Author Archive | Grégoire Delacourt

Du bon, du beau, Dubois.

Rentrée littéraire 2016. Voici un texte* d’une furieuse mélancolie, dans lequel on retrouve la grâce d’Une vie française que j’avais, pour ma part, trouvée un peu perdue dans Le cas Sneidjer (bon, ceci dit, je confesse n’avoir pas encore tout lu de Jean-Paul Dubois et avoir bien ri avec son Vous plaisantez, monsieur Tanner).
Bref.
La Succession possède la beauté, la pureté d’un premier roman.
Il est la courte vie (44 ans) de Paul Katrakilis, basque et joueur de pelote basque, exilé à Miami, où les jeux enivrent les parieurs, où la mode du Jaï Alaï perdure depuis 1004, où, je cite « Au bar, Sinatra gesticulait en levant les bras, Dickinson, Cage et Newman, eux, étaient debout, brandissant leurs tickets de paris… », Paul, fils de médecin suicidé, lequel consultait en slip et avait parfois recours aux fioles de pancuronium par amour de l’humanité.
À Miami, Paul rencontre Ingvild Lunde, patronne de diner, vingt ans de plus que lui, mais qu’importe, c’est l’amour fou.
Au faîte de sa gloire sportive et de son amour pour la Norvège, comme il appelle Ingvild, le voilà rappelé en France pour l’enterrement se son père. Les funérailles (drôlissimes, donc absolument déprimantes) réveillent mille démons en lui, mille amertumes tandis qu’à Miami commence une grève qui fera dire à Serge Camy : « En 1988, six ans après mon départ, ils ont fait cette grève qui a duré 1 an pour obtenir de meilleurs salaires. Les Jaï Alaï ne s’en sont jamais relevés. Il y a eu des piquets de grèves où les clients se faisaient insulter (…) ils ont tué la poule aux œufs d’or. Adieu la Chevrolet, le soleil et les nanas ! » Paul ne peut retourner jouer à Miami et décide de reprendre le cabinet de son père.
Cela va durer dix ans.
L’amitié américaine avec Joey, la passion de la pelote basque, l’amour qu’il garde toujours pour Ingviled, le démangent tout ce temps. Et le voilà qui retourne là-bas. Mais le monde, et les gens ont changé.
À retourner au bonheur de son enfance, on risque de se prendre la violence du réel dans la figure, et c’est cette naïveté bouleversante qui est l’encre de ce livre, qui me fait dire qu’il a la grâce d’un premier roman.
La Succession n’a aucune arrière-pensée, aucune volonté d’en démontrer (même lors d’une « Rentrée littéraire »), il est, sous couvert de beaucoup de joyeusetés, un livre d’une sincérité bouleversante.

*La Succession, de Jean-Paul Dubois. Éditions de L’Olivier. En librairie depuis le 18 août 2016. Et sur Kindle sur lequel je l’ai dévoré à Brooklyn, à 2061 km de Miami et 6308 km de Biarritz.

Dans Flavie, il y a vie.

Flavie Flament

De tous les très beaux chapitres du livre* de Flavie Flament, il en est un qui me semble parfaitement résumer son propos, il est intitulé Ça mord !, page 227.
On y voit Flavie, à peine quinze ans, « dans son ciré trop grand troué aux poches, bottes au pieds », elle a esché son hameçon d’une crevette grise, elle a lancé sa ligne au milieu des pêcheurs hilares, elle est près de son père, plus loin son petit frère fait le guignol, et soudain, ça y est, ça mord !, le silence se fait, les pêcheurs s’approchent, curieux, et là où on s’attend à un petit éperlan, c’est un bar qui apparaît, un gros bar, magnifique, « du jamais vu au bout de la digue », et pour la seconde fois du livre, et sans doute de son enfance, Flavie crie de joie.
La petite crevette grise, c’est elle.
Le bar, les hommes.
Et la pêcheuse, sa mère.
La plus grande violence faite à l’enfance de Flavie, c’est sa mère.
Sa mère, fumeuse de Gitanes, buveuse de kirs, un joli sourire, un ennui abyssal dans sa petite vie contentinaise, et qui fait de sa petite un hameçon pour alpaguer les hommes – c’est le terrible chapitre Aux Champs-Élysées (page 159) lesquels n’ont soudain plus rien de la légèreté d’une aimable chanson de Dassin.
Cette mère qui laisse les bars dévorer le petit hameçon, qui ferme les yeux, qui encourage même, et l’offre : « À 14 heures, elle a viol » (page 121).
Un viol. Un Polaroïd.
Flavie nous livre le drame de son enfance, sans violence, sans haine, presqu’en douceur.
Elle ouvre pour nous l’album de son chagrin. Elle nous dévoile quelques images. On reconnaît, sans qu’elle ait besoin de le nommer, le prédateur, « le grand photographe connu, reconnu ». On découvre une jolie gamine qui voulait juste voir sa maman sourire. On assiste à l’éclosion d’une adolescente qui veut enfin croire que le bonheur « c’est possible ».
Ceux qui rechercheront les potins en seront pour leurs frais. La Consolation est le livre d’une femme rescapée, en vie, doublée d’un véritable écrivain.
Il est un règlement de paix que s’offre Flavie, au terme d’un long combat avec tous ses fantômes. Il est un enfin cadeau qu’elle fait à toutes les gamines comme elle abusées, emmurées dans les silences.
Ouvrir ce livre, c’est laisser leur parole s’envoler.

*La Consolation, de Flavie Flament. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie ce matin.

PS. Six semaines après la parution du livre, le photographe David Hamilton, 83 ans, jamais cité dans le texte, mais accusé plus tard à la télévision par Flavie Flament d’être son violeur, se suicide. Il est retrouvé mort ce vendredi 25 novembre à son domicile parisien, selon des sources policières, confirmant une information d’Europe 1.

Un sale livre.

frank-andriat

(Pendant la) Rentrée littéraire 2016. Un sale livre*, sale comme sale mec, sale con, sale arabe, sale pute, est bien sûr à mettre entre toutes les mains. Ce sale livre, c’est celui qu’une prof fait lire à sa classe de français. Et comme il s’agit de l’itinéraire d’un jeune réfugié syrien, victime de Daech, d’Alep à Mulhouse, un étranger quoi, ça coince avec certains élèves. Avec certains parents. Avec certaines peurs. Avec certaines hontes.
Frank Andriat est lui-même professeur – à Bruxelles. Et auteur de nombreux textes. Je l’ai bien souvent rencontré. C’est un homme doux ; de cette douceur qui est une bienveillance permanente, et qui consiste à systématiquement voir le verre à moitié plein.
Cet amour du monde et des autres qui fait son charme, affleure à chacune des pages de son dernier roman.
Et si le prétexte est malin (faire lire et voir un livre de plusieurs points de vue), le but de Frank est brillamment atteint : démontrer que la littérature, à défaut de changer le monde d’aujourd’hui, peut au moins construire celui de demain.

*Un Sale livre, de Frank Andriat. Éditions Mijade. En librairie à partir du 20 octobre 2016.

L’auteur qui mesurait la bêtise de Bruxelles (entre autres).

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Rentrée littéraire 2016. Voici une belle histoire. Une amitié entre un petit autiste et un architecte retraité qui revient en Grèce, sur l’île de Kalamki, finir le travail de sa fille morte dans un théâtre antique : la recherche du Nombre d’Or.
Le gamin, Yannis, est surdoué avec les chiffres. Il les retient tous, comme ce brave Rain Man, même les inutiles, et se pose en gardien mathématique de l’ordre du monde.
Le vieil homme, Elliot, a une approche plus poétique et tente de tracer des lignes qui emmènent vers l’avenir.
Je me souviens de cette phrase d’Alexandre Jardin (je crois) dans Fanfan (je crois) : « La mathématique permet d’approcher l’exactitude, la poésie, d’approcher la vérité ». Leur rencontre se situe là. Au meilleur de chacune des deux disciplines.
Le fond de l’histoire est simple. Sur cet île deux projets s’opposent : la construction d’un immense et luxueux complexe immobilier ou celle d’une une école sorte de phalanstère qui réunirait de brillants sujets et les préparerait à diriger le monde.
Mais au-delà des ingrédients d’une histoire à succès, ce qui m’a surpris (en bien), c’est que Metin Arditi (écrivain suisse francophone d’origine turque sépharade) ait fait de l’Europe un vrai personnage.
Il l’appelle Bruxelles.
Bruxelles fout en l’air la vie des habitants de l’île. Comme de toute la Grèce d’ailleurs. Comme de toute l’Europe, au fond. Car comment peut-on prétendre améliorer la vie des peuples quand on ne connaît pas leur histoire, leur poésie, leurs rêves, et qu’on préfère faire des commissions qui se réunissent pendant près d’une année pour conclure que les chasses d’eau doivent faire trois litres pour le pipi, quatre pour le caca – et quand on sait qu’en Angleterre, pour le caca, c’est cinq litres, on comprend qu’ils se soient barrés. Bref.
L’Enfant qui mesurait le monde est une superbe fable, bien nécessaire en ces temps de perdition.

 *L’Enfant qui mesurait le monde, de Metin Arditi. Éditions Grasset. En librairie depuis le 24 août et sur Kindle où le l’ai lu – à Menemsha, Massachussets, sur la plage où Spielberg a tourné Jaws.

Lire Sophie B.

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Rentrée littéraire 2016. Il est beaucoup question de poules, poulets et poulettes dans le nouveau roman de Sophie Bassignac.Les gallinacées ont des prénoms, Bella Vista, Finoreille, Pepita Lemon « cuisinée comme une offrande et en croûte de sel » (page 32) et Jung ran (mangée page 33).
Et les humaines ne sont pas en reste : Henriette (quatre-vingt trois ans), Suzanne, Catherine (reine de la lingerie), Barbara (romancière méconnue), Isabelle (héroïne et nymphomane) et Noémie (apprentie sainte).
Depuis toujours, mais surtout depuis Un jardin extraordinaire et Comédie Musicale, Sophie Bassignac nous a habitué à son univers de familles de doux-dingue. On pensera ici, avec la rencontre des Pettigrew et des Réveillon, à celle, explosive, des Vanderhof et des Kriby dans Vous ne l’emporterez pas avec vous du toujours très regretté Frank Capra.
On frôlera également les rives de l’humour « so british » d’un Jerome K. Jerome ou d’un Woodhouse.
Séduire Isabelle A. lorgne délicieusement vers la comédie de mœurs, celle qui épingle, gratte, et dérange les conventions familiales, le grand thème récurrent chez Bassignac, comme si, au travers de son militantisme pour faire accepter à la bourgeoisie de province, une autre vision du monde et des êtres, un droit à l’excentricité, « j’ai appris qu’il fallait parfumer les poules pour les protéger de la violence de leurs congénères. J’ai découvert qu’on pouvait faire de la poésie avec des culottes gainantes » (page 215), elle se battait pour ce droit fondamental au bonheur, à la sexualité joyeuse, et finalement cette chose qui semble lui tenir à cœur : être une femme qui peut, dans une famille tellement convenue, se réaliser en écrivant des romans.
Ne fait-elle pas dire à Pierre Réveillon, son héros, page 214 : « Je viens d’un monde où tout est à sa place » ?
Avec ce nouveau livre, elle vole dans les plumes bien rangées des bien-pensants, et ça fait rudement du bien.

*Séduire Isabelle A., de Sophie Bassignac. Éditions Lattès. En librairie depuis le 31 août 2016.

Reza in Babylone.

frank

D’Amérique, toujours. Dans le jouissif Babylone*, l’héroïne est fan de ce livre de Robert Frank, « (…) le livre le plus triste de la terre. Des morts, des pompes à essence, des gens seuls en chapeau de cow-boy  » écrit-elle. Ce matin, au General Store de Chilmark, j’ai vu des gens rire, des gens heureux. Bref.
Rentrée littéraire 2016. Le hasard fait drôlement les choses. Après la crudité de Jablonka (voir ci-dessous) qui narrait un vrai crime, voici la douceur de Reza qui raconte un faux crime. Celui de Jean-Lino, le voisin du dessus, attifé, blouson Zara moulant, mèche peroxydée qui lui recouvre le crâne d’œuf (sauf par grand vent), lunettes à montures jaunes, un étranglement de nuit, presqu’un baiser dans le cou.
Elizabeth, soixante ans, épouse de Pierre, ingénieur-brevets à l’Institut pasteur, invite des amis ce soir-là, dont le fameux Jean-Lino et sa compagne Lydie, chevelure orange, une gentille fille, portée sur les médecines douces, le bio et l’amour des animaux.
Cette soirée est un bijou de mots, comme l’étaient les scènes de Blake Edwards et quelques-unes des monstres italiens. Les invités n’ont pas grand chose à se dire et dans les silences tout est dit. Le mépris, la vacuité, la solitude. Et voilà notre Jean-Lino qui veut faire rire, qui raconte une scène désopilante dans un restaurant où Lydie, avant de commander un poulet tenait à savoir si ledit poulet avait eu une vie de poulet, s’il avant mangé des graines, dehors, au bon air, s’il avait volé dans un arbre. Ç’en est trop. Lydie, blessée, rentre chez elle (à l’étage du dessus). S’ensuit une scène avec Jean-Lino. On parle à nouveau poulet. Puis chat. Et il l’étrangle.
La douceur tragi-comique du livre commence là, lorsqu’il sonne chez Elizabeth à 3 heures du matin et lui demande de l’aider à se débarrasser du corps.
Reza nous fait alors les témoins privilégiés d’une amitié indicible, de deux magnifiques solitudes au firmament de l’humanité. Après la monstruosité de Meilhon, la naïveté de Jean-Lino est presqu’un bonheur.

*Babylone, de Yasmina Reza. Éditions Flammarion. Prix Renaudot 2016. En librairie depuis le 31 août et sur Kindle, où je l’ai lu chez Les Americans.

Quarante-quatre coups de couteau, entre autres.

Des États-Unis, où la littérature policière nous a offert des portrait inoubliables d’assassins, de serial killers et autres mad dogs, Ivan Jablonka nous rappelle, comme un Truman Capote en son temps, que la réalité est parfois absolument terrifiante.
Rentrée littéraire 2016. On se souvient tous de Laëtitia Perrais, dix-huit ans, kidnappée par Tony Meilhon, trente-deux ans, dans la nuit du 18 au 19 janvier 2011, à 50 mètres de chez elle, lardée de quarante-quatre coups de couteau, étranglée, démembrée, disséminée dans les décors glauques du coin, et dont on mettra douze jour à retrouver l’ensemble des morceaux – le buste en dernier. Meilhon prendra perpétuité (ce qui veut dire vingt-deux ans incompressible) et Sarkozy s’en prendra aux Juges avec son hystérie defunesienne habituelle. Fin.
Laëtitia ou la fin des hommes* est un livre troublant sur les filles et les femmes. Sur les violences dont elles sont victimes, dans le silence, l’indifférence ; dans ce quart-monde triste et irréel qui, mine de rien, pousse toujours plus, à quelques kilomètres de nos belles villes françaises, de nos centres richement piétonnisés, comme du chiendent, comme une boue.
Un livre triste et irréel lui aussi, parce que l’improbable conjugaison au présent qui tente de dire l’indicible, d’apercevoir l’invisible, possède une langueur désespérante. Ivan Jablonka, en sociologue, en historien, en véritable écrivain quoi, tente de reconstituer. De montrer. De nommer. Et cette tentative est terrible puisque seuls Laëtitia (jusqu’à un certain point) et Meilhon connaissent la vérité.
Il l’aurait forcée à lui pratiquer une fellation. Elle l’aurait interrompue. Elle l’aurait menacée de porter plainte pour viol. Il l’aurait poursuivie avec sa 106 volée, elle sur son scooter. Il l’aurait renversée, à cinquante mètres de chez elle, de la vie. Elle aurait été encore vivante lorsqu’il l’aurait mis dans son coffre. Il l’aurait étranglé, poignardée, découpée alors qu’elle était allongée sur le ventre.
Mettez tout cela au présent, vous verrez ce que je veux dire.
Laëtitia ou la fin des hommes est un livre important. Un récit glacial sur la fabrique d’un crime. Un reportage saisissant sur ces adolescentes baladées de familles d’accueil en tripotages sexuels mais qui continuent à croire à la bonté des hommes.
Je me souviens, petit, avoir vu le film Barabbas, avec Anthony Quinn, et même si je savais qu’à la fin la foule demanderait à ce qu’on crucifie Jésus, je ne pouvais m’empêcher de rêver que ce soit le nom de Barabbas qu’elle crie.
En lisant le livre de Jablonka, j’ai eu le même rêve.
Mais il n’y a rien à faire. Laëtitia est morte. Il y a des livres qui ne sauvent pas leurs héros. Ce sont les plus durs.

*Laëtitia ou la fin des hommes, de Ivan Jablonka. Éditions du Seuil. Prix littéraire « Le Monde ». Prix Médicis 2016. En librairie depuis le 25 août et en Kindle sur lequel je l’ai lu, à New York.

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Voyage, voyage.

De nouveau aux États-Unis pour quelques semaines. New York d’abord – évidemment. De là, un bref saut en train à Tarrytown où Dan Barber a créé Blue Hill (Stone Barns). C’est son interview dans Chef’s at Table, diffusé sur Netflix, qui nous a donné envie de découvrir si ce qu’il mettait dans ses assiettes était aussi bon que ses rêves.

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À gauche la petite gare de Tarrytown (comté de Westchester, dans l’État de New York). À droite, vous connaissez.