Author Archive | Grégoire Delacourt

Deuxlacourt.

Je n’ai jamais été un grand fan des jeux de mots, mais là, comme le scorpion dans l’histoire du scorpion et du castor, « Je n’ai pas pu m’en empêcher ». Tout cela pour vous dire que c’est aujourd’hui que sortent en librairie l’édition Poche d’Un jour viendra couleur d’orange et chez Grasset L’Enfant réparé. Et comme on annonce de la pluie toute la semaine, voilà deux bonnes raisons de rester chez soi et de lire.

Un jour viendra couleur d’orange, Le Livre de Poche. L’Enfant réparé, Éditions Grasset.

Un soupçon.

La poésie, ça ne s’explique pas, ça se soupçonne, avait un jour dans un salon du livre répondu un poète québécois à une lectrice agacée que la poésie, selon elle, soit si souvent complexe, incompréhensible et hermétique. C’est ce soupçon que j’aime en poésie. Cette incertitude joyeuse. Cette possibilité du tout et de son contraire. C’est ainsi que j’aime me balader dans ces mots-là, comme des galets posés sur un sable blanc, des ombres qui recèlent des sens, révèlent des clartés dont nul ne sait ce qu’elles éclairent, si ce n’est ce fameux soupçon. Voici Somnambule du jour, de l’immense Anise Koltz, Prix Goncourt 2018 de la poésie, une somme de poème choisis, des miettes de cristal et de lusquin. Tenez, en voici quelques-unes. Des pierres lancées contre moi j’ai construit ma maison. Ou encore : Le soir la mort approche de nous/Mais sur la table un pain nous invite à exister. Enfin : Est-ce moi qui écrit le poème ? /Est-ce le poème qui m’écrit ? Insoupçonnablement beau.

*Somnambule du Jour, poèmes choisis, d’Anise Koltz. Collection Poésie/Gallimard. En librairie depuis janvier 2016.

S’il n’en reste qu’une, elles seront deux.

Ce qu’il y a de bien avec les livres, c’est que l’on découvre soudain un auteur. Je ne connaissais pas Patrice Franceschi (et je me dis qu’il serait temps que je sorte de chez moi), et à lire son parcours (merci Mr. Wikipedia), il est clair que le gaillard vaut d’être connu. Voici en tout cas sa part romancière (je me demande d’ailleurs quand il trouve le temps de tant écrire), flamboyante, avec ce nouveau S’il n’en reste qu’une*, titre, pourrait-on croire hâtivement, qui flirte avec le féminisme, mais ce n’est pas le combat du bonhomme qui, pour avoir si souvent vécu avec les autres (Pygmées, Indiens, Papous, Nilotiques…), parcouru tant de fois le monde, soutenu tant de causes, sait que c’est chaque humain qui vaut un livre, chaque femme, chaque homme, qui vaut une mémoire. 
Et le voici qui grave celles de Tékochine et Gulistan, deux figures légendaires des combattantes Kurdes, guerrières inoubliables contre Daech ; le voici qui raconte la pureté de leur engagement, leur choix de la vie et leur acceptation de la mort — à la condition qu’elle soit juste, ressemble à ce qu’on a vécu, et comment faite lorsqu’il ne reste qu’une balle… pour deux ? Franceschi les rapporte au travers du périple d’une journaliste australienne qui remonte à la source de ces deux héroïnes, en ancienne Mésopotamie, comme on remonte un fleuve, enquête malgré les terribles menaces alentour et nous livre ce voyage finalement beau comme un conte oriental, un récit de coin du feu, des voix qui enrobent les mots, les savourent comme des dragées et l’on assiste, silencieux, émerveillés comme des enfants de veillée, à la vie et la mort de ces deux femmes qui croyaient à la vie et n’avaient pas peur de la mort. Dieu que ça fait un bien fou de se faire ainsi raconter une grande histoire.

*S’il n’en reste qu’unede Patrice Franceschi. Éditions Grasset. En librairie depuis le 25 août 2021.

L’homme qui tremble.

Comme bon nombre de gens je suppose, j’ai découvert Lionel Duroy en 2010, à l’occasion de la parution du Chagrin, récit fleuve sur son enfance tumultueuse, les frasques de son père, la folie de sa mère. J’avais été submergé, happé et voilà, alors que je m’apprêtais moi-même à publier mon premier roman, L’Écrivain de la famille, que je choisissais la dernière phrase de son livre pour ouvrir le mien. Le Chagrin obtint le Prix Marcel Pagnol en 2010 et mon roman en 2011. Je m’empressai alors d’envoyer un mot amical à Duroy pour souligner notre lointain cousinage. Il ne me répondit jamais. J’ai continué à avoir de ses nouvelles au travers de ses livres puisqu’il déclare lui-même « être ses livres » et qu’il n’écrit que lui. Ses femmes. Son enfance. Sa mère qui se cache sous le placard de sa chambre. Sa dépression. Son Lexomil. Sa peur de ne plus écrire. Et le revoilà cette année avec L’Homme qui tremble*, sous-titré, Un autoportrait, autrement dit une « vision personnelle d’un artiste sur sa propre personne ». Cette fois, il nous présente ses livres précédents au prisme de ses nombreuses rencontres amoureuses, lesquelles finissent souvent fort mal puisqu’elles lui reprochent toujours de n’être pas là. Ce qui est juste puisque Duroy habite ses livres. Respire ses livres. Dévore ses livres. Et quand il fait autre chose que ses livres, ce sont des bibliothèques avec des planches de bois de chez Leroy-Merlin. 
À l’arrivée, l’émotion de ce récit repose dans le soin quasi obsessionnel qu’il met à s’encager dans ses livres comme si la vraie vie était si peu romanesque, presqu’ennuyeuse, toujours décevante.

*L’Homme qui tremble — Un autoportrait, de Lionel Duroy. Éditions Miallet Barrault. En librairie depuis le 6 janvier 2021.
Post scriptum. J’aurais la joie de débattre avec Duroy et Irène Frain lors du Salon du Livre de Vannes.

Un homme trahi.

Sorj Chalandon a été trahi par deux personnes. Denis Donaldson, son ami irlandais, activiste de l’IRA (mais surtout agent double) auquel il consacrera deux livres*. Et par son père auquel, après Profession du père et probablement au travers de chacun de ses livres, il accorde aujourd’hui un « roman » : Enfant de salaud*. Je mets roman entre guillemets car on peut supposer qu’en faisant l’incroyable parallèle entre le procès de Barbie à Lyon en 1987 et celui que Chalandon, en bon journaliste qu’il est, intente à son père à propos de sa période 39-45, on est bien dans le roman. Mais, séparés, chaque procès tient véritablement du récit. Celui de Barbie d’abord où Sorj, dont on connaît la larme facile, ne retient que la pureté des mots des témoins, l’émotion brute, violente, insupportable — une sorte de rappel à la dignité des mots justement, à l’heure où certains resurgissent, éviscérés de leur Histoire. Et celui de son père, dont le dossier de la Cour de justice de Lille est accablant ; menteur, mythomane, collabo, condamné, salaud, lâchera enfin son propre père, ;procès dans lequel Sorj qui se veut à la fois procureur et avocat se révèle indécrottablement être un fils ; un fils féroce, un fils affamé de ce premier amour, celui du père, son traître, son salaud ; à la fin du livre le fils crie, réclame, il a 35 ans, il pourrait en avoir 8 ou 12, qu’importe, son père est son héros, et même s’il lui a menti, on pardonne aux héros. On les aime. 
Je ne crois pas à ce pardon-là, c’est une affaire personnelle, mais je devine qu’avec ce livre Sorj s’est sauvé.  

*Mon traître et Retour à Killybegs, Grasset 2008 et 2011).
**Enfant de salaud, de Sorj Chalandon. Éditons Grasset. En librairie depuis le 18 août 2021.

Soufflé.

Il y a quelques temps, je me suis hasardé loin de mes Hergé, Edward P. Jacobs et autres Uderzo usés à la corde pour m’aventurer chez quelques auteurs plus contemporains. Ainsi me suis-je fait conseiller Blast*, de Manu Lacrenet et je ne sais pas si son titre, qui signifie explosion, qui signifie soufflé, représente ce qu’il a voulu faire ou le sentiment qu’il souhaitait que nous ayons à la lecture de son travail, mais j’ai littéralement été soufflé. 
Par le style graphique d’abord, dessins d’encres de chine et d’eau et parfois, rarement, la couleur des dessins de ses propres enfants. Par l’histoire bien sûr, mais plus encore par son extraordinaire poésie de la violence, de la folie, de la différence ; tout ce qui fait que l’obscurité s’éclaircit. 
Blast est l’histoire d’un homme (très) gros, Polza Mancini, vagabond, alcoolique et écrivain, accusé du meurtre d’une certaine Carole Oudinot, et c’est au travers de l’interrogatoire des flics qu’il nous raconte son histoire, ses envols et sa forêt. Une merveille. 
Je viens de finir le deuxième tome. Il y en a quatre. Le soufflé ne retombe pas. Quel bonheur.

*Blast, de Manu Larcenet. Éditons Dargaud. Tome 1. Grasse Carcasse. Prix des Librairies de bande dessinées, 2010. Tome 2. L’apocalypse selon saint Jacky. Grand Prix RTL de la bande dessinée.

Voyages, voyages.

C’est l’été. Et avec lui les envies de voyages, de dépaysement, de découvertes. Mais voilà. Le pass sanitaire complique les choses (on a vu une chute de plus de 50% au Festival d’Avignon dès son entrée en scène), et notre chère liberté d’aller et venir là où nous poussent nos ailes est furieusement compromise. Heureusement, on peut voyager de son canapé, de sa chambre, de son lit et c’est ce que nous proposent ces deux livres épatants. L’un, Cueilleur d’essences, m’a mené en Andalousie sur les traces du ciste, en Haute Provence et m’a submergé de lavandes, à Shipka où je me suis enivré de roses de Bulgarie, en Inde, à Grasse, au Pérou et au Salvador, en Guyane et à Madagascar (sur les traces de la vanille qui parfume divinement les fameuses gaufres de chez Méert), un fabuleux voyage autour du monde pour 18, 50 € à la recherche des senteurs parfaites qui font les parfums les plus parfaits d’aujourd’hui. L’autre, Le long du Luxembourg, m’a fait voyager dans le temps, de 1913 à 1885, année de la mort du grand Hugo, au Luxembourg, château et jardins; m’a fait rencontrer des femmes inoubliables, Anne de Bretagne, Jeanne d’Albret, Blanche de Castille (…) et Marie de Médicis à l’origine de toute cette fabuleuse aventure. Je viens de rentrer de ces deux extraordinaires voyages, comblé, heureux, certes toujours aussi pâle qu’au départ, mais chacun le sait, bronzer est mauvais pour la peau, juste bon pour le mélanome.

*Cueilleur d’essences, Aux sources des parfums du monde, de Dominique Roques et Le long du Luxembourg, d’Elvire de Brissac. Tous deux chez Grasset.

Les femmes tues.

Voici l’un des plus beaux textes courts (79 pages) qu’il m’a été donné de lire. Un premier roman au titre d’une poésie et d’une promesse folles. La brève histoire d’une jeune femme qui aime un homme qui meurt à la guerre. Mais nous sommes en Irak. Les femmes aimées et seules sont un déshonneur. Un frère doit la tuer. C’est tout. C’est absolument magnifique. (J’ai essayé de faire court, moi aussi — dieu que c’est difficile).

*Que sur toi se lamente le Tigre, de Émilienne Malfatto. Éditions Elyzad. En librairie depuis le 3 septembre 2020. Prix Goncourt du Premier roman 2021.