À ce genre d’opuscule, on imagine tout à fait un sous-titre, certes un peu longuet, mais précis, du genre : Où l’on découvre qu’au-delà des blagues arabes qui, finalement, ressemblent aux juives, qui elles-mêmes ressemblent à ce que tous les hommes sur terre aiment à rire d’eux pour rendre leur existence plus drôle et donc plus supportable, où l’on découvre donc que l’humour est avant tout la création d’un langage, qu’il est une anthropologie de la survivance, un lointain héritage de ce qui nous liait tous, quand nous étions des hommes, que nous avions conscience de la chance d’être vivants parce que la vie, bordel, ça vaut quand même son pesant de cacahuètes et que Mohammed Aïssaoui nous le rappelle sous ses faux-airs de blagueur, parce que derrière chaque histoire drôle, il y a toujours un chagrin qu’on étouffe.
*Comment dit-on humour en arabe ?, de Mohammed Aïssaoui, drôlement bien illustré par Clo’e Floirat, avec des portraits formidables de Smaïn, Guy Bedos, Fellag, Jamel Debbouze, Sophia Aram et d’autres. Éditions Gallimard, coll. Folio entre guillemets. En librairie depuis le 22 octobre 2015.
Archive | mai, 2019
« C’est quand on peut se pardonner sans réfléchir/Sans un regret sans rien se dire » chantait Daniel Guichard.
Il fallait voir les centaines de lecteurs de lecteurs ce week-end à Villeneuve-sur-Lot qui patientaient pour quelques instants avec Virginie Grimaldi – l’une de mes invitées d’honneur. Et malgré la pluie, et malgré le froid (pour la saison), ils restaient joyeux dans leur attente car ils savent que Virginie ressemble à ses livres. Ainsi, dans celui-ci dont le titre est emprunté à Apollinaire, au travers de l’escapade d’une maman en détresse et de ses deux filles un peu chahutées, elle trace le plus beau chemin qui soit : celui qui mène à soi. Elle le borne d’une écriture légère, virevoltante et grave à la fois, comme un impressionniste qui, sous l’apparence de coups de pinceaux légers, donnerait des coups de scalpels. Car c’est bien nos angoisses contemporaines que Virginie incise, cherche à panser et donne ses lettres de noblesse à ce sentiment qui semble désuet mais qui est profondément indispensable au sel de la vie. La tendresse.
*Il est grand temps de rallumer les étoiles, de Virginie Grimaldi. Éditions Le livre de Poche. Vient de paraître aux éditions Fayard : Quand nos souvenirs viendront danser.
On est toujours sérieux quand on a dix-sept ans.
La première fois que j’ai rencontré Eric Fottorino, c’était à l’hôtel Amour, dans le neuvième – notre cantine. Il était assis sur la banquette de molesquine rouge, en train d’écrire sur son ordinateur et il souriait en coin car, à la table d’à-côté (celle qui fait l’angle sous la petite bibliothèque), je répondais aux questions que me posait Christelle Massin (France 3 Nord) sur La femme qui ne vieillissait pas.
Plus tard, lorsqu’elle et son cameraman sont partis, je suis resté un peu avec Eric – deux chiens inconnus l’un à l’autre et qui semblent se reconnaître. Je lui ai demandé ce qu’il écrivait et il m’a répondu, un livre sur ma mère. Il s’appelle Dix-sept ans*. C’est l’âge où elle m’a eu. Je travaille la fin du livre, mon éditeur l’attend. C’est important, la fin, dit-il. Surtout quand elle signe le début, ajouterai-je aujourd’hui que j’ai fini la lecture de ce récit empoignant, ce portrait inoubliable de femme au cœur émietté, évanoui dans le cœur d’hommes envolés, ce portrait de fils aussi, qui retourne à Nice sur les traces de cette jeune fille de dix-sept ans, à l’aube de sa naissance, à l’aube de leur naissance. Un livre qui rappelle à quel point l’encre des mots est le sang de l’amour.
*Dix-sept ans, de Éric Fottorino. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 16 août 2018. A figuré sur la sélection du Goncourt 2018.
As-tu du coeur ?
Tu n’as pas de cœur… est justement un livre qui en déborde. Un livre qui est le récit sociologique, anthropologique, tendre et amoureux d’une enfance évanouie, de rêves émiettés, de reconstruction, d’autorité qui pétrifient les cœurs parfois et les forcent à forcir pour s’évader, s’envoler jusqu’à se se trouver. Christine Jordis (écrivain, journaliste, critique littéraire, éditrice et spécialiste de la littérature anglaise) nous entraîne dans un voyage où le seul passeport exigé est celui de l’envie de vivre, quoiqu’il arrive, quelle que soit son histoire, ses mères et grands-mères. C’est un aller simple, mais quelle arrivée !
*Tu n’as pas de cœur…, de Christine Jordis (elle en parle ici). Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 7 mars 2019.