi que les hommes jugent ?, de Mathieu Menegaux. Éditions Grasset. En librairie depuis le 2 mai 2018.
(Le titre de cette chronique est emprunté à Gérard Manset).

 

Pour une fois que je n’ai pas à chercher un titre.

Valérie Gans

Sans titre, c’est le titre qu’on trouve parfois en bas à droite d’un tableau parce que, s’il a été inspiré par le sujet, les couleurs, la technique, le peintre ne l’a pas forcément été pour les mots. Contrairement à Valérie Gans qui nous en régale dans son nouveau livre qui a justement pour titre Sans titre*, puisque son histoire se déroule dans le milieu de l’art, des marchands d’art et des artistes, des génies et des margoulins.
Mais au delà de cet épatant décor, ce que Valérie (dé)peint à merveille, c’est l’âme humaine, ses tourments, sa capacité à se défaire de son humanité justement. Sans titre est une fresque joyeuse, un réel entertainment comme Douglas Kennedy, notamment dans Les désarrois de Ned Allen, le manie si bien, sur nos bassesses et nos grandeurs, sur notre art de survivre, même au détriment des autres, même au détriment parfois de l’amour. Cruel et jubilatoire !

*Sans titre, de Valérie Gans. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie depuis le 4 avril 2018.

Revol-ution.

Revol 2

Le 12 avril 1961, la Russie envoyait le premier homme dans l’espace. Youri Gagarine. Il fit la première révolution autour de la terre à bord du Vostok. Le vol dura 1 heure 48.
Il fallait le talent et l’audace d’Anne-Marie Revol pour nous raconter cette révolution*, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la mort (à 34 ans) d’un héros de 1 m 58 qui changea à jamais l’histoire de l’espace et rendit toute sa fierté à une grande nation, alors en pleine guerre froide.
Avec dix chapitres formidablement bien troussés, comme dix points de vues, dix poings, chacun porté, dans une année différente, par un personnage différent, Anne-Marie fait une autre révolution autour de cet homme hors du commun : celle de convoquer la poésie de la littérature auprès de l’exactitude de l’histoire pour nous faire nous approcher au plus intime de la fabrique d’un héros.
Embarquez à bord de L’Étoile russe, c’est un voyage vertigineux.

*L’Étoile russe, de Anne-Marie Revol. Éditions Lattès. En librairie depuis le 14 mars 2018.

 

 

#surtoutparle

surtoutparle 2
C’est marrant : les journaux font leurs choux gras de n’importe quelle rumeur depuis l’affaire Weinstein mais passent sous silence le mal fait à bon nombre d’enfants, et surtout la crapuleuse impunité dont jouissent les coupables qui font une interprétation bien licencieuse de Matthieu, verset 19-14 : Laissez venir à moi les petits enfants, protégés qu’ils sont par l’Église et son système d’exfiltration digne de la série 24 ; alors merci à Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse d’avoir été au bout de cette enquête* passionnante, dérangeante, si triste, et trop peu médiatisée.

* Église La mécanique du silence, de Daphné Gastaldi, Mathieu Martinière et Mathieu Périsse. Éditions Lattès. En librairie depuis le 22 mars 2017.

Roman(tique) noir.

de moras calderon
Il y a du Maurice et Leblanc chez Calderon et De Moras.
Il y a cet art de mêler roman noir et romantisme (on se souviendra de l’inoubliable Comtesse de Cagliostro dudit Leblanc), ce don de mélanger l’Histoire et l’histoire, l’ésotérisme et l’évidence, l’alchimie et le bon sens. Bref ; ces deux là, amis depuis l’enfance, l’un mathématicien l’autre scénariste, nous offrent, trois ans après l’épatant La prétendue innocence des fleurs, une histoire* dans laquelle, comme disait Françoise Sagan, on ne sait jamais ce que le passé nous réserve.
Le passé, ce sont ces morts qui reviennent. Ces corps morts en fait, charriés par une terrifiante inondation (inspirée de celle de Nîmes en septembre 2002 et qui emporta, entre autres, le cercueil du père de l’un des deux auteurs) et font s’interroger les vivants, douter de leur version de la vie.
Le présent, selon Calderon et De Moras, est une réplique du passé, comme il y a des répliques aux tsunamis ou aux histoires d’amour. À propos de l’amour, ils ont, je ne sais plus à quelle page, cette phrase fabuleuse : « L’amour est la solution aux problèmes qu’il pose ».
En ce sens, l’amour est aussi toujours l’assassin.
Car c’est de cela dont il s’agit.
Là où rien ne meurt est un formidable romantique noir, comme le père de Lupin savait les écrire, comme on aime à les retrouver aujourd’hui – histoire de se changer des serial killers américains ou autres nazillons venus du froid.

*Là où rien ne meurt, de Calderon et De Moras. Éditons Robert Laffont, collection La Bête Noire. En librairie depuis le 15 mars 2018. PS. Mention spéciale au personnage de Salinque, flic ventripotent à l’épatant phrasé audiardien et à la personnalité adambergienne.

 

Le jour où j’ai lu Le jour où j’ai quitté ma femme.

Vavasseur Femme« Lire à Limoges », samedi 28 avril. Il est 9 heures, le salon ouvre ses portes. En bon soldat, je suis déjà là, assis, seul à mon stand et j’attends. Il fait froid, mes doigts s’ouvrent et craquent en se tendant vers un gobelet en plastique, de la fumée en sort, timide – un café que l’on me propose. Merci. J’attends. Comme il pleut dehors, que le ciel est sinistre, je suppose que les gens préfèrent rester chez eux, emmitouflés dans leur lit ou dans la chaleur de la cuisine.
À côté de moi, les livres de Pierre Vavasseur que je connais bien – les livres, comme l’homme. Il y en a un que je n’ai pas lu*. Alors je l’attrape, l’ouvre, commence sa lecture.
Trente minutes plus tard, alors que quelques personnes pénètrent maintenant sous le grand barnum, je l’ai terminé et j’en suis tout retourné. Presque rudoyé.
Avec la délicatesse d’une sonate de Chopin, Pierre pose les mots de rupture, de désir et donc d’amour, comme le polonais posait ses notes. Chaque phrase est un chant, chaque chant une poésie. En 99 pages, il raconte la gourmandise des hommes, la faim des femmes, avec une foudroyante tendresse. Le jour où j’ai quitté ma femme est à lire comme on savoure une dragée. On laisse d’abord fondre le sucre, doucement, avant de tomber sur l’amande. De la croquer, à la fois heureux d’y être parvenu et triste parce c’est déjà fini.
Il y avait quatre exemplaires de ce magnifique livre sur sa table ; du coup, je les ai vendus.

 *Le jour où j’ai quitté ma femme, de Pierre Vavasseur. Éditions Lattès (2003).