Voici un roman* qui a la densité d’un recueil de poésie, le format d’un bréviaire, la légèreté de quelques soupirs ; voici une poignée de terre humide encore, quelques brins d’herbe que le soleil chauffe à peine ; voici un scooter qui fonce dans les tunnels d’arbres, emportant un écrivain, le conduisant, alors qu’un cerf menace de surgir, dans cette maison centenaire où il va émietter les mots comme on touille une couleur sur une palette ; voici un texte taillé à la poésie, comme les doigts crevassent la glaise, un texte qui germe comme des grains ; voici une magnifique improbabilité, celle d’écrire et celle de vivre, celle de retenir et celle de laisser aller ; voici un livre à la finesse d’une dentelle bretonne, qui couvre et dévoile à la fois la grâce d’écrire et sa volubilité ; voici des mots que le vent emporte, ne laissant que l’immense et magnifique vide des choses à venir.
*Terre d’encre, de Marine Kergadallan. Éditions Diabase. En librairie le 3 mai 2017. Profitez-en pour (re)découvrir son très beau premier roman, Le Ciel de Célestine.
Author Archive | Grégoire Delacourt
Des silences, des hommes, et une femme.
J’ai rencontré Carine Marret à Lire à Limoges, il y a peu de temps. Lors du dîner du vendredi soir. C’est toujours étonnant de se retrouver attablé avec des auteurs qu’on ne connaît pas*. On se sent souvent un peu impressionné – enfin, moi, en tout cas. Bref, une fois les présentations faites, Carine m’apprit qu’outre avoir écrit un livre sur Romain Gary, elle venait y présenter son dernier livre au titre très beau**, le cinquième opus de Tempus Fugit (du nom des deux charmantes rattes du commissaire dont elle écrit les enquêtes depuis 2011). Je m’intéressai à son travail et très gentiment, elle me proposa de m’adresser son livre. Je le reçus quelques jours plus tard et le lus pratiquement d’une traite. Quelle joie. Enfin un polar, qui est, comme le rappelle le CNRTL, un texte « relatif à la police ; qui est le fait de la police ou de certains membres de la police », comme les écrivait si bien Simenon – lequel hante avec bonheur le livre de Carine. Mais revenons au texte. Quelle joie, écrivai-je ; enfin un polar sans triangulation, sans GIGN, sans RAID, sans Kalachnikov, sans hystérie, sans rebondissements improbables, juste une enquête humaine sur des hommes faibles, gangrénés par le pouvoir, l’ambition ; sur l’immense petitesse des hommes, sur fond de tragédies actuelles (attentats, Syrie, politique balbutiante de nos chers dirigeants) racontée avec expertise, sans cynisme, comme le faisait si bien Giroud dans Le bon plaisir. Carine nous offre un vrai divertissement qui lorgne davantage vers l’humanité d’un Simenon que la folie d’un Grangé, une enquête ouatée, servie, et c’est là où j’ai été le plus séduit, par une écriture très belle, ciselée comme une dague vénitienne. Voire un pistolet de jarretière. Vivement l’opus 6.
* Ceci dit, en plus de Carine, il y avait le facétieux Pierre Vavasseur, l’élégant Édouard Moradpour, la joyeuse Jézabel Akriche, le pince sans-rire Arnaud Friedmann, le très érudit et très drôle Laurent Demoulin et moi.
*Des silences et des hommes, de Carine Marret. Éditions du Cerf. En librairie depuis février 2017. (Photo ci-dessus, Yann Cramer).
Avec qui la (probable future) Première Dame s’endort-elle ?
Réponse dans Paris Match cette semaine, page 44 !
Rouge amer.
J’aime bien Anne-Sophie Stefanini. Il y a en elle quelque chose des beautés de Raphaël. Une pâleur. Une grâce. Une fragilité forte. Elle est une belle éditrice. Et un bel écrivain. Son nouveau roman, Nos Années rouges lui ressemble. J’y ai déambulé dans ses pages, dans ces ruelles tracées par les lignes de ses mots posés, comme Catherine, son personnage, baguenaudait et se perdait dans les rues d’Alger – des tentacules. J’y ai, dans l’écriture, retrouvé l’élégance désinvolte de celle d’un Drieu La Rochelle, celui du Feu Follet, j’y ai reconnu cette langueur, cette nonchalance, malgré le mal qui rôde, tous les démons – j’y ai entendu une gnossienne de Satie, comme dans le film envoutant qu’en a tiré Louis Malle. J’y ai rencontré des amants perdus dans son livre, des rêveurs d’une Algérie nouvelle, et même une étudiante qui rêvait d’Italie, écrira une lettre fabuleuse à Catherine, sa prof, et trébuchera sur d’autres rêves, et je n’oublierai aucun d’eux. J’y ai, dans les cafés, beaucoup fumé, beaucoup bu, jusqu’à redessiner les lisières des hommes. Je me suis cogné aux fantômes que je suppose d’Anne-Sophie : une mère qui part, un père qu’on ne peut pas décevoir, et j’ai retrouvé, pour un instant, la joie et la frayeur d’être un fils.
Nos Années rouges est un beau livre sur une laideur de l’histoire, sur la naissance d’une utopie, mais surtout, sur l’éclosion d’une femme qui, au fond, s’est promis la chose la plus difficile qui soit. La fidélité à elle-même.
*Nos Années rouges, de Anne-Sophie Stéfanini. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 9 mars 2017.
Chabadababoum.
Voici un premier roman joyeux et triste à la fois.
Joyeux dans l’écriture pétillante, débordante, envahissante parfois (il est vrai que lorsqu’on écrit un premier roman on y met le maximum de mots parce qu’on a peur d’en faire deux d’un coup : le premier et le dernier). Et triste dans le propos (bien qu’on n’y parle essentiellement que de cul – et c’est peut-être pour ça, d’ailleurs).
Victoire et Nicolas se rencontrent le 12 juillet 1998 (les fans de foot apprécieront – 3-0 contre le Brésil ça avait quand même de la gueule), paumés l’un et l’autre dans la médiocrité de leur jeune vie. On va les suivre un bon quart de siècle, à la manière d’un film de Lelouch, on croisera Mitterrand, les bulles Internet, la canicule mortelle, les restos chinois à deux balles et un peu d’humanitaire bon teint ; les mots, comme la caméra du célèbre cinéaste, emberlificoteront les amoureux dans un quotidien si quotidien qu’il en deviendra ennuyeux, même l’arrivée d’un chat (en place d’un enfant) au nom râpeux de Ptolémée n’y changera rien. Les amoureux plongent dans d’autres bras ; lui dans ceux confortables, timides et doux, d’une sud-coréenne, elle, dans ceux de tous les mâles du monde rencontrés au hasard des hôtels de luxe qu’elle chronique pour une revue. L’amour est triste, le désir sans faim, le couple sans avenir : à 36 ans, Marjorie Philibert nous fait son petit Belle du Seigneur désenchanté – sans l’exotisme céphalonien. Un Lelouch tourbillonnant et mélancolique, mais qu’il est quand même agréable de voir pour comprendre une certaine jeunesse française.
*Presque ensemble, de Marjorie Philibert. Éditions Lattès. En librairie depuis le 4 janvier 2017.
Tout va très vite.
Découvert à Québec. Un livre* bref comme est brève la vie. 265 morceaux de vie en 140 lettres maximum. Une Jean-Louis Fournier québecquoise. Un régal.
*La vie est brève – historiettes, de Chantale Gingras. Éditions L’Instant même, Québec,
Une nouvelle-née.
Découvert à Québec. Voici un premier roman* qui ressemble furieusement à un fleuve charriant les mots comme l’eau charrierait des troncs d’arbres, des feuilles, des boites de conserve, des cannettes, des chapeaux, des chaussures, des corps, même.
Marlène Mathalie semble avoir jeté tous les mots possibles dans son livre, comme on se jette dans une bataille – celle de l’héroïne, quarante-cinq ans, enceinte d’un homme plus jeune, dont la grossesse réveille l’effrayante beauté de la maternité, renvoie à l’image omniprésente de sa mère (dieu que les mères parfois sont compliquées) et fait se poser ces questions auxquelles l’absence de réponse est justement la réponse. Il semble que ce tumulte qui bouleverse chaque page de ce court roman annonce, non pas l’enfant attendu, un corps qui s’ouvre et délivre, mais bien la naissance du livre lui-même, la joie d’un écrivain qui s’accouche et couche son amour de l’écriture au cœur des pages, comme un baiser au creux du bras grassouillet d’un nouveau-né.
Ma pierre d’affection, si elle définit, selon Le Littré, « une pierre curieuse et plus particulièrement un diamant de couleurs vives et riches », est le nom léger et lourd à la fois que Marlène a donné à son beau premier né.
*Ma pierre d’affection, de Marlène Mathalie. Éditions Société des Écrivains, Québec, Canada.
Ceux qui restent.
Impossible de quitter Québec sans avoir lu un auteur (une auteure comme on dit ici) importante et épatante. Marie Laberge (qui aime à écrire au bord de l’eau, sur « sa berge », comme elle le précise parfois). J’ai dévoré son magnifique et triste Ceux qui restent, le roman d’un disparu, Sylvain Côme, suicidé en avril 2000, envolé quand le printemps éclos, sans raison, sans explication, sans rien d’autre que le silence derrière lui pour adieu à ceux qui restent et qui témoignent tour à tour leur vide, leur sidération, leur amour, leur chagrin, leur incompréhension et même leur désir encore de lui ; écoutez Charlène, derrière le comptoir de son bar, Charlène sa maîtresse, parler de sexe avec lui, d’amour et de faim. Ceux qui restent est un roman d’atmosphère, de poussières et de lumières, une danse de particules de vie quand une vie s’efface ; un roman lancinant illuminé d’une langue tourbillonnante ; un roman d’hommes et de femmes rares comme on en rencontre tant ici, à Québec.
*Ceux qui restent, de Marie Laberge, au Canada aux Editions Québec Atlantique et en France aux Editions Stock.