Mon Père arrive en Poche. Avec une préface inédite. Et un conte pour enfant.
Et un avis impartial à 00.23.12 là: https://www.france.tv/france-5/le-magazine-de-la-sante/1201877-le-magazine-de-la-sante.html
Mon Père arrive en Poche. Avec une préface inédite. Et un conte pour enfant.
Et un avis impartial à 00.23.12 là: https://www.france.tv/france-5/le-magazine-de-la-sante/1201877-le-magazine-de-la-sante.html
À entendre les survivants de massacres, ceux du Bataclan* par exemple, à ces fureurs, ils associent des odeurs de chairs, de poudre, à des cris, des épouvantes, du silence enfin. Il semble y avoir eu une sorte de combustion des sensations, un chaos épouvantablement charnel qui précède toujours à la plus grande désolation. Dans ce Massacre**-ci, rien de tel. Voici un roman glaçant sur le monde de l’entreprise où les massacres sont aseptisés, blancs laqués, avec quelques reflets bleus acier – la couleur des yeux des tueurs. Anne Hansen, dont c’est ici le premier roman, nous entraîne au cœur d’une Entreprise située au cœur d’une Ville où viennent d’avoir eu lieu des massacres terroristes (on pense au Paris du 13 novembre 2015) tandis que d’autres massacres silencieux ceux-là ont lieu au cœur de l’Entreprise. Licenciements. Manipulations. Harcèlements. Le tout avec une précision chirurgicale terrifiante. Il n’y a que trois ou quatre noms de personnages dans le livre. Les autres sont indéfinis. Sans visage. Sans odeur. Le texte est glacial. Une vitre de cinq centimètres d’épaisseur à travers laquelle on assiste à la déliquescence d’un homme dans l’indifférence gelée de ses collègues. Un texte terrifiant sur un monde qui l’est tout autant et se drape de bons sentiments au travers de comités pour le bien-être des employés, de l’écologie responsable, etc. Je ne sais pas qui est Anne Hansen, si elle vient elle-même de ce monde-là, si, comme moi, elle en a été virée en quatre minutes, de façon dégueulasse, mais, lorsque comme elle on écrit, page 69 : « La place qu’on s’est faite ne met en aucun cas à l’abri de la chute, tant il est difficile de plaire encore quand on a beaucoup plu », je sais qu’elle a tout compris.
* Dans 13 novembre, fluctuat nec mergitur, documentaire sur Netflix.
** Massacre, de Anne Hansen. Éditions du Rocher. En librairie depuis le 5 septembre 2018.
*Marie en a rien à foutre de rien.
Pas même du truc dans son bide.
Corentin, qu’il s’appelle. Le truc.
Alors elle le fourgue à l’Augustine. Une vioque du village. L’arrière grand-mère peut-être. On verra plus tard.
La Marie s’enfuit. Le Corentin grandit. Là. Près de la forêt.
Puis un jour, c’est fini. Le monde qu’on connaît. C’est la fin du monde. D’un coup.
La sixième extinction.
Plus de soleil. D’insectes. D’écailles brillantes de poissons dans la rivière. Le temps d’avant, tout ça. Parti. Les hommes. Tous ont péri.
Corentin reste seul avec la vioque. Arrive Mathilde. Triste. Grise. Cernée. Enfants et mari envolés dans la grande extinction. Un monde à trois.
Parfois on croise des vivants. Affamés. Méchants. Des chiens. Des loups. Des meutes d’emmerdes.
Toujours trois, le petit peuple des forêts.
Puis la Mathilde est grosse. Des jumeaux. On leur file des noms d’étoiles vu que les étoiles ont filé. Et quatre autres étoiles encore. Six mômes. Qui grandissent pendant dix-huit ans. Dans un monde vide.
Un jour une meute s’approche. Des humains peut-être. Sans humanité. Ça finit en boucherie. C’est normal. On a faim. Et puis la fin. Vers l’ouest.
Ainsi écrit-elle.
Sandrine Collette.
Et toujours les Forêts*.
C’est son I am a legend** à elle. Sa Route *** empruntée.
Un roman dans la famille des livres post-apocalyptiques. Des bouquins désespérés. Sublimes à la fois. Où l’homme est une sorte de bête finissante. Où le monde a besoin des prochains dix mille ans pour se refaire une santé. Mais sans nous.
L’espoir du livre c’est sa place parmi les cinq finalistes du Prix RTL/Lire. C’est la plus belle lumière que je lui souhaite****.
*Et toujours les Forêts, de Sandrine Collette. Éditions Lattès. En librairie le 2 janvier 2020.
**De Richard Matheson. Éditions Gallimard.
***De Cormac McCarthy, Prix Pulitzer. Éditions de l’Olivier
****Qui, ce 14 mai 2020, a finalement éclairé son livre puisqu’elle vient d’obtenir ce Prix.
Revoilà enfin Antoine Laurain, vingt-et-un mois après son Millésime 54 1, avec un manuscrit jubilatoire, Le Service des manuscrits 2 mais qui, en réalité, s’appelle Les Fleurs de sucre, lequel manuscrit arrive au service du titre de celui-ci, enthousiasme toute la maison d’édition, qui s’empresse de contacter l’auteur, mais voilà que l’auteur n’a donné qu’une adresse mail, qu’il ne répond que rarement ou très brièvement, le livre est publié à la Rentrée Littéraire et badaboum, le voici parmi les quatre finalistes du Goncourt, et toujours pas d’auteur sous la main pour aller récupérer le prestigieux prix place Gaillon, si d’aventure le roman l’obtenait.
Jusque là tout va bien.
Là où les choses prennent un tour simenonien c’est que, parallèlement à ces joyeuses nouvelles littéraires, sont découverts deux corps assassinés, bientôt un troisième. Puis un quatrième, mais chut. Et voilà que l’enquêtrice (qui rime avec lectrice), tombe sur Les Fleurs de sucre et y lit, ahurie, la description des crimes sur lesquels elle travaille. Et là où les choses se compliquent vraiment, c’est qu’en l’absence d’auteur comment explique-t-on que ces crimes soient décrits dans un livre avant même qu’ils aient été commis ? Eh bien la réponse se trouve dans le grand art d’Antoine : la malice – au sens où elle est « la tournure d’esprit de celui la personne qui prend plaisir à s’amuser aux dépens d’autrui ». Et autrui, c’est nous. Donc Antoine nous balade le long de ces rives littéraires3 et criminelles, deux rives tout aussi dangereuses l’une que l’autre. Nous manipule. Et nous, émerveillés, on en redemande.
1. Millésime 54. Éditions Flammarion (2018). Et en J’ai Lu le même jour que Le Service des manuscrits. Malin.
2. Le Service des manuscrits, de Antoine Laurain. Éditions Flammarion. En librairie le 8 janvier 2020.
3. À ce propos, la description des repas éditeurs/auteurs est un régal.
Voici ce que je vis. Mais allez savoir si ce que je vis est le passé simple du verbe voir ou le présent de vivre. Ou les deux.
Voici un premier roman* courageux. Il parle du deuil, « des peines dont ne peut faire aucune œuvre, dont rien ne pourra jamais vous délivrer. On ne peut pas faire de littérature avec ce genre de deuils » (page 174). Une mère qui a perdu son fils s’installe dans l’hiver avec sa fille qui elle aussi a perdu son fils. Le cœur glacé, les corps froids survivent dans une cabane perdue dans une forêt où passent des biches et des brigands. Elles attendent. Ce livre est une attente. Ce texte est une neige tombée sur une glace. On attend avec ces deux femmes. On attend le dégel. Préférer l’hiver est un livre curieux. Agaçant et poétique. Il possède la lenteur d’un interminable dégel justement, et parfois des fulgurances de printemps. Il appartient à ces livres dont la narratrice dit, page 41 : « Je ne cherche pas à ce que l’on me raconte une histoire. Je veux que cela soit divinement écrit ». Je ne sais pas si Aurélie Jeannin touche au divin mais ses envols parfois sont bouleversants. Des lumignons qui réchauffent le désert blanc de ces deux vies irrémédiablement abandonnées à la glace brûlante du deuil.
*Préférer l’hiver, de Aurélie Jeannin. D’abord publié sur Internet où il a obtenu le Prix des étoiles Librinova en février 2019. Puis édité chez HarperCollins, dans la nouvelle collection « Traversée ». En librairie le 8 janvier 2020.
J’ai, comme beaucoup d’entre vous j’espère, la joie de suivre Nicolas Delesalle depuis son premier roman, en 2015, Un parfum d’herbe coupée, un inoubliable parfum d’enfance, et j’avais alors pressenti que le gaillard aimait les mots. Comme un dingue. Et voici que dans son quatrième roman, N’habite plus à l’adresse indiquée, sous prétexte d’une histoire de factrice qui reçoit des lettres d’amour anonymes, il écrit non pas l’écrit mais la parole. Il écrit le fleuve de mots dans la bouche du narrateur – facteur lui-même, donc passeur de mots et de lettres. Et va jusqu’à créer un personnage bouleversant, Martin, qui se trompe de mots parce que le chagrin vous met parfois la tête à l’envers – exemple, page 80 : « Il disait souvent à sa femme qu’elle était apologique, quand elle ne comprenait pas ses explications ». C’est le premier des livres que je lis qui a autant de mots. Le narrateur-facteur donc, avec plus de mots qu’il n’en faut, mais dieu qu’ils sont beaux quand ils claquent, et chantent, et dansent comme à chaque page, raconte à une femme dans un bistrot, l’histoire de Sissi la factrice, des lettres anonymes qu’elle reçoit, de l’enquête de ses amis pour démasquer le corbeau, façon Club des 5 il est vrai, mais la nostalgie d’une certaine enfance n’est jamais loin chez Nicolas, et nous réserve, après ce tourbillon de mots, cette cascade jubilatoire, une chute inoubliable d’émotion, d’inattendu et d’intelligence. Quand un auteur grandit autant de livre en livre, il n’y a pas de raison qu’il ne parvienne un jour à décrocher une étoile.
*N’habite plus à l’adresse indiquée, de Nicolas Delesalle. Éditions Préludes. En librairie depuis le 2 octobre 2019. Tous les romans de Nicolas sont publiés chez Préludes. Puis au Livre de Poche.
Ainsi donc, le vainqueur aura pour une fois été celui que la presse pressentait : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon 1, de Jean-Paul Dubois – titre extrait du dernier sermon prononcé par le père du narrateur (page 134), un pasteur qui tente alors de justifier ses filouteries financières. Voici donc l’histoire de Paul Hansen, fils d’un pontife danois peu regardant sur l’argent des troncs de son église et d’une femme d’une « spectaculaire beauté » (page 139) qui, de la cellule de prison où il est enfermé pour deux ans, en compagnie d’un Hell’s Angel costaud, une bête pétrie de poésie et de fureur, il nous raconte sa vie, ses amours, son boulot à l’Excelsior, un condominium dont il avait la charge jusqu’au drame qui l’a conduit ici et dont on ne découvrira la nature que dans les dernières pages. Tous les hommes… n’est pas un polar. Pas un thriller. Pas un page-turner. Pas un livre de suspens. Pas plus qu’un texte à clé ou à rebondissement. Pierre Vavasseur, du Parisien, l’avait à sa sortie qualifié de livre « mélancolique » et je crois que c’est l’adverbe qui lui convient parfaitement. Dubois, à son habitude (souvenons-nous de l’excellentissime Une vie française 2, Prix Femina 2004) aime à compiler les souvenirs, la nostalgie des choses, la fragilité des êtres, dans un style épatant qui mêle l’humour 3 et l’encyclopédisme. Ainsi, avec ce livre, vous saurez tout sur la NSU birotor, Ro 80 (page 43). La Honda Civic de 1974, 600 kg, 3,54 mètres de long (page 99). L’origine du film Deep Throat 4 et l’histoire de son réalisateur pauvre, Gérard Damiano. La source québécoise de l’amiante, à Thetford Mines (pages 81 et suivantes). Les Harley Davidson modèles Fat Boy (page 180) et Softail Slim (page 168). Le petit avion Beaver DHC 2 (page 169) et de ses différents trains d’atterrissage. Et l’huile de vidange pour voiture (page 143), Valvoline Motor Oil, Amsoil, Quacker Sate Oil ou encore la Pennzoil. Mais rassurez-vous. Au-delà de cette érudition de brochure, le formidable talent d’écrivain de Dubois parvient à tracer le portrait d’un homme inoubliable. Un mélancolique. Un rêveur. Un amoureux. Un frère humain.
1. Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, de Jean-Paul Dubois. Éditions de l’Olivier. En librairie depuis le 14 août 2019. Prix Goncourt 2019.
2. Une vie française. L’Olivier (2004). Points (2005).
3. Exemple, à propos de la petite Honda (page 99) : « Elle est cosy et il y a de la place dedans à conditions de ne pas porter de montre ».
4. https://fr.pornhub.com/view_video.php?viewkey=ph5a3bc99c28e01 Bon film.