Il y a bien longtemps que je voulais lire un livre de Sylvie, depuis que nous nous sommes plusieurs fois retrouvés côte à côte dans des salons, en fait, et que j’ai, avec elle, connu quelques uns de mes plus grands fous rires – notamment à Nice cet été (sa maman en est témoin). Alors j’ai commencé par son premier roman* paru en 2014 et qui, d’entrée, lui a valu une fort belle réputation d’écrivain. Dans L’Autre, elle s’attaque au sujet alors à la mode du pervers narcissique et décrit de façon glacée et glaçante son emprise, la manière terrifiante parce qu’invisible qu’il a de tendre sa toile de barbelés jusqu’à s’y faire prendre l’autre, le regarder s’y déchiqueter et voir couler son sang alors qu’il est trop tard. Mais au delà de cette analyse irréprochable, c’est l’idée que les salauds meurent aussi qui m’a tout à fait enthousiasmé dans ce roman ; une idée qu’elle déroule à la perfection en se servant de la tragédie du 11 novembre 2001 pour nous interroger sur ces milliers de morts et c’est encore plus terrifiant qu’un petit con de pervers narcissique : combien parmi eux étaient des ordures ? Combien battaient leurs femmes ? Les trahissaient ? Dépouillaient ? Dépeçaient ? Etc. Sylvie a osé un premier roman osé, ça lui a réussi. Je vais m’attaquer avec bonheur aux suivants.
*L’Autre, de Sylvie Le Bihan. Éditions du Seuil (2014). Éditions Points (2015).
Author Archive | Grégoire Delacourt
Le Musso nouveau.
Je referme à l’instant*, dans le calme majestueux des Smoky Mountains (Tennessee), le dernier roman de Guillaume Musso, Un appartement à Paris**, lequel, avant toute chose, ne me donne pas, mais alors absolument pas, envie de rentrer dans notre bonne vieille capitale – enfin un auteur qui ose écrire que la Ville Lumière n’est plus si lumineuse que ça, qu’elle y est même sacrément polluée, désagréable et sale (Hidalgo, sors de ton château !). Bref.
Le nouveau cru de Guillaume est un fort bon cru.
L’assemblage : Irréprochable. Un couple que rien ne prédisposait à se rencontrer se rencontre et fait des merveilles, chacun réparant l’autre et les deux, ensemble, réparant les autres.
La caudalie (l’unité de mesure de la durée de persistance en bouche des arômes) : Longue.
Le cépage : 100% Musso. Avec juste ce qu’il faut de clins d’œil pour ses lecteurs et de jolies références cinématographiques et littéraires, mâtinée d’un suspens irréprochable.
La charpente : Un texte qui a du corps, bien structuré. Une bonne constitution qui assure des possibilités de vieillissement, d’évolution – un film, par exemple.
Le corps : Dense ; solide et fragile à la fois.
L’équilibre : La tension et les sentiments s’équilibrent mutuellement, et procurent un agréable vertige.
La franchise : Sans défaut ni ambiguïté. L’empathie comme la cruauté de certains personnages (on ne vous dira pas qui) sont sincères.
La garde : Bonne aptitude au vieillissement (voir La charpente). Idéal à consommer maintenant et à nouveau dans un an, en poche.
L’harmonie : Tout est parfaitement équilibré et confère à l’ensemble une véritable harmonie justement, des rapports heureux – et parfois douloureux – entre les différents caractères, allant bien au-delà du simple équilibre. On retrouve le bien et le mal, audacieusement opposés.
La longueur : Bien que ma lecture soit récente, le texte laisse une impression plaisante et persistante après la dégustation. On peut dire aussi qu’il est d’une « bonne longueur ».
Le millésime : 2017. Année parfaite.
L’ouverture : Texte épanoui, prêt à être lu immédiatement.
Bonne dégustation.
** Article écrit le 6 octobre 2017.
*Un appartement à Paris, de Guillaume Musso. Éditions XO (pour la dernière fois). En librairie depuis le 30 mars 2017.
Le fleuve Haenel.
Rentrée littéraire 2017. J’ai découvert Haenel il y a trois ans avec Le Sens du calme, moi qui suis plutôt de la famille des agités, et j’avais alors été littéralement transpercé par ses mots – par sa langue devrais-je dire, car au-delà des dix-sept moments de ce livre, ni chapitres, ni anecdotes, ni chroniques, il y avait une musique pour moi nouvelle, du baroque italien mâtiné de REM, quelque chose d’inédit, une terre que vous avez l’impression d’être le premier à fouler. Aussi ai-je lu avec beaucoup d’espoirs ce Tiens ferme ta couronne* paru il y a quelques semaines dans le chaos de la Rentrée littéraire.
Haenel s’y invente un double prénommé Jean, auteur d’un scénario de sept cent pages sur Herman Melville (sept cents pages pour un scénario cela signifie peu ou prou un film de sept heures), scénario qui, bien entendu ne trouve pas preneur jusqu’au jour où un ami lui donne le numéro de Michael Cimino que Jean appelle, puis rencontre à New York – un authentique moment de grâce littéraire.
Et voilà le torrent qu’attendait Haenel pour déployer sa musique, y ajouter des chœurs, des curiosités, des égarements, y faire montre de sa passion pour le cinéma américain (The Deer Hunter et Apocalypse Now y sont passés à son intarissable moulinette), de son goût pour les fellations dont on le gratifie et de cette culture qui pousse dans son texte, comme du chiendent, et dans lequel il aime à se laisser prendre ; voilà le torrent à nouveau inclassable, en furie, cet amour immense me semble-t-il de Haenel lui-même pour son eau, ses courants, ses imprévisibilités. Tiens ferme ta couronne n’a pas eu bonne presse auprès des lecteurs de Babelio, sans doute parce que ce n’est pas un roman, pas un récit, pas une biographie, c’est un chaos magnifique, le livre de (trop ?) d’amour d’un auteur à son travail. Il faut le lire comme le premier livre qu’on lirait, un livre qui ne réfèrerait à rien de connu et se laisser emporter par le courant. Mais c’est vous qui voyez. Ah, un dernier point, la lettre que lit Léna à l’enterrement de sa sœur est d’une très grande beauté – je trouve.
* Tiens ferme ta couronne, de Yannick Haenel. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 17 août 2017. Sur la liste du Prix de l’Académie Française. Finaliste du Goncourt, finalement Prix Medicis.
Un air de liberté.
Dans le sérieux quasi religieux, parfois obséquieux, d’une rentrée littéraire, il est de bon ton de ne pas se prendre complètement au sérieux. Après le très agréable roman de Frank Andriat (ci-dessous, après Isabelle Monnin), voici un autre roman* fort bien troussé, celui de Marc Levy, paru au début du printemps. Le roman d’un secret de famille, sur trois générations, qui nous conduit du Québec à Baltimore, de New York à Londres, avec des bonds, des rebonds, des rebondissements, des personnages complexes comme on les aime, une Triumph Bonneville 650, un tableau de Hopper, mais surtout, le dix-huitième roman d’un écrivain libre qui a su contourner le procès en succès que lui ont fait quelques plumeux – parmi lesquels des écrivaillons au notoire insuccès (pour en apprécier toute l’ironie, je vous renvoie au livre de Delacomptée). Bref. La dernière des Stanfield est un roman d’entertainment réussi, et comme on n’en attendait rien d’autre, c’est du coup deux fois réussi.
*La dernière des Stanfield, de Marc Levy. Éditions Robert Laffont Versilio. En librairie depuis le 20 avril 2017.
Va, tout s’en va.
Les mots des chanteurs qu’on a aimés, les années passées à grandir, le rire des enfants, l’autre qu’on adorait, la sœur partie à vingt-six ans trois mois et six jours, qu’on ne peut oublier et dont l’impossibilité de l’oubli fait mal et consume encore et toujours ; va, tout s’en va, la douleur qu’on emporte avec soi, le temps assassin, les idéaux, les promesses de ceux qui devaient changer le monde, les paroles des autres, les rêves socialistes, les chansons, les drapeaux et les chanteurs ; va, tout s’en va, le bébé de six jours qui ne reste pas ici et rejoint les étoiles, la tante morte, les 33 tours, la gauche, le chanteur qui a grossi et embrasse maintenant les flics, les illusions, les désillusions aussi, l’amour de la vie, les grandes espérances, l’âme même des grands chagrins Place de la République, Bruno Carette, les fulgurances, l’amour ; va, tout s’en va, ne reste que Michel Drucker.
Mistral perdu ou Les évènements* est un livre formidablement désenchanté, le survol de nos vies, de ce qu’elles furent, avant de finir comme des feuilles d’automne, des papiers froissés, qui s’envolent, retombent et se laissent emporter par l’eau des larmes, d’un ruisseau, d’un caniveau.
Nous sommes peu de choses, mais si belles pourtant.
*Rentrée littéraire 2017. Mistral perdu ou Les évènements, de Isabelle Monnin. Éditions Lattès. En librairie depuis le 6 septembre 2017.
Le bonheur n’a pas de prix (littéraire).
Rentrée littéraire 2017. Au milieu des mastodontes de la rentrée, des compétiteurs de la plus grosse quéquette littéraire, voici un livre qui nous arrive, sur la pointe des pieds, ou plutôt sur les roulettes silencieuses d’une valise légère, et nous parle de ce tout petit truc qu’on oublie dans nos vies compétitives (comme une rentrée littéraire par exemple, le stress des listes de Prix, la violence des chiffres de vente ou des critiques qui ne sont pas toujours aimables, etc), dans nos vies encombrées : le bonheur. Pas celui des autres ou du monde, non, le nôtre, le petit, l’immense, celui qui équilibre nos existences et nous harmonise. Frank Andriat (que je ne vous présente plus) ose un livre* simple, généreux ; un personnage, Selma, nerveuse comme un écrivain en ce moment, engagée parce qu’elle est belle et que certains patrons pensent encore que la beauté (le tour de poitrine et la courbe des fesses, en fait) permet d’obtenir des contrats, une femme perdue en elle-même, qui, par la grâce d’une rencontre un jour de grève de la SNCF, va remettre ses pendules à l’heure. (La rencontre s’appelle Grégoire, il travaille dans l’édition et, page 133, croise un autre Grégoire, ce qui est assez drôle vous verrez). Et il n’en faut pas plus à Frank pour nous dérouler son histoire, sa chanson d’amour de la vie et du présent, un conte d’apparence légère, à contre-courant de tout ce qui vient d’être publié, et que j’ai lu avec joie comme on reçoit une brise vivifiante un après-midi d’orage. Un livre que tous les écrivains qui espèrent un Prix d’automne devraient lire. Histoire de se détendre.
*Le bonheur est une valise légère, de Frank Andriat. Éditions Marabout. En librairie depuis le 23 août 2017.
Un été pourri.
Rentrée littéraire 2017. Summer est un prénom, celui d’une jeune fille de dix-neuf ans qui disparaît un été, un jour de pique-nique au bord du lac Léman, dans les fougères, les arbres, dans le vent et dans l’eau ; personne ne sait. Summer est l’histoire de Benjamin, que la disparition de sa grande sœur va obséder pendant vingt-cinq ans, jusqu’à la dépression, jusqu’à l’hallucination. Summer est la peinture d’un monde perdu (ou alors, je ne l’ai jamais trouvé) où tous les hommes sont riches et ont le torse large et bronzé et toutes les femmes sont belles et ont des jambes interminables et bronzées.
L’image de couverture de Summer ressemble à celle d’un thriller. Les mots de la quatrième de couverture aussi.
Et pourtant.
Monica Sabolo s’empare d’un sujet vieux comme le monde du roman d’aventure : la disparition. Mais au lieu d’en mener la huit cent sept millionième enquête (quoique La fuite de Monsieur Monde, de Simenon, La balade entre les tombes, de Block, restent des merveilles absolues), elle nous emporte ailleurs – comme Virgin Suicides avant elle, comme Pique-nique à Hanging Rock. Elle nous entraîne dans une poésie désenchantée, nous plonge dans une incapacité à laisser tout à fait l’enfance derrière nous pour enfin grandir, et nous offre une incroyable musique de mots qui, justement, peuplent l’absence.
Car il n’est jamais question de retrouver ce qu’on a perdu, mais de savoir ce qu’on a vraiment perdu. Et Monica l’a trouvé.
Cela s’appelle l’innocence.
*Summer, de Monica Sabolo. Éditions Lattès. En librairie le 23 août 2017. Deuxième liste du Goncourt 2017.
Prendre le temps de prendre le temps.
Rentrée littéraire 2017. Voilà un livre étonnant de la part d’un « réalisateur de profession » (dixit la quatrième de couverture) parce qu’aujourd’hui le rythme des films est plutôt rapide, parfois addictif, et que L’Enfant-Mouche* est un roman d’images d’une langueur perdue, oubliée même, et qui doit sans doute cette lenteur à son écriture au présent qui, par définition, s’offre le luxe du temps, au fait qu’il raconte la vie d’une petite fille sous l’Occupation et que l’Occupation, dans un village champenois, vécue à hauteur d’enfant, c’est bien long, mais surtout, me semble-t-il, parce qu’elle est, cette vie, « inspirée de l’enfance de ma mère. Une longue histoire, trouble, proche de la fable, que ma mère nous racontait autrefois et dont l’évocation la faisait presque toujours fondre en larmes » (Note de l’auteur, page 7) et que lorsqu’on retrouve sa mère, on ne veut surtout plus la perdre.
L’Enfant-Mouche est donc avant tout un roman sur le temps ; celui que prend la petite Marie pour grandir, pour voir, pour ressentir le monde cruel des hommes, désenchanté des femmes, indifférente qu’elle est encore au fait qu’ils soient français ou allemands, puisque c’est alors la faim, cette impérieuse salope, qui commande, puisque perdre un œil n’est rien « surtout si l’œil perdu vous a sauvé la vie » (page 403), puisque l’enfance est encore le pays de tous les rêves possibles, malgré les couvre-feu, les sirènes, le bruit des bombardiers, les mots menteurs des adultes.
Philippe Pollet-Villard, auteur de trois autres romans** et d’un fabuleux court-métrage***, nous offre ici l’anti Jeux interdits, un texte d’images et de scènes d’une belle poésie sombre, grave parfois, teinté de moments de grâces pastorales qui valent le temps d’être découvertes.
* L’Enfant-Mouche, de Philippe Pollet-Villard. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 23 août 2017.
**L’homme qui marchait avec une balle dans la tête (2006), La fabrique de souvenirs (2008) et Mondial Nomade (2011), tous chez Flammarion.
*** https://vimeo.com/55105153