Archive | septembre, 2018

Quatre ans déjà, quatre ans que ça dure.

Lettre ONVQLB

Rentrée littéraire 2014. Non, non, il n’y a pas de coquille dans la date ci-contre, c’était bien en 2014 et c’était ma première rentrée littéraire, ce qui me laisse un souvenir joyeux en cette période de rentrée littéraire, justement. Nous avions eu le cœur qui battit un peu plus fort lorsque On ne voyait que le bonheur* fut sur la sélection du Goncourt, puis finaliste du Goncourt des lycéens. Mais le plus émouvant, c’est que quatre ans après, ce texte continue de bouleverser des lecteurs, de rentrer dans leur vie, comme un ami. Alors merci à X qui m’a envoyé cette merveilleuse lettre d’un endroit loin de France, sans me laisser d’adresse pour lui dire à quel point son courrier me donnait envie de continuer à écrire. Voilà, je le lui dis ici. Merci.

*On ne voyait que le bonheur. Éditions Lattès (2014), puis Livre de Poche (2015).

Garçon boucher.

Rentrée littéraire 2018. Avant d’être un livre, Frère d’âme* est une langue. Une langue qui prend sa source claire au Sénégal où chaque mot est taillé dans cette poésie à la simplicité complexe et vient s’enraciner et s’assombrir dans les tranchées de la Grande Guerre, « comme les deux lèvres entrouvertes du sexe d’une femme immense » (page 19).
Frère d’âme est l’histoire de Mademba Diop et de « son plus que frère » Alfa Ndiaye, deux tirailleurs sénégalais, chairs à canon dans l’infâme boucherie. Mademba meurt les tripes à l’air, « le dehors dedans ». Il supplie son plus que frère de l’achever, je t’en supplie, égorge-moi !, mais Alfa ne peut pas. C’est sur cette incapacité à fusionner avec l’autre qu’est posée la langue de cette histoire – ses mots, comme des oiseaux sur un fil électrique. C’est dans ce déséquilibre que le conte puise sa fureur, qu’Alfa va finit par éventrer les ennemis et les achever salement, leur offrir à chacun ce qu’il a refusé à son plus que frère. Frère d’âme est un poème sanguinolent, violent et beau. Un chant de mots, comme il y a des chants d’amour, dans lequel parfois, des emperlements magnifiques agrandissent notre humanité, ainsi ce « Tant que l’homme n’est pas mort, il n’a pas fini d’être créé » (page 121). Assurément l’un des must de cette rentrée.

*Frère d’âme, de David Diop. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 16 août 2018. Sur les premières listes du Prix des Libraires Nancy-Le Point, du Goncourt, Renaudot et Médicis 2018. Il y a pire.

Un bref séjour à Tanger.

Rentrée littéraire 2018. Genet à Tanger*, c’est le roman d’une ville, un essai sur un écrivain qui n’écrit plus (on se demande d’ailleurs si la littérature n’est pas dans l’attente), le récit d’un homme qui va mourir et s’était mis à écrire en prison car c’est là qu’on entre en homme et qu’on en sort écrivain, jugeait Simone de Beauvoir. Genet à Tanger est un essai bref, bref comme une rencontre de ruelles, une caresse furtive, un regard triste, bref comme la vie, finalement – ce qui rend ce petit livre précieux.

Guillaume de Sardes.

*Genet à Tanger, de Guillaume de Sardes. 92 pages. Éditions Hermann. En librairie le 1er septembre 2018.

Envole-moi.

Philippe Vasset Rentrée littéraire 2018. Le hasard est parfois bien malicieux. Après nous être penchés sur Le malheur du bas (chronique ci-dessous), levons les yeux vers Une vie en l’air*, l’histoire hypnotisante d’une hantise ; un récit envoutant, comme le fut pour moi Le sens du calme de Haenel, autour du rêve raté de Jean Bertin : les dix-huit kilomètres de rail suspendu dans la Beauce pour son projet d’aérotrain qui établit en 1974 un record du monde de vitesse sur coussin d’air (430 km/h). C’est là, à sept mètres de hauteur que va habiter Philippe Vasset, et surtout se laisser habiter par cette « ruine du futur », cette très longue et curieuse frontière, régulièrement taguée à l’attention des voyageurs en train, cette ligne de béton entre ciel et terre, cette mémoire de nous, cette impuissance magnifique ; et Vasset va en sortir ce récit absolument inclassable et beau, cette envolée qui nous fait nous voir si petits, si grands, si vains parfois, tellement engoncés dans des lieux que nous n’habitons finalement pas, car, comme il l’écrit page 185 : Habiter, comme écrire, c’est travailler une énigme. Il en pose une, sublime.

*Une vie en l’air, de Philippe Vasset. Éditions Fayard. En librairie depuis le 27 août 2018. Sur la première liste du Prix Femina et du Prix du Style.