Retrouvailles, dans le cadre du Festival du Livre de Paris, avec Karina Hocine, l’épatante éditrice de mes huit premiers livres, en compagnie du brillant Mohammad Aïssaoui, pour une heure de discussion autour d’un des sujets les plus délicats. Se faire publier. 11 heures. Grand Palais, scène Eiffel.
Fidèle à son habitude de brouiller les genres, et de nous revenir à chaque fois avec un livre différent, Amélie Antoine nous offre ici* un délicat roman sur la fin d’une vie. La vie d’une mère. Cette fin qui fait se retourner sur le chemin parcouru, sur les joies, les ratages, les amours joyeuses, les amours manqués, les admirations inoubliables. Et sa fille. Car au moment du départ se pose évidemment la question de ce qu’on laisse de soi à cette chair sortie de la sienne, ce qu’on donne au cœur façonné, ce qu’on transmet à la vie pétrie de ses mains. De là-haut raconte sans pathos ce départ volontaire face à la maladie qui gagne, au corps qui s’échappe ; ce moment très particulier qui fait dire à l’héroïne : « J’ai aimé ma vie et je veux en finir avant de la détester ». Voici un joli caillou romanesque à l’édifice de cette réflexion complexe sur le choix de la fin d’une vie. Du jour qu’on éteint. Du noir qu’on fait. Et c’est lumineux.
*De là-haut, d’Amélie Antoine, aux éditions Le Muscadier. En librairie depuis le 16 janvier 2025.
Voici un petit livre* (80 pages) absolument jubilatoire. Écrit par un type qui a furieusement roulé sa bosse dans le cinoche, qui, les jours de tempête, redessine le monde au pastel, et s’éclate toujours autant sur scène avec son groupe de vieux rockeurs, Comme au ciné nous raconte la mésaventure de Léon, producteur, qui découvre que le film qu’il produit est une énorme merde et décide de le faire réécrire, retourner et remonter. L’idée formidable de Jean-Michel Weil est d’opposer le monde du cinéma au monde réel, mais surtout, d’y adjoindre les notes hilarantes de la production, tantôt à la mise en scène, tantôt à la régie. En le dévorant, j’y ai vu une satire inoubliable de nos politiciens qui nous promettent tous des jours meilleurs et ne voient jamais nos années de boue ; ces bonimenteurs qui nous font les poches pour remplir les leurs, de quelque bord soient-ils, jusqu’à la nausée — faut dire que la soupe est bonne quand elle est gratos. Aussi, je ne peux que vous conseiller de lire et de savourer ce petit trésor, puis de l’envoyer à votre député en le priant d’arrêter de nous prendre pour des cons.
*Comme au ciné, de Jean-Michel Weil, aux éditions Edilivre. En vente depuis novembre 2024.
Voici un livre rare. Rare car je ne suis pas certain que vous trouviez Revers* en pile en haut d’un escalator de la Fnac ou en vitrine chez votre librairie. Rare encore parce que c’est un livre qui défie les livres, réinvente le récit et atomise l’écriture. Plus rare encore car c’est le livre d’un artiste-peintre, Bleue Roy et on sait que lorsqu’un peintre quitte le pinceau pour la plume c’est qu’il y a urgence. Revers, un livre dans lequel on entre comme dans une expo, où chaque chapitre se lit comme on regarde un tableau et, comme chez tous les grands artistes, il y a toujours quelque chose à découvrir derrière les choses. Ainsi le héros, géant transsexuel ne nous montre surtout pas sa transsexualité brésilienne, mais son cœur d’enfant dans un corps de monstre et à ce titre, frôle la poésie. Toucher à cette grâce, c’est rarissime. C’est ce que frôle Revers et ça vaut le frisson.
* Revers, de Bleue Roy. Sur Amazon, Librinova, et environ deux cents librairies.
Voici qu’après l’inceste, le mariage consanguin, l’homosexualité masculine, la virtuose plume de Sophie se fend d’un nouveau genre. Le mélo. J’ai demandé à Gemini la définition du mélo et voici ce qu’il m’a répondu (en 0,00000001 seconde) : « Dans le langage courant, « mélo » est souvent utilisé comme une abréviation de « mélodrame ». Il désigne alors un drame caractérisé par des intrigues sentimentales exagérées, des rebondissements spectaculaires et des émotions fortes. Les mélos sont souvent associés à des histoires d’amour passionnées, de trahisons, de sacrifices et de fins heureuses ou tragiques. » C’est ici* exactement cela. Vous voilà prévenus. Sophie nous raconte donc l’histoire de Colette qui s’en retourne dans son Morvan natal auprès de sa mère mourante et c’est là, dans cet espace incertain entre la vie et la mort, les regrets et les remords, les haines et les amours, les désirs et les répugnances, les mensonges et les fausses vérités, qu’elle va dénouer le drame qui eut lieu un soir d’été 1969 — cet été-là, souvenez-vous, Jean-François Michaël chantait Adieu jolie Candy et Barry Ryan, Éloïse, et si c’est moins chantant chez Sophie, c’est, chez elle, beaucoup, beaucoup mieux écrit. Et il est là, l’immense talent de ce Secret des mères : parvenir à nous narrer un mélo mais dans un style d’une grande beauté, une écriture qui résiste à l’histoire, au temps, pour s’emparer de nous comme un parfum, comme une grâce, et ne plus nous lâcher. C’est rare. Cela s’appelle la littérature.
*Le secret des mères, de Sophie de Baere, aux éditions JC Lattès. En librairie le 5 février 2025.
Vient de paraître (5 février 2025) : Du ciel en sa fureur aux éditions J’ai Lu, après l’avoir été aux éditions de l’Observatoire l’an dernier. (Ci-dessus, son bureau en Italie).
Rapidement, en passant, pour vous dire que les 750 pages du Tome 2* de la série des Sept soeurs de Lucinda Riley est encore plus addictif que le premier (même s’il y a un peu de patouille vers la fin, histoire que j’aie quelque chose à critiquer). Donc, comme pour le premier, si vous aimez la romance d’aujourd’hui qui vous permet de vous éloigner des types qui saluent bizarrement dans le poste de télévision, des autres tartinés d’auto-bronzant orange et de toutes ces saloperies ambiantes, allez-y.
Ce n’est pas moi qui le dit, mais sa fille (page 135*) ; sa fille qui prend la plume pour essayer de comprendre pourquoi son pigeon voyageur de père l’a quittée lorsqu’elle avait sept ans, les a tous quittés, sa mère et ses quatre sœurs, sans un mot, sans un claquement de porte, comme un voleur qui n’emporte rien que les cœurs de celles qui l’aimaient et les abandonnent dans le bas-côté de sa vie. Après son formidable récit sur son fils**, Francine Ruel s’attaque au totem du père, « qui ressemble à s’y méprendre à l’acteur Clark Gable » (page 24) et elle le fait à l’âge où l’on aurait davantage envie de parler de soi — j’ai soixante-quinze ans, écrit-elle —, et la délicatesse inouïe de son texte vient de ce qu’elle a justement gardé son âme de petite fille, son regard d’enfant perdue dans l’absence du père. On apprendra simplement que sa mère a demandé à son père de choisir entre « nous et toutes les autres » et qu’il a choisi. Mon père est un pigeon voyageur est le beau message d’amour que Francine accroche à la patte de son père, de tous les pères, pour leur rappeler de quel amour ils sont les gardiens. Et de quelles tragédies parfois les coupables.