Author Archive | Grégoire Delacourt

Arrêtons une minute de gueuler.

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Au moment où tout le monde gueule contre les taxes et les taxes sur les taxes (si, si, la TICPE qui est une taxe est elle-même taxée de TVA), contre la laine qu’on nous tond sur le dos, contre les Sarrasins qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes, contre les immeubles qui se cassent la gueule en ensevelissent des vies et les rêves de ces vies, contre la météo qui de déglingue tout à coup, merde quoi, on est en novembre et on a des jours printaniers, voici un livre qui tombe à point nommé, un bijou d’émotion, de tendresse et de foi en le cœur des hommes : L’Amour, c’est…* dans lequel deux cents écrivains donnent leur réponse, dont bibi, pour reprendre l’expression récemment utilisée par le type qui aime bien les taxes contre lesquelles tout le monde gueule, et les taxes sur les taxes, et je pourrais continuer longtemps comme ça.

*L’Amour, c’est… Par 200 auteurs, illustrés par Jacques Koch, préfacé par le formidable Baptiste Beaulieu, édité par Le Livre de Poche et, last but not least, 2 euros sont reversés à Le rire médecin (ce qui fait vraiment du bien).

L’écrivain écrit par un écrivain.

Rentrée littéraire 2018. Un écrivain*, c’est le premier roman d’une écrivaine qui écrit sur un écrivain spécialisé dans les essais et qui écrit un roman, L’Imposture du Sphinx, qui traite d’un écrivain qui ressemble furieusement croit-on à l’écrivain qui l’écrit, à tel point qu’on se demande dans le roman si l’un n’est pas l’autre, et voilà que le roman gagne le Prix Goncourt et que l’écrivain dans la vie se met à vraiment ressembler à l’écrivain du livre qui, pour en sortir, se met à écrire la suite des aventures de cet écrivain, dans un second roman, Le Sursaut d’Icare, qui, lui, remporte le Prix Renaudot, dérogatoire au règlement du concours mais qu’importe le texte pourvu qu’on ait les mots, et voilà l’écrivain écrit comme on le dit de l’arroseur arrosé qui, enlisé dans ce double encombrant, écrit la fin de la trilogie dont la pirouette finale le sauve de tout ce bazar. Ouf. C’est dans ce tourbillon abyssal qu’est la jubilation de ce premier roman d’une consultante juridique au Ministère de la Santé (ce qui apparemment laisse le temps d’écrire), et qui a du croiser, observer pas mal d’écrivain dans sa vie pour les croquer avec autant d’acuité.

Laure Arcelin

*Un écrivain, de Laure Arcelin. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 13 septembre 2018.

Pour Arthur.

Bramly

Cher Arthur,
Tu m’as demandé ce que j’avais pensé du dernier roman de Serge Bramly, alors voici.
C’est un beau livre, à contre-courant de l’urgence de l’époque. Il possède un charme passé, troublant, comme un film de Louis Malle, un jazz de Miles Davis, un noir et blanc, parfois. Il y écrit son histoire – sa rupture, pour être précis – avec sa maîtresse (du jeudi après-midi), Rivka, dont le vrai prénom est celui du titre. C’est donc pour elle, pour Sensi, et à sa demande, qu’il se raconte.
Comme chez Emmanuel Carrère, l’écriture est ici intimement mêlée aux choses de l’amour et du sexe et Serge écrit cette rupture entre la sortie, « mitigée » dit-il, d’un roman et la préparation d’un autre, sur les romains, celui-là.
Pour Sensi est un récit qui tient pour moi du pêle-mêle, du collage, des notes, et c’est dans cette généreuse imprécision que se situe le véritable enchantement du livre, au-delà de son écriture toujours impeccable (souviens-toi d’Orchidée fixe**) et de son érudition surprenante.
En conclusion, oui mon cher Arthur, tu peux vraiment le lire les yeux ouverts.

* Pour Sensi. De Serge Bramly. Aux éditions Lattès. En librairie depuis le 29 août 2018.
** Orchidée fixe. Du même auteur. Egalement chez Lattès (2012).

Les enfants sont éternels.

Thomas SandozPuisque c’est la saison des Prix Littéraires en voici un beau (qui date de 2011). Il s’agit du prestigieux Prix Schiller, le plus ancien prix suisse, décerné à un roman helvète – désormais connu sous le nom de Prix Suisse de Littérature. Bref, un grand Prix dans un petit pays.
J’ai rencontré par hasard son auteur, Thomas Sandoz, au Livre sur les Quais, à Morges en septembre dernier. Esseulé, il est venu s’asseoir à notre table qui faisait face à l’immensité du Léman. J’ai aussitôt adoré son air doux et perdu, et voulu savoir de quels mots il était fait. De sa dizaine de livres, c’est celui-ci* qu’il m’a conseillé et que je me suis empressé de lire.
Même en terre tient de Jacques Prévert et du Jacques Lanzmann du Petit jardin ; l’histoire merveilleuse et poignante d’un employé de cimetière en charge de l’allée E, celle où sont enterrés les enfants ; le portrait d’un authentique doux dont la poésie et la part intacte d’enfance vont protéger ses petits hôtes du » pays des hommes couchés » de l’urbanisation qui menace. Un bijou tout en dentelle.

*Même en terre, de Thomas Sandoz. Éditions Grasset. En librairie depuis le 4 avril 2012. (Précédemment édité en Suisse aux Éditions Autre Part, tirage limité à 600 exemplaires – collector, donc). Prix Schiller 2011.

 

 

Les pieds nickelés.

Rentrée littéraire 2018. D’un pitch, comme on dit maintenant, qui tiendrait sur le papier d’un fortune cookie – Sartre se moque de Giacometti qui vient de se faire écraser le pied par une américaine au volant d’une américaine et ce dernier veut lui péter la gueuleJérôme Attal parvient à nous offrir un roman* absolument jubilatoire. Mais attention.
Sous l’euphorie de ce garçon « courtois, gentleman, poétique et gentil » (dixit Lorraine Fouchet), Jérôme nous offre une épatante réflexion sur la création, doublée d’une magnifique déambulation autour du désir des femmes (on est encore loin de Weinstein et de la censure), triplée d’un visite cruelle de ce Paris de 1937 qui ne voit pas la guerre venir et continue, de Montmartre à Montparnasse, à sabrer le champagne, et quadruplée des extraordinaires et tendres portrait de deux authentiques pieds nickelés : Sartre et Giacometti, le premier dans son arrogance boudeuse et tellement enfantine, le second dans sa (provisoire) démesure miniature (et lecteur de la bd de Louis Forton). Quatre livres pour le prix d’un, quel bonheur !
Mais plus encore que tout cela, car le gentleman a du talent, ce qui rafle vraiment la mise dans toute cette jubilation, ce sont les dialogues. Il y avait longtemps que je n’en avais lu d’aussi bien troussés, drôles, irrévérents, bouleversants parfois.
Vite, une pièce de théâtre, cher Jérôme, et toi, Florian Zeller, prends garde à toi !

*37, étoiles filantes, de Jérôme Attal. Éditions Robert Laffont. En librairie depuis le 16 août 2018. Prix Livres en Vignes 2018. Prix de la Rentrée 2018. Première sélection du Prix Giono 2018.

Quatre ans déjà, quatre ans que ça dure.

Lettre ONVQLB

Rentrée littéraire 2014. Non, non, il n’y a pas de coquille dans la date ci-contre, c’était bien en 2014 et c’était ma première rentrée littéraire, ce qui me laisse un souvenir joyeux en cette période de rentrée littéraire, justement. Nous avions eu le cœur qui battit un peu plus fort lorsque On ne voyait que le bonheur* fut sur la sélection du Goncourt, puis finaliste du Goncourt des lycéens. Mais le plus émouvant, c’est que quatre ans après, ce texte continue de bouleverser des lecteurs, de rentrer dans leur vie, comme un ami. Alors merci à X qui m’a envoyé cette merveilleuse lettre d’un endroit loin de France, sans me laisser d’adresse pour lui dire à quel point son courrier me donnait envie de continuer à écrire. Voilà, je le lui dis ici. Merci.

*On ne voyait que le bonheur. Éditions Lattès (2014), puis Livre de Poche (2015).

Garçon boucher.

Rentrée littéraire 2018. Avant d’être un livre, Frère d’âme* est une langue. Une langue qui prend sa source claire au Sénégal où chaque mot est taillé dans cette poésie à la simplicité complexe et vient s’enraciner et s’assombrir dans les tranchées de la Grande Guerre, « comme les deux lèvres entrouvertes du sexe d’une femme immense » (page 19).
Frère d’âme est l’histoire de Mademba Diop et de « son plus que frère » Alfa Ndiaye, deux tirailleurs sénégalais, chairs à canon dans l’infâme boucherie. Mademba meurt les tripes à l’air, « le dehors dedans ». Il supplie son plus que frère de l’achever, je t’en supplie, égorge-moi !, mais Alfa ne peut pas. C’est sur cette incapacité à fusionner avec l’autre qu’est posée la langue de cette histoire – ses mots, comme des oiseaux sur un fil électrique. C’est dans ce déséquilibre que le conte puise sa fureur, qu’Alfa va finit par éventrer les ennemis et les achever salement, leur offrir à chacun ce qu’il a refusé à son plus que frère. Frère d’âme est un poème sanguinolent, violent et beau. Un chant de mots, comme il y a des chants d’amour, dans lequel parfois, des emperlements magnifiques agrandissent notre humanité, ainsi ce « Tant que l’homme n’est pas mort, il n’a pas fini d’être créé » (page 121). Assurément l’un des must de cette rentrée.

*Frère d’âme, de David Diop. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 16 août 2018. Sur les premières listes du Prix des Libraires Nancy-Le Point, du Goncourt, Renaudot et Médicis 2018. Il y a pire.

Un bref séjour à Tanger.

Rentrée littéraire 2018. Genet à Tanger*, c’est le roman d’une ville, un essai sur un écrivain qui n’écrit plus (on se demande d’ailleurs si la littérature n’est pas dans l’attente), le récit d’un homme qui va mourir et s’était mis à écrire en prison car c’est là qu’on entre en homme et qu’on en sort écrivain, jugeait Simone de Beauvoir. Genet à Tanger est un essai bref, bref comme une rencontre de ruelles, une caresse furtive, un regard triste, bref comme la vie, finalement – ce qui rend ce petit livre précieux.

Guillaume de Sardes.

*Genet à Tanger, de Guillaume de Sardes. 92 pages. Éditions Hermann. En librairie le 1er septembre 2018.