Alors voilà. De temps en temps on prend un livre* (en l’occurrence, celui-ci je l’ai reçu, merci Anna Pavlowitch) sans trop savoir ce qu’il y a à l’intérieur et, sans lire la quatrième car après tout il faut parfois vivre dangereusement, on y entre, à l’intérieur, et là on se demande dans quoi on vient de mettre les pieds. Voilà qu’un virus a décimé pratiquement tout ce que la terre compte d’animaux et que très vite se pose le problème : Maman, qu’est-ce qu’on mange ? Car s’il n’y a plus d’animaux, donc de mammifères, donc de ruminants, donc de bœufs, donc de filets, de poires et de merlans, se repose la question : Maman, qu’est-ce qu’on mange ? Et la réponse d’Augustina Bazterrica, dont c’est là le premier roman, est absolument belle et osée et révoltante et empêcheuse de penser en rond. Les hommes. On mange les hommes, les enfants. Et les femmes. Et les enfants. On se mange. Et nous voilà à suivre ce monde où les animaux, c’est nous. Nous, dans les abattoirs (et ce que nous montre L214 tient de la fabrique de bonbons à côté). Nous, en sauce. En petits plats. En produit de différentes qualités. Différents morceaux. Et soudain, non pas la nausée, mais un regard absolument différent sur ce qu’on mange. Sur ce que nous sommes. Outre sa virtuosité comparable à celle de Soleil vert en son temps (j’insiste sur cette notion de temps), la réussite de ce roman est qu’il évite tout militantisme, tout véganisme, toute intolérance aux goûts de l’autre. Non. Augustine Bazterrica nous pose une équation. Sa solution est en chacun de nous. Comme dans ce personnage du livre qui décide, lui, de traiter l’homme, pardon, la viande, comme un être humain. Et c’est bouleversant. Bon appétit.
*Cadavre exquis, de Augustina Bazterrica. Traduit de l’espagnol par Margot Nguyen Béraud. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 21 août 2019. Prix Clarin 2017. (Bravo au graphiste pour la formidable image de la couverture).