Author Archive | Grégoire Delacourt

Trévidic akbar !

Trévidic BD.

Grosse actualité pour Marc Trévidic. Après son touchant Magasin Jaune 1 paru le 7 mars chez Lattès, le voici de nouveau là avec Compte à Rebours 2, le premier tome d’un triptyque en bande dessinée sur l’anti-terrorisme. Il met en scène le juge Antoine Duquesne – qui, bien que ce ne soit pas son anagramme, n’est pas sans évoquer Marc lui-même.
Ce qui est formidablement excitant dans ce scénario, outre le fait qu’il soit digne des meilleures séries du genre (« C’est horrible à dire, mais j’ai un don pour imaginer des attentats », déclare-t-il), c’est qu’on y découvre un juge qui se trompe, qui doute, et se débat avec la broyeuse administrative ; bref un homme face à la barbarie infinie des hommes, au bord du déséquilibre du monde.
Vivement les tomes 2 et 3 !

1 Le magasin jaune. Éditions Lattès.
2 Compte à rebours, Es-Shahid, de Marc Trévidic et Matz, dessins de Guiseppe Liotti. Éditons Rue de Sèvres. En librairie depuis le 21 mars 2018.

Bonnes nouvelles (enfin).

Pascal Silvestre

Mon très ancien passé de fumeur m’a fait prendre en grippe tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une course à pied. Je m’essoufflais au bout de dix mètres. J’avais des jambes en bois. Et mon cœur s’apprêtait à exploser à chaque instant. Vingt ans après, quand je cours, c’est au ralenti – une sorte de grâce pataude – pour attraper un bus ou grimper à bord d’une rame de métro dont les portes se referment, et j’envie alors les corps de ceux qui courent allégrement sur les trottoirs, serpentent entre les marcheurs, dans les parcs, les stades, vêtus de curieux vêtements aux tissus technologiques, un chrono sanglé à leur bras. Ils courent comme s’ils étaient poursuivis et à les regarder de près, c’est davantage pour (r)attraper quelque chose. C’est Pascal Silvestre qui m’a ouvert les yeux, avec son très beau et mélancolique Marathon*. Dix bonnes nouvelles d’hommes et de femmes autour de marathons justement, tant celui qui fait 42,195 km que ceux qui définissent le poids d’une vie, la longueur d’une espérance, la limite d’une promesse. Pascal raconte avec une étourdissante humanité ces corps broyés, poussés à bout, ces douleurs sourdes, brûlantes souvent, les grilles des côtes qui compressent parfois, empêchent l’air, et puis soudain les âmes qui s’envolent, qui allègent une vie et font goûter à l’ivresse d’un corps commun, celui des autres autour de vous, qui deviennent vos jambes, vos bras ; le corps des autres qui devient le cœur de la vie.

*Marathon, de Pascal Silvestre. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 mars 2016. Pascal est journaliste et a créé le site Runners.fr.
PS. Un salut impressionné à Paul Lonyangata, vainqueur du marathon de Paris édition 2018, en 2h06’25’’.

Une lettre d’amour.

L.FouchetDans ses derniers romans*, Lorraine avait pour habitude (une vieille habitude de médecin urgentiste sans doute), de sauver, puis de réparer ses personnages.
Cela rendait ses histoires simplement belles.
Cette fois ci**, outre une histoire de filiation, dans la veine des précédentes, et qui nous balade de Rome à Paris en passant par sa chère île de Groix et quelques jolies boîtes aux lettres, c’est dans les remerciements me semble-t-il que se trouve la clé de cette enchanteresse « Poste restante à Locmaria » : Papa, si ton cœur n’avait pas flanché si tôt, je n’aurais pas fait médecine pour sauver les autres papas. Un autre confrère aurait rédigé le certificat de Marguerite Duras. Vous seriez venus me voir à l’île de Groix, maman et toi. Tu aurais arpenté la lande avec ta canne. Mais tu n’es pas là. Alors une fois de plus, j’ai imaginé un papa. Je suis devenue fille à papas.
Car cette fois ci, c’est elle-même qu’elle répare et sauve au travers de son personnage de Chiara, laquelle, sur l’île de Groix, recherche son père. Ou peut-être ses pères.
Ce qui en fait une histoire très délicate, et très belle.

*Entre ciel et Lou (2016) et Les Couleurs de la vie (2017), tous deux publiés chez Héloïse d’Ormesson et au Livre de Poche.
**Poste restante à Locmaria, de Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie depuis le 5 avril 2018.

 

Des deux côtés des hommes.

Olivier Norek. 2J’avais découvert Olivier Norek avec le formidable et multi-primé* Surtensions dans lequel, outre une enquête menée à cent à l’heure, il démontrait, avec sa bande de flics écorchés, sa capacité à raconter des vies à la lisière de l’humanité ou aux abords de quelques eaux troubles. C’est justement sur ces aspects délicats de qui nous sommes qu’il revient dans Entre deux mondes**, où son immense tendresse pour ses frères humains prend le pas sur une intrigue toujours impeccable mais qui, ici, n’est pas le seul sujet. Entre deux mondes, c’est le monde de la jungle de Calais, coincée entre une ville hostile et une mer, glaciale la nuit, qui mène au pays des rêves : Youké. Norek nous raconte merveilleusement bien le voyage de ceux qui essaient de rejoindre la terre promise, la terrifiante violence des passeurs, la solitude inouïe des gamins esseulés dans cette jungle où certains deviennent des sex toys, les bagarres entre différentes ethnies, les recruteurs de Daesh qui viennent y recruter leurs martyrs, l’impuissance de la police à régner sur une poudrière de cartons, de tentes, de trafics, de faims et de frayeurs. Au travers du parcours, puis de la rencontre de ses deux héros fatigués – Adam, l’ancien flic syrien venu retrouver sa femme et sa fille, et Bastien, flic, dont l’idéalisme est gangréné par une rouille insidieuse, réunis pour sauver ne serait-ce qu’un enfant –, Norek déploie la plus belle palette qui soit des tragédies humaines, notamment cet espoir qui, s’il fait vivre dit-on, est aussi une malédiction. Entre deux mondes est un roman parfait entre deux romans. Celui du bien. Et celui du mal.

* Grand Prix des lectrices de ELLE policier et Prix Le Point du Polar Européen.
**Entre deux mondes, de Olivier Norek. Éditions Michel Lafon. En librairie depuis le 5 octobre 2017.

Cours Phyllis, cours !

Laffite 1Après le très scénaristique et philippedebrocaïen Belleville Shanghai Express paru en 2015, revoilà Philippe Lafitte avec un texte toujours mouvementé : Celle qui s’enfuyait*, un sujet à la frontière entre un hunt (un tueur poursuit quelqu’un) et une histoire de rédemption.
Depuis quarante ans, Phyllis Marie Marvil, afro-américaine de soixante ans (« mais en fait à peine plus de quarante » – page 12), devenue auteur à succès de polars, fuit. Elle fuit jusqu’au moment où un coup de feu vient faire éclater le passé – car c’est toujours le passé qu’on cherche à tuer, il n’y avait que dans le cultissime Terminator que l’on cherchait à tuer le futur.
Dans ce roman inclassable (thriller psychologique et ode à la littérature et roman historique – les années Viêt Nam sont déjà de l’histoire –), Philippe mélange les genres, brouille joyeusement les pistes, et invente, pour notre plus grand plaisir de lecteur/spectateur, un style à la croisée d’un roman américain, d’une série télé et d’un film à la Clint Eastwood.
On l’aura compris, Philippe explore cette fois-ci les années soixante-dix, ces très sombres années américaines qui virent le racisme détruire tout un pays, fracturer davantage une société déjà blessée, enflammée, et exhume un sujet rare dans notre littérature romanesque française : l’émergence d’une ultra gauche américaine militante, active, armée. (Je me souviens que Marc Levy, en 2014, s’était emparé du sujet dans le plus sombre qu’ici et très efficace aussi Une autre idée du bonheur).
Bref, Celle qui s’enfuyait mérite que vous couriez jusqu’à la librairie la plus proche, puis rentriez, éteigniez votre téléphone et plongiez dans ses 25 chapitres comme dans les 25 épisodes d’une série addictive.

*Celle qui s’enfuyait, de Philippe Lafitte. Éditions Grasset. En librairie depuis le 7 mars 2018.

Une phrase ou deux, parfois.

T de Fombelle

Nous discutions l’autre jour, lors de l’enregistrement de l’émission « VIP » pour la chaîne KTO, Emmanuelle Dancourt et moi, et sommes vite tombés d’accord sur le fait que dans chaque livre, il y avait au moins quelque chose pour chacun. Une phrase. Un personnage. Une scène. Une couleur. Une ambiance. Un truc.
Assurément, dans le premier roman* « adulte » (sic la quatrième de couverture) de Timothée de Fombelle c’est pour moi ce passage ci (pages 45-46), magnifique : « Elle lit toute la nuit. Du soir au matin, le chignon défait sur les épaules, elle s’en va dans des vies lointaines. Impossible d’oublier ce trait de lumière sous sa porte qui m’a fait croire que lire, c’était attendre quelqu’un ».

*Neverland, de Timothée de Fombelle. Éditions L’Iconoclaste. En librairie depuis le 30 août 2017.

Un fantôme.

EliasVoici un étonnant opuscule au titre qui pourrait laisser supposer une histoire pour enfants, Tonton Lionel*, deux petits mots presque rigolos centrés sur une couverture vide mais qui, dès celle ci soulevée, fait apparaître tout autre chose, et nous voilà tout surpris alors que le titre, le vide, nous annonçaient pourtant la couleur, mais pressés que nous sommes toujours, nous n’y avions pas prêté garde.
Reprenons.
Voici l’étonnante couverture d’un opuscule qui, avant même qu’il ne soit ouvert, nous parle de vide. Nous parle d’absence. Nous parle sans doute de quelqu’un de proche.
Les deux mots, Tonton Lionel, claquent comme un cri sur une pierre tombale, à la fois violents et doux ; ils disent déjà la souffrance, la curieuse souffrance.
Celle de Jean-Claude Elias qui écrit l’absent : l’oncle jamais vu, parti dans le convoi 73, le seul qui n’alla pas à Auschwitz, mais se perdit en Lituanie ou en Estonie.
Celle d’un neveu qui suppose. Qui imagine. Qui rêve. Puisqu’on ne sait rien et qu’on ne saura jamais.
Ce qu’il y a de bouleversant dans ce très court texte, c’est qu’à vouloir parler de l’autre, on parle de soi. Du vide en soi de l’autre.
Tonton Lionel n’est jamais revenu. Il n’y a pas de corps. Juste une sépulture immensément vide.
Alors, avec l’aide de son frère Michel, qui rendit ce livre possible, Jean-Claude Elias a rempli de mots une tombe déserte, a écrit un corps, a écrit une présence, a fait revenir le disparu.
C’est ce qu’on appelle l’amour.

*Tonton Lionel, de Jean-Claude Elias, illustré de photographies. Aux éditions Terre Bleue (qui publie des livres de toute beauté).

 

Jaune. Comme étoile. Comme rire. Comme ligne.

Marc Trévidic

Ce n’est plus de terrorisme dont il est question dans ce nouveau roman, mais d’une autre violence, celle faite à l’enfance par la guerre.
Dans Le Magasin jaune*, nous suivons, de 1929 à 1942, la vie des habitants de la rue Germain-Pilon, et surtout la famille de Quinze, petite fille belle comme une photo de Doisneau, nous entendons les éclats de rire et les éclats tout courts au Coup du rouquin – le bar où échouent rêves et colères –, nous voyons les enfants qui grandissent, les couples qui dansent, jusqu’à l’ombre, sombre, moite, qui recouvre peu à peu les corps et les paupières, l’ombre de la guerre qui ne vient pas, une année entière, à demi enterré, à guetter l’arrivée des méchants, et puis ça y est. Le chaos. Le feu. Les T 38. Les Mark II. Les Panzer Mark IV. Les corps mutilés. Arrachés. Envolés. Les hommes effondrés. Et les rares, qui rentrent. En morceaux. La vie qui change à jamais. Les jouets qui ne rient plus. L’occupation. Et cette enfance, toujours, qui ne grandit plus droit. Qui a les bras trop petits pour changer le monde. Et qui, surtout, ne veut pas devenir ces adultes-là.
Marc nous offre un joli livre sur ce moment de bascule, quand l’innocence se perd dans la tragédie, ce temps de tous les possibles aussi, quand les bombes et la cruauté des hommes ne parviennent pas tout à fait à détruire notre âme d’enfant.

*Le Magasin jaune, de Marc Trévidic. Éditions Lattès. En librairie depuis le 7 mars 2018.
À noter que, dans ce torrent d’émotions, Marc parvient à conserver son formidable sens de l’humour ; ainsi, page 30 : « Finalement, on s’accorda sur une robe en crêpe de soie et de laine. Gustave souligna qu’il y avait indiscutablement un côté finistérien dans le crêpe ».