Voici un brillant et jubilatoire petit abécédaire des objets du quotidien, de A comme ampoule à Z comme zapette, en passant pas B comme boule à neige, C comme cravate et P comme poubelle, dans laquelle on peut jeter une ampoule, une zapette, une boule à neige et un cravate. Petite mythologie des objets du quotidien* est à rapprocher du Nouveau Bréviaire pour une fin de siècle – méditation affectueuse sur des objets ordinaires de Masha Makeïeff paru au siècle dernier (en novembre 1998 pour être précis). Eric Libiot s’en donne à cœur joie à définir ces objets qui nous regardent et parvient à nous faire rire, nous instruire et nous faire changer de point de vue sur les choses et parfois leurs usages, ce qui, par ces temps de pensée unique, est remarquable.
*Petite mythologie des objets du quotidien, de Éric Libiot, éditions Harper Collins. En librairie depuis le 24 octobre 2018.
Archive | mars, 2019
Deux promesses.
Il n’aura échappé à personne la concomitance de ces deux titres : Dans le noir* et Les péchés capiteux**. On peut facilement imaginer que c’est dans le premier que le second a péché ou que c’est à cause du second qu’on s’est réfugié dans le secret du premier. Outre cet étonnant hasard, il existe un lien invisible entre ces deux ouvrages : ils sont chacun écrit par un participant à l’Atelier d’écriture du Figaro Littéraire que j’anime en ce moment. Le premier est un recueil de nouvelles brillantes, à chutes, dans la grande tradition anglo-saxonne. Le second est un livre d’apprentissage : une jeune femme dans le Nord de la France découvre la gourmandise, métaphore de quelques autres plaisirs. Deux textes de deux auteurs à suivre dans un proche avenir.
*Dans le noir et autres nouvelles, de Arthur Atlas, éditions de la Vicomté, sises à Sarrazac (France). Commandez-le ici.
**Les péchés capiteux, de Christine Arquembourg, Cinq sens éditions, sis à Genève (Suisse).
Neuf ans et pas une ride.
Il y a neuf ans déjà, paraissait ce texte* de Mohammed Aïssaoui, son deuxième livre après Le Goût d’Alger, en 2006, une anthologie amoureuse de cette ville surnommée El Bahja – La joyeuse.
L’affaire de l’esclave Furcy est un livre indispensable en ces temps d’individualisme qui virent à l’égoïsme tragique. Mohammed Aissaoui y raconte l’étonnante histoire d’un esclave de 31 ans qui, en 1817 dans l’île de la Réunion, s’en décide d’aller au tribunal pour exiger sa liberté. Outre la tension historique du texte, la fracture du monde déjà, les vingt-six ans de procès, c’est la rencontre à 193 ans d’écart entre deux hommes, l’un libre l’autre pas, l’auteur et l’esclave, qui est absolument bouleversante. Mohammed suit les traces de Furcy et nous, nous suivons celles de Mohammed et il y a quelque chose de vertigineux dans ce pas de quatre, une danse de l’intime humain dans le tumulte bruyant d’un monde qui alors change pour toujours. Du grand art.
*L’affaire de l’esclave Furcy, de Mohammed Aïssaoui. Éditions Gallimard (2010) puis Folio (2011). Prix Renaudot Essai 2010. Prix R.F.O du livre 2010.
Une courte lettre à Lorraine.
Je me permets une lettre, ma chère Lorraine, puisqu’il y en a de si importantes dans ton si joli nouveau roman*.
Merci de m’avoir fait passer un moment bien plus qu’agréable à naviguer entre la beauté de tes personnages si attachants puis de me faire accoster sur des terres pleines de surprises, de rebondissements et d’exotisme lointain.
Tu m’as emmené loin de tout, au plus près du cœur des hommes. De ce cœur d’un garçon de quinze ans qui s’est glacé parce qu’il a vu son père mourir d’amour alors qu’il le faisait avec une inconnue, et qu’il n’aura de cesse que de le réchauffer pour qu’il ne s’arrête pas.
Voilà l’un de tes livres les plus apaisés, ton premier livre d’orpheline – puisque le cœur de ta maman à qui tu le dédies s’est arrêté le 6 mars de l’année dernière –, et avec lequel tu sembles remettre l’amour à sa place et la famille à l’endroit.
Ton écriture au fil des livres s’est polie, comme politesse bien sût, mais aussi comme une pierre que le temps arrondit, et adoucit, et elle est bien confortable cette écriture lorsqu’elle écrit, page 112, par exemple : « sa longue silhouette se balance. Ses grands pieds dansent sur le trottoir. Son corps pleure pour lui, c’est flagrant ». Ou encore, page 172 : « Ma mère n’a plus besoin de son bol, elle a bu la tasse ».
Même le malheur, chez toi, a un goût de bonheur.
*Tout ce que tu vas vivre, de Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 6 mars 2019.
Le chant de Pascal.
Voici le premier roman de Pascal Silvestre qui n’en est pas à son premier livre puisqu’il nous offrit, en 2016, un recueil de nouvelles, Marathon, que j’avais beaucoup aimé. La sonate de Franck doit son titre à la sonate de César Franck, pour violon et piano, réputée difficile à jouer. Elle est au cœur de ce livre. Elle est le lien entre Vincent (pianiste) et Esther (violoniste). Elle est l’enjeu entre eux. Elle fut une défaite lorsqu’ils l’interprétèrent à dix-sept ans. Elle doit être une victoire vingt ans après. Mais au-delà de cette musique qui est une chanson de geste entre ces deux-là, une partition d’amour adolescent qui essaie désespérément de grandir, La sonate de Franck est pour moi avant tout un chant d’amour à la mère. C’est le roman de la perte de l’enfance justement, le temps des notes parfois fausses qui font encore sourire, attendrissent même ; tous ces hiatus qui, avec le temps, finissent en douleur. C’est le roman de l’entrée dans l’âge adulte, touche après touche, note après note. Le livre qui dit l’amour à ce qu’on est en train de quitter parce qu’on doit avancer sans se retourner, parce que la mère ne marche plus aussi vaillamment qu’avant, que son fémur est fragile et que les mots n’ont jamais été son fort. Je crois que Pascal, marathonien pianiste et écrivain, fait avec son premier roman ses adieux à son enfance savoyarde heureuse et apprend à se cogner à la violence du monde, comme il apprit en son temps à son corps à se mesurer à celle d’un marathon. En cela cette sonate prend des airs d’opéra.
*La sonate de Franck, de Pascal Silvestre. Éditions Lattès. En librairie le 6 mars 2019.
La jeune fille et l’écrivain.
Un écrivain français résident à New York revient sur la Côte d’Azur à l’occasion des 50 ans du lycée international Saint-Exupéry où il a non seulement fait ses études, où il est tombé amoureux d’une jeune fille jusqu’à l’obsession, mais où il s’est surtout rendu coupable d’un crime. Des travaux prévus sur le campus risquent de mettre à jour la tragédie. Et puisqu’à la même époque, la jeune fille a disparu, le roman* déroule alors sa trame à la recherche de la vérité.
Là où le propos pour moi fait mouche c’est que, délaissant les figures d’une enquête sur un crime, Guillaume Musso, laisse Thomas, l’écrivain du livre, mener l’enquête sur lui-même. C’est-à-dire sur le pourquoi du comment un état amoureux peut faire de soi un assassin, puis un lâche, puis un véritable salaud. La jeune fille et la nuit devient alors l’histoire d’un homme qui découvre le fils qu’il a été, ou pas, et dresse un portrait touchant d’un écrivain qui s’écrit et qui va, armé de son « Bic Cristal à tente centimes et de son bloc-notes à carreaux Seyès » (page 419) jusqu’à réécrire l’histoire pour lui donner une plus jolie fin ou, en tout cas, plus conforme à son humanité. C’est cette réflexion sur cette manipulation autour de soi-même qui donne à ce seizième roman de Guillaume toute son implacable densité.
*La jeune fille et la nuit, de Guillaume Musso. Aux éditions Calmann-Lévy. En librairie depuis le 24 avril 2018. Parution prévue en poche le 21 mars 2019. Son nouveau roman, selon le site de son éditeur, paraîtra le 2 avril.
Rares sont les amis qui prennent encore le temps d’écrire une lettre, alors merci.
Allez, allez, au bain !
Il y aurait tant à complimenter de ce livre*. Le style. L’audace de l’histoire. Le portrait décapant d’un certain Marat atteint d’une maladie jamais vraiment diagnostiquée (on a parlé de lèpre, de psoriasis, de dermatite herpétiforme ou même de syphilis) qui l’obligeait à des bains de souffre, d’où la baignoire du tableau de David, le corps mort, poignardé, la plume à la main droite, la lettre en train d’être écrite dans la main gauche, enfin, vous connaissez. Une intrigue et une maîtrise époustouflantes. Mais surtout, un livre dans lequel on lit, page 90 : « Les veines [ du poignet ] étaient fines sous la peau transparente. Il fut ému de caresser cet entrelacs bleuté, la plaine tendre des suicides », ne peut pas être un mauvais livre.
*Le dernier bain, de Gwenaële Robert. Collection Les Passe-Murailles dirigée par Emmanuelle Dugain-Delacomptée, éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 23 août 2018. Prix Terre de France.