Author Archive | Grégoire Delacourt

Les Séances.

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Sous le titre, en place de roman, on aurait pu écrire fragments, tant les courts chapitres du très beau livre* de Fabienne sont des morceaux de choses, des images saupoudrées, des bouts de pellicule 35 mm qui évoquent les sensations d’une enfance, les odeurs d’une maison, les couleurs passées d’une vie.
Comme dans son précédent livre, Mon âge**, Fabienne traque l’alentour des âmes féminines (les hommes sont absents dans celui-ci, ou alors morts à la guerre) à coup de pinceaux impressionnistes, de mélanges inédits, de couleurs nouvelles. Elle dépeint la mélancolie sans la douleur de la mélancolie et la joie, sans l’exubérance de la joie. Ses choses sont à la fois graves et légères et font des Séances un voyage dans l’intime, dans la trajectoire d’une femme le temps d’un long voyage en automobile, sur l’autoroute qui la conduit auprès de sa sœur, à la frontière franco-allemande ; sa sœur qui, elle aussi, se révèle au travers de « séances » où elle soigne les gens avec d’inattendus bouquets de mots.
C’est dans l’exiguïté de l’habitacle de l’auto que se déploie la force du livre, dans cet endroit privé, préservé – comme un confessionnal – que les souvenirs vont surgir et redessiner un futur apaisé.
C’est un livre envoûtant comme un parfum, un de ceux, magnifiques, dont ne peut pas jamais tout à fait raconter l’histoire, mais juste la ressentir, au plus profond de soi.
Prenez votre ticket ; vous ne serez pas déçu du voyage.
Comme il me semble, à la relecture de ces lignes, que mon point de vue peut vous sembler un peu abstrait, je vous joins la critique moins énigmatique de Version Femina.

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*Les Séances, de Fabienne Jacob. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 3 octobre 2017.
**Mon âge, éditions Folio.

Faye est unique et ils sont deux.

Difficile de parler d’un livre1 qui fut encensé avant même sa sortie, qui rafla les premier2 et dernier3 Prix littéraires de la saison, qui est celui qui se vendit le mieux dans une période atone pour les libraires, écrit par un chanteur de slam et de rap, né de père français, de mère rwandaise, – adolescence à Versailles au lycée Jules Ferry, avant d’aller officier à Londres dans un fonds d’investissement pour finalement se consacrer à la chanson et à un premier formidable roman qui met en scène la jeunesse d’un gamin à Bujumbura (Burundi) sur fond de guerre entre les Hutus et les Tutsis, écartelé entre des racines blanches et des racines noires. À noter la scène incroyable où la maman raconte sa découverte de trois cadavres d’enfants, morts depuis longtemps, et qui s’émiettent quand elle tente de les prendre.
Je vous parlerai donc d’un autre Faye et de son sublissime Nagasaki4 qui, en son temps, remporta le Grand Prix de l’Académie Française, et, accessoirement, me procura une grande claque. L’histoire de Shimura-san qui mène une existence vide, vit seul, mange seul, dort seul et, un jour, a l’impression que des choses bougent dans la maison. Un yaourt disparaît. Le niveau du jus de fruit baisse dans la bouteille. Et il installe une webcam. Je ne vous en dirais pas plus sur la beauté littéraire, la construction parfaite de cette histoire inspirée d’un authentique et terrible fait divers. Ce genre d’histoires vraies qui en dit si long, et de façon si crue, sur l’immense désespoir des uns, parfois.

  1. Petit Pays, de Gaël Faye. Éditions Grasset. En librairie depuis le 24 août 2016.
  2. Prix du roman Fnac 2016.
  3. Prix Goncourt des Lycéens 2016.
  4. Nagasaki, d’Éric Faye. Éditions Stock, sorti le 18 août 2010. Et chez J’ai Lu depuis le 5 octobre 2011.

Les étoiles ne s’éteignent jamais. (Ou alors, c’est parce qu’on ferme les yeux).

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Je n’avais, à l’époque de sa sortie, pas lu ce livre que tout le monde lisait alors, dont tout le monde parlait – un fait divers qui fit toutes les Une. Au hasard, Le Parisien du 12 août 2008 : « C’est abominable. Yves Armand, le maire de Saint-Restitut (sud de la Drôme), ne trouve pas d’autres mots pour qualifier la mort de deux fillettes dans un incendie vers 1 heure hier. Les bébés, Paloma, 14 mois, et Pénélope, 26 mois (…) dormaient à l’étage, les grands-parents au rez-de-chaussée. C’est le crépitement des flammes qui les a réveillés. Ils se sont précipités dans l’escalier pour sauver leurs petites-filles. Malgré la violence de l’incendie et la fumée, le grand-père a tenté de pénétrer dans la chambre, mais brûlé au visage, il a dû reculer. Sur place, les 25 pompiers n’ont pu que constater le décès des enfants ».
Il n’y a pas de mots pour ça.
Et pourtant, pendant quinze mois, leur maman va trouver les mots, écrire, presque chaque jour, une lettre à ses deux étoiles.
Je suppose que tout a été dit en son temps sur ce livre : son émotion à vif, son chagrin, ses larmes inextinguibles, son interminable deuil. Je n’ajouterai rien parce que tout est juste.
Par contre, au-delà de l’abomination, pour reprendre le mot d’Yves Armand, ce qui m’a profondément, absolument, touché dans le récit d’Anne-Marie, c’est le portrait qu’elle infuse ici et là de son couple. L’amour immense pour « son mari, son amant, son ami ». Cet amour solide comme un roc contre lequel les plus puissantes tempêtes peuvent claquer mais qu’aucune ne parviendra jamais à briser.
Nos étoiles ont filé est avant tout cette histoire d’amour-là, rare, inexplicable, magnifique, entre un homme et une femme.
C’est dans cet amour inouï qu’ont vécu Pénélope et Paloma, c’est en lui qu’elles ont filé. Un récit de vie, où Anne-Marie et Luc laissent enfin partir en paix ceux qu’ils aiment. Le poète Joël Bousquet, n’avait-il pas écrit, un jour « Les morts nous quittent. Ils vont mourir ailleurs » ?

*Nos étoiles ont filé, de Anne-Marie Revol. Grand Prix des Lectrices de Elle 2011. Éditions Stock (2010) puis J’ai Lu (2011). Découvrez ici son très beau roman : Gaspard ne répond plus.

« Laisse les gondoles à Venise. »

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« Tiens, voilà un livre que j’ai adoré », m’a dit l’adorable Florence Mas du Livre de Poche. Et comme Florence a beaucoup de goûts en matière de livres, je m’y suis précipité.

*

«Derrière l’apparence d’une comédie, il traite de sujets forts, universels et de manière simple, c’est rare », commentait, admirative, sa productrice, Isabelle Grellat, à propos de son film « L’Étudiante et M. Henri ».
Ivan Calbérac est, ai-je appris, réalisateur, scénariste, producteur, auteur de théâtre et écrivain –Venise n’est pas en Italie* est son premier roman.
Une apparence de comédie donc (le premier grand amour d’Émile, quinze ans), un sujet fort (la fin de l’enfance), universel (la famille, les désillusions), de manière simple (c’est écrit comme on parle), je ne sais pas par contre si c’est rare, chère Isabelle Grellat, c’est en tout cas rudement agréable.
Venise n’est pas en Italie est un livre confortable, une couette dans laquelle on s’enfonce, bien calé, pour écouter une histoire bien troussée, drôle parfois, émouvante souvent, pas tout à fait neuve puisqu’elle nous rappelle nos premiers ravissements, nos mains moites, nos chaussettes trouées au pire moment. Calbérac nous offre un voyage en caravane dans nos souvenirs, jusqu’à Venise si belle quand on y va retrouver quelqu’un, si triste quand on l’y perd.
Foncez (même à 80 km/h comme Émile et ses parents sur l’autoroute, la caravane au cul de la voiture) : les mots de Calbérac sont beaux comme un élégant bouquet, un de ceux qui ne faneront jamais.

*Venise n’est pas en Italie, de Ivan Calbérac. Éditions Flammarion, en librairie depuis le 11 mars 2015. Et au théâtre, dans une épatante adaptation de l’auteur, un spectacle salué par toute la critique (très chic, non ?).

Des lendemains qui chantent.

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Bien sûr, il doit y avoir 130 histoires toutes bouleversantes, et peut-être même 543 si l’on ajoute celles des blessés du 13 novembre 2015, au Bataclan, à la Belle Époque, au Comptoir Voltaire, au Stade de France, au Café Bonne Bière, au Petit Cambodge, enfin, on s’en souvient tous.
Parmi elles, celle d’Aurélie Silvestre* : « J’ai bien conscience, avec mes cheveux blonds, mon gros ventre et ce rouge sur mes lèvres, d’avoir une tête de symbole » (page 205).
Aurélie Silvestre est enceinte, elle reste seule avec leur fils Gary ce funeste soir, tandis que l’homme de sa vie et père de ses enfants, Matthieu Giroud, vient de partir au Bataclan.
A 21 h 46 et quelques, il prend une balle dans la tête.
Passage à la télévision, rencontre avec un éditeur, l’envie d’écrire affleure, les mots poussent, « C’est une belle place, un livre, pour un mort » (page 267), et voilà un cadeau fait à Matthieu, à Gary et à Thelma née après le carnage, un cadeau de mots doux, sans colère ni haine ; un bouquet de mots comme un bouquet de printemps, qui sèment l’impérieux besoin d’être vivant, d’être heureux, d’être ensemble.
La grâce absolue du texte d’Aurélie Silvestre est là. Elle relègue la laideur et donne à voir la beauté du monde, même au travers du trou fait dans le crâne de l’homme qui était votre vie même.

*Nos 14 novembre, de Aurélie Silvestre. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 novembre 2016.

Un beau bordel.

C’est la première fois que j’ai ressenti, après la lecture d’un livre, le besoin de regarder ici et là quelques commentaires à son propos. Non pas que je cherchai une quelconque inspiration pour en rendre compte, mais parce que je fus singulièrement perplexe.
Je ne savais pas si mon indétermination était simplement de mon fait ou si, au contraire, elle était partagée.
Elle l’est, semble-t-il.
La Jeune épouse* est un texte envoûtant et ennuyeux. Et si j’en parle, moi qui n’écris jamais de mal sur un livre, si j’assume l’ennui de celui-ci, ses langueurs parfois agaçantes, ses multiples et brusques changements de point de vue narratif qui semblent parfois gratuits, c’est que son côté envoûtant l’emporte malgré tout.
Il s’agit à la fois d’une histoire d’initiation sexuelle, aimablement érotique, d’une jeune fille de dix-huit ans tout juste débarquée d’Argentine au début du siècle dernier pour épouser « Le Fils » (elle connaîtra un grand nombre de gens qui lui veulent du bien, et un bordel de rêve), doublée d’une brillante manipulation sur l’art d’écrire, de changer les règles, de se jouer de ses personnages et de l’objet « livre » lui-même qui s’écrit ailleurs.
C’est là le formidable talent de conteur d’Alessandro Baricco que j’aime depuis l’éblouissant Soie** ; sa capacité inouïe à nous emporter derrière les livres, là où, jusqu’ici, seuls les auteurs avaient accès.
La Jeune épouse est donc un magnifique livre avec ce qu’il y a parfois d’un peu chiant dans un magnifique livre.

*La Jeune épouse, Alessandro Baricco. Éditions Gallimard, coll. « Du monde entier ». Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro.
En librairie depuis le 1er avril et en Kindle sur lequel je l’ai lu, à Chilmark, Massachussets – où il n’y a pas de bordel.
**Soie, du même auteur, en Folio.

Natascha Kampusch, le retour.

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Si vous avez manqué le début. 2 mars 1998. C’est un lundi. Il est 7 h 15, une écolière de dix ans marche vers l’école quand une fourgonnette blanche s’arrête à sa hauteur. Un homme en sort, l’attrape, la jette vivement dans le véhicule et démarre en trombe. Natasha Kampusch restera 3096 jours (soit huit ans et demi) entre les mains de son ravisseur, Wolfgang Přiklopil.
Le 23 août 2006, elle s’échappe en courant, et le kidnappeur court se jeter sous un train.
Kampusch a raconté son histoire dans un livre 1 paru en France en 2010. Je me souviens d’un livre touchant, pudique, qui m’avait bien plu (façon de parler) et surtout fait penser au très beau Twist 2 de Delphine Bertholon, qui racontait le kidnapping de Madison Etchart, 11 ans, enlevée au retour de l’école, mais une fiction, cette fois-ci.
Six ans après, Kampusch revient avec 10 ans de liberté 3 – qui aurait pu s’intituler « 3665 jours ». C’est un livre déroutant, curieux, dans lequel elle raconte ses dix dernières années, entre la sur-médiatisation (qu’elle a souhaité) et la méchanceté d’un grand nombre de ses concitoyens (qui lui reprochent sa sur-médiatisation). Un livre froid. Déshumanisé. Mais est-t-on encore humaine après 3096 jours de captivité, d’humiliations, de coups, de viols, persillés de rires parfois, de petits cadeaux, et au fond, parfois, d’un étrange bonheur.
On apprend peu de choses, qui n’étaient déjà dans son précédent livre. On devine le syndrome de Stockholm – sa pudeur à le taire dans le premier livre est devenue ici de la colère. On voit une jeune fille grandir dans une société qui ne l’aime pas et tient absolument à ce que les victimes le restent, car enfin, si une victime peut devenir riche et heureuse, que peut-on dire alors aux bons petits autrichiens qui ne le seront jamais ? (Tout cela se passe dans ce merveilleux pays qui fut celui de Sissi Impératrice et qui s’apprête à élire un président d’extrême-droite).
En refermant ce livre on se demande si Natascha Kampusch ne vient pas de passer dix ans dans une autre prison. Celle de la méchanceté. Et probablement, aussi paradoxal que cela puisse être, de la jalousie.

  1. 3096 jours. Éditions Lattès (2010). Éditions Le Livre de poche (2011).
  2. 2. Twist, de Delphine Bertholon. Éditions Lattès (2008). Éditions J’ai Lu (2010).
  3. 10 ans de liberté. Lattès, toujours. En librairie depuis le 28 septembre 2016.

Selon Lydie.

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« Comment parler d’un tel bijou* ?
Pour moi, ce n’est pas un diamant, mais le Koh-i-noor.
Depuis Duong Thu Huong  et Almudena Grandes, je n’ai pas lu de roman étranger aussi envahissant mon quotidien. Aspirer à rentrer chez soi pour être en empathie avec Christmas, Ruth, et tous les autres.
Une saga qui m’a emportée une semaine, que je n’avais pas envie de lâcher et pourtant, pas envie de terminer.
Ce roman va être occulté par la Rentrée Littéraire, mais je vous en parlerai longtemps…
PS. Années 1906-1930. Italie – Amérique – New York – Manhattan – Los Angeles. Les gangs – le Cinéma – Hollywood – l’amour – La prostitution – la débrouille – le respect – l’homme.
LA VIE, quoi. »
Lydie Zannini, (grande dénicheuse de grands talents), Librairie du Théâtre à Bourg-en-Bresse.

*Le Gang des rêves, de Luca di Fulvio. Éditions Slatkine & Cie. En librairie depuis le 2 juin 2016.