Une petite fille perd son papa trop tôt ; à dix ans elle tombe malade pour longtemps et amoureuse pour toujours d’un médecin qui a quatre fois son âge. C’est Romance*, le nouveau roman d’Anne Goscinny. C’est une dentelle d’émotion. Un frimas de grand amour. C’est magnifique.
*Romance, d’Anne Goscinny. Chez Grasset. En librairie depuis le 18 mai 2022.
C’est au Salon du Livre de Limoges, en mai, que j’ai rencontré Lolita Pille et que j’ai découvert que j’avais raté un phénomène littéraire*, cette « première autofiction de l’auteure, nous écrit Libé, qui démarra avec fracas à 19 ans, en 2002 ». Le livre, poursuit l’article (comme dans « faire l’article ») se vendit à 38.000 exemplaires et 280.000 en poche** avant que Lolita ne disparaisse. Elle réapparaissait donc à Limoges pour présenter son nouveau texte qui revient semble-t-il sur ce fameux Hell. Mais c’est l’ancien que j’ai eu envie de lire. Celui de celle qui se définissait alors comme une pétasse bourgeoise présentement là pour faire chier le quidam, le plouc des pavillons, propriétaire d’un labrador et d’une Scénic, le beauf splendide. Donc, oui, dans le livre, la pétasse s’habille clinquant, brillant et très riche. Elle sort toutes les nuits dans les boites où on croise les mêmes qu’elle, qu’on retrouvera vieux un jour, s’ils sont restés vivants, chez Ardisson. Elle picole, sniffe, couche avec tout ce qui passe, dégueule ses spiritueux et sa poudre dans des draps de soie, se couche à l’heure où les autres se lèvent, dépense l’argent des parents, ne bosse surtout pas, boit à midi un cocktail détox avant de s’envoyer un trait, chante sa vie de flambeuse et se retrouve finalement seule, seule comme pétasse, seule comme inutile, seule comme rien. Elle rencontre alors le Prince Charmant, le même qu’elle mais en mec et qui roule en Porsche GT3. Les deux s’aiment, rêvent d’en finir avec toutes ces merdes mais se ratent. En fait le génie de Hell c’est d’avoir fait un vrai roman d’amour, au sens de romance, mais de l’avoir habillé en Prada et remplacé le Canderel par de la coke.
*Hell, de Lolita Pille. Au Livre de poche depuis le 7 janvier 2004. Auparavant publié chez Grasset. Adapté au cinéma par Bruno Chiche en 2006. **150.000 selon le site du Livre de Poche. Va savoir. Nota bene pour les puristes. N’ayant pas de Serpico 21 sous la main, je me suis permis cette trahison au Strevia.
Les paroliers Anthony Hayes, Michelle Grainger et Steve Wadey avaient raison : Black is black, et Christian Blanchard nous le rappelle une fois encore avec son nouveau roman noir*. Antoine est le prénom du héros. 12 ans. On est dans les années 70. Milieu modeste. Pavillon dans l’ombre des premières barres HLM. Père ouvrier, porté gravos sur la boutanche. Abuse de madame. Cogne au besoin. Un jour il cogne plus fort que d’habitude, Antoine veut défendre sa mère, poignarde le daron avec le couteau que celui-ci lui a offert, le seul truc important entre eux. Le seul lien qui les déliera, ce couteau. Le daron crève, la mère aussi rend son dernier soupir. Le voilà orphelin. Centre fermé. Vexations, coups de poing, viol. Antoine en prend plein la tronche. Puis c’est la famille d’adoption. L’espérance, enfin. La tendresse humaine. Mais le mal noir rôde. Les gusses de banlieue jouent avec le feu. Font le coup de feu. Antoine s’en mêle. Se sauve. Plonge. Plonge encore. Ne se relève pas. Fin. Noir, c’est noir, je vous dis. Il m’a rappelé le formidable Méchant garçon de Jack Vance, ce bouquin. Un autre livre noir comme on n’en faisait plus avant Blanchard, des histoires de désespérés, de dead end, de vraie tragédie. Ça fait du bien en ces temps où les feel good abreuvent et enflent notre part guimauve et nous rendent tout mous.
*Antoine, de Christian Blanchard. Éditions Belfond. En librairie depuis le 17 mars 2022.
Douglas Kennedy doit avoir un excellent attaché de presse car voici qu’au moment où il publie son dernier livre, Les hommes ont peur de la lumière*, un aimable roman mi-noir mi-thriller sur fond de lutte entre groupes pro-vie et pro-avortement, l’Amérique de Biden s’embrasse à propos d’une fuite de la Cour Suprême qui envisage de revenir sur l’arrêt Roe v. Wade du 22 janvier 1973 qui donne le droit aux Américaines d’avorter dans tout le pays. Kennedy, à son habitude, depuis l’excellentissime L’homme qui voulait vivre sa vie, puis Les désarrois de Ned Allen, met en scène un quidam américain, plutôt dans une phase sociale descendante, ici Brendan, ex-ingénieur, désormais chauffeur pour Uber, qui croise des méchants, ici des pro-vie qui n’hésitent pas à faire le coup de feu sur les pro-avortement (histoire d’enfoncer le clou de leur méchanceté), sur fond d’Amérique qui se délite. À l’arrivée, un cru moyen (pour moi) dans une œuvre déjà foisonnante et brillante, mais qui tombe au bon moment. Ah, ces attachés de presse !
Avec son Retour à Groningen*, Sybille de Bollardière signe un récit d’une beauté crépusculaire — l’histoire de son (dernier) amour avec Sieds, elle et lui élégants sexagénaires, tous deux écrivains, tous deux forts en gueule comme tous les grands tendres, voyageurs désenchantés et contemplatifs gourmands. Ce retour est l’occasion pour Sybille de retrouver ses trois frères disparus, des éclats de son enfance, mais surtout de se retourner sur elle et de découvrir que le temps est court et qu’il est si important d’aimer. C’est donc cette trop brève passion d’amour (cinq ans) qui hante le livre, qui lui donne ses immenses beautés, ses chuchotements inoubliables. Il y avait longtemps que je n’avais été aussi empoigné par des mots, dans un décor pour moi en noir et blanc, comme les pages d’un livre. Page 38 (de mon Kindle), elle écrit cette chose bouleversante pour un écrivain : « Je sais que je me pardonnerai tout le malheur que je me suis infligé si seulement je pouvais en tirer quelques lignes ». Écrire le deuil c’est finalement se pardonner d’être en vie. Magnifique.
*Retour à Gronningen, de Sybille de Bollardière. Éditions La Passagère. En librairie (et sur Kindle) depuis avril 2022.
Parfois, on referme un livre et on se dit qu’on n’a rien à dire. C’est parfait. Écriture nickel. Sujet passionnant. Traitement brillant. Rythme soutenu (presque un page turner). On se dit Chapeau. On se dit qu’on aurait aimé faire un tel travail et si on est soi-même écrivain, eh bien, ça donne du cœur à l’ouvrage. Ce livre, c’est La fille de Deauville*, de Vanessa Schneider, dont on sent que les années de grand reporter au Monde ont influencé l’écriture romanesque, un peu à la manière des grands feuilletonistes du 19ème — Souvestre, Hugo, Balzac, pour dire le niveau. Schneider nous raconte la dérive de Joëlle Aubron, membre d’Action Directe, auprès de Rouillan et Ménigan, dissèque la colère, l’envie d’un monde socialement plus juste, jusqu’à la destruction, les délires politiques, les meurtres. C’est elle qui butera Besse, le patron de Renault. Voilà pour le côté reportage. Pour le côté romanesque, elle nous invente un personnage de flic, Luigi Pareno. On est avec lui le soir de la capture des terroristes, au terme d’une longue traque. On découvre sa fascination pour cette Fille de Deauville, sa rousseur, son charme. Un flic comme on n’en voyait plus depuis longtemps, un tordu, un torturé, un malheureux, et qui nous manquait. À l’arrivée, ce mélange de vrai et de fiction fabrique une magnifique bombe littéraire.
*La fille de Deauville, de Vanessa Schneider. Publié aux Éditions Grasset. En librairie depuis le 9 mars 2022.