Une petite heure à Rome Fiumicino, en attendant l’embarquement pour Paris. Kindle, avec, à l’intérieur, un livre1 très court : le souvenir d’une première fois, en colonie de vacances, entre une « fille de 58 » et « H, le moniteur-chef (…) grand, blond, baraqué, un peu de ventre ». Bref.
Mr. de Montety2 reprocha un jour au formidable Jean-Louis Fournier de « raconter sa famille comme d’autres leurs voyages, infligeant à leurs amis la sempiternelle soirée photos ».
Voici un petit livre qui devrait lui faire plaisir puisqu’il ne raconte pas la famille d’Annie Ernaux. Mais juste Annie Ernaux en cet été 1958. Quoique. Car, comme le rappelle Mr. Beigbeder3, « Annie Ernaux a successivement écrit sur son père, sa mère, son avortement, la maladie de sa mère, son deuil, son supermarché, et cette fois sur son dépucelage raté durant l’été 1958, en colonie de vacances, quand elle s’appelait Annie Duchesne ».
J’avais vraiment aimé Les Années4, sans doute car elle me rappelaient celles de ma mère, née deux ans avant Ernaux, et qu’elles ont toutes deux traversées les mêmes images : Cinémonde, les publicités Ambre Solaire, les bords de mer froide, le chagrin des femmes, la rugosité des hommes – pendant un demi-siècle.
À l’opposé, et bien que je l’ai lu très attentivement dans le lounge, malgré les annonces d’embarquement, les rires de ceux que la perspective d’un vol terrifiait et buvaient jusqu’à l’oubli de ce qui les attendait, Mémoire de fille m’a semblé être un récit brouillon encore, une brève chronique à peine achevée, mais une amère nuit d’amour s’achève-t-elle jamais ? Ce qui, finalement, est le lieu du charme de cette fragile Mémoire.
- Mémoire de fille, de Annie Ernaux. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 1 avril 2016.
- Le Figaro Littéraire, le 21 octobre 2015. Dernier livre paru : « Encore un mot », éditions Points, 2013.
- Idem, le 22 avril 2016. Dernier livre paru : « Conversations d’un enfant du siècle », éditions Grasset, 2015.
- Les années, de Annie Ernaux. Éditions Folio, depuis janvier 2010.