Archive | décembre, 2021

Les mots de mon père.

Et voilà que l’année s’achève avec le récit que m’a envoyé un lecteur, poète et ami, en potion, précise-t-il, contre le mal que mon propre père m’a fait — le récit* de Jacques Boulerice dans lequel, en 51 courts chapitres racontés au vieux Mikey, canasson de son état, il narre la façon dont les mots de son père ont fait de lui le grand poète québécois qu’il est aujourd’hui. 
Il y avait quelque chose de tout à fait revigorant pour moi à lire enfin, après mes orages, de merveilleux souvenirs d’un homme et de son père, une enfance sans ombres, sans épines, une enfance où les mots s’échangent comme des sourires, font grandir, aimer le monde et les hommes qui le peuplent. Les Mots de mon père, dont chaque chapitre est illustré « à la serpe » par Mathias Lessard, ouvrier de la mine, est le très beau récit d’une transmission réussie, celle qui consiste à donner précisément à l’autre ce qu’il lui faut pour se trouver, être heureux et continuer à adresser ce que les mots portent de meilleur et surtout d’immense.
Que cette nouvelle année, mes amis, soit celle de la poésie, de la beauté et du goût de l’autre.

*Les Mots de mon père, de Jacques Boulerice, illustrations de Mathias Lessard. Éditions Fides. En librairie (au Canada) et on line (en France) depuis le 6 octobre 2021. Un immense merci à Denis Boudrias pour cette potion.

Hiatus.

Voici un titre qui laisserait penser à un roman d’un féminisme militant, où tout au moins, dans cet air du temps anti-mâles — entendons gros cons —, or c’est tout le contraire qui nous attend à l’intérieur de ce livre puisqu’il s’agit de la lente guérison d’une femme que les doigts puants, plus tard le sexe dégueulasse d’un oncle, a très tôt souillée et qui, depuis, est incapable d’aimer. Il y a quelque chose de curieux à découvrir ce premier roman (que m’a envoyé son auteur, merci) en ce jour de Noël, puisque s’il possède déjà la promesse d’un vrai écrivain, il recèle aussi la possibilité d’un conte (nous sommes semble-t-il dans un roman) et à ce titre une puissante universalité. Car une fois encore, ici, comme le soulignait Sartre, Aimer c’est vouloir être aimé et la puissance triste que met Ève à l’être est bouleversante. 
Je ne crois pas que Élodie Dupuis ait innocemment choisi d’ainsi prénommer son héroïne ; Ève, la première femme, celle que la Genèse (2 :21-23) définit ainsi : On l’appellera femme parce qu’elle a été prise de l’homme et il est temps, justement, qu’on l’en délivre. Voilà l’un des plus beaux vœu pour l’année qui vient.

*Délivrée du mâle, de Élodie Dupuis. Éditions Anne Carrière. En librairie depuis le 19 novembre 2021.

Rabat-joie.

À quelques jours des festivités de Noël, sapins enguirlandés, cadeaux brillants, bouffe à gogo, nains de plastoc sur bûches crémeuses à souhait, playlists avec Tino Rossi et l’incontournable Feliz navidad, masques sur le bec (ah, ah), pépé et mémé à la cuisine selon Castex, (n’oubliez jamais), je voudrais vous parler d’un cadeau à 9,90 euros à faire à tous les enfants de 7 ans et plus — 7 à 77 ans comme disait Hergé car il est important que les adultes ouvrent les yeux. Il s’agit du formidable petit bouquin de Saulière, Boulet et Spénale, Le petit livre pour dire stop aux violences sexuelles faites aux enfants. C’est un livre extrêmement bien fait, six petites BD qui mettent en scène six cas de violences sexuelles possibles et soulignent l’importance de la parole des enfants ; j’ajouterai l’importance de l’écoute des adultes. Voilà. C’est mon cadeau de Noël. Ce sont mes vœux pour l’année qui vient. Qu’on fasse enfin gaffe aux petits. On les broie si facilement. Feliz navidad.

*Le petit livre pour dire STOP aux violences sexuelles faites aux enfants, de Delphine Saulière, Gwénaeëlle Boulet et Marie Spénale. Éditions Bayard Jeunesse. En librairie depuis le 15 novembre 2018.

Un conte de Noël.

Je suis bien embêté. 
Après La Tresse, dont j’avais grandement aimé la fluidité de l’écriture et la malignité du scénario, voici que je viens de terminer la lecture du Cerf-volant, le nouveau roman de Laetitia Colombani.
Je suis bien embêté parce que je ne sais pas cette fois si son histoire indienne est juste formidablement bienveillante ou, au contraire, un poil guimauve.
Léna et François s’aiment. Ils sont tous deux profs — assez idéalistes dans leurs cas. François meurt sous la balle de fusil de chasse d’un élève mécontent. Léna craque. S’enfuit en Inde pour se reconstruire. Là, elle manque de se noyer (de chagrin). Une petite fille qui joue au cerf-volant la sauve. Alors elle veut à son tour sauver la petite fille de sa condition d’indienne pauvre qui ne sait ni lire ni écrire et est promise à un précoce mariage. Elle fonde une école et selon le proverbe africain qui dit (de mémoire) « qui éduque une fille éduque une nation », la voilà qui tente de changer les règles millénaires de ce sous-continent dont l’auteur ne nous fait pas vraiment grâces des clichés (re-regardons une fois pour toutes Slumdog Millionaire et n’en parlons plus). Elle offre des tampons aux filles. Des sacs de riz aux familles. Léna, c’est une sorte de Mère Teresa dans le village de Mahäbalipuram. La sainte occidentale blanche au pays des moribonds. Avec un final très Série B : armée d’une armée de filles, les Red Brigades, Léna vient arracher à son mariage la petite fille au cerf-volant, bagarres à la Bruce Lee et Kill Bill (sans le katana), pour lui permettre de retourner à l’école et espérer une vie de femme indienne libre. Fin.
(Ceci dit, c’est bientôt Noël et à entendre les paroles des chansons de Noël dans les rues de New York, voir les sapins, les boules dorées, les films à la guimauve sur Netflix, je me fais soudain la réflexion que cette histoire sucrée est un merveilleux conte de saison, donc, ne boudons pas notre plaisir).

*La Tresse (Grasset, 2017) et Le cerf-volant (Grasset, 2021).