Author Archive | Grégoire Delacourt

Madame promène son cul*.

Madame

La Jacob emperruquée, seule dans du velours rouge, ambiance maison, michetons de la bourge, trouduculteurs, nous narre avec les mots choyés, niveau Nobel, d’un bébé* Audiard, sa bouseuse vie, arrivée à Paname, rencontre avec Landru, Henri-Désire s’il vous plait, ouvrière dans les bombes, à l’armistice mariée à un poilu par sens patriotique, lequel avait laissé une jambe, un bras, un bout de cervelet au champ d’Honneur, encloquée deux fois, qu’on retrouvaille chez une coutière. C’est sur les boulevards qu’elle rencontre le barbillon, un contingent de tirailleurs sénégalais à lui tout seul, bâton d’amour immense, inépuisable, qui repousse les limites du plaisir, et voilà Madame en maison, où la mère Maq est « comme une mère supérieure mais maquillée », quinze ans d’amour qui fatiguent, et puis la seconde de guerre, les boches polis, les fridolins friqués, la libération et l’écœurement. Madame devient Madame, gère son claque avec fermeté, mais c’est son troisième chiard, l’enfant de l’amour, qui la chavire. De poulette, la voilà mère poule. Le loupiot grandit au lait de la tendresse. Quand il a l’âge des poils, c’est l’Algérie. Il est dans les Aurès. Il y a du moche. De l’indicible. Ça se boucle sur une date. Un souvenir pourpre. Le 17 octobre 1961.
Madame* est servie par un texte remarquable d’humour et de cocasserie, enfant d’Audiard et de Janson, revêtue d’une Catherine Jacob au firmament du classieux, du vulgos retenu et de l’humain. Quatre-vingt minutes de bonheur, par les temps qui courent, ça se refuse pas. (Vite, ça finit le 20 décembre).

* Les remparts de Varsovie, Jacques Brel. **Rémi de Vos, Madame, suivi de Projection privée et de L’Intérimaire, Actes Sud Papiers (2011).*** Madame, mis en scène par Rémi de Vos, interprété par Catherine Jacob, Théâtre de l’œuvre à Paris.

Bonapartus.

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Le 7 janvier de cette année, les frères Kouachi dégainaient contre Charlie Hebdo, assassinaient douze personnes (dont huit collaborateurs du journal), en blessaient onze autres. Je suppose que le soir même, ou dans les jours qui ont suivi, Romain Puértolas a dégainé son stylo, ou ses petits doigts, pour écrire cette farce tragi-comique qui décongèle notre bon Napoléon Bonaparte et son fidèle mammifère herbivore, ongulé à sabots, Le Vizir, afin de venir à bout de Daesch (sic), acronyme de ad-dawla al-islamiyya fi-l-‘iraq wa-s-sam. Romain (garçon charmant au demeurant) s’est visiblement marré à écrire cette histoire qui crépite à la vitesse des balles d’une AK47 – mais qui tirerait des chamallows –, à composer cette petite armée digne d’un épatant casting de Robert Lamoureux, et à imaginer une guerre menée en burqa et en string (sous la burqa). À noter une scène tordante (comme dirait ma belle-mère) dans le bureau de l’Élysée, entre le grand Napoléon, 1,68 m et celui qu’on nommait alors Naboléon, 1,68 m sans ses talonnettes orthopédiques, sous le regard idiot et supérieur de Hollande, 1,74 m. Sous la farce, il y a évidemment un grand coup de gueule contre l’impossibilité de nos bons politiciens à agir, trop occupés qu’ils sont à leurs magouilles et la préservation de leurs postes, et auquel malheureusement, le 13 novembre (et le premier tour des régionales) vient violemment de gifler.

*Re-Vive l’Empereur, de Romain Puértolas. Éditions Le Dilettante. En librairie depuis le 30 septembre 2015. Merci à Brigitte Opigez pour m’avoir offert ce livre, et à toi Romain, pour ta super dédicace.

Sept ans de réflexion.

Antonio Garrido La scribe

Il y a fort longtemps, lorsque la télévision n’avait que deux chaines, il y avait un grand film le dimanche en début d’après-midi, sur l’une, puis au milieu de l’après-midi, sur l’autre. J’avais une dizaine d’années, je découvrais Gérard Philipe dans Le Rouge et le noir, La chartreuse de Parme, Fanfan la Tulipe, Jean Marais dans Le Masque de Fer, Le Bossu, Bobby Hyatt dans Les Aventure d’Hucklerry Finn. Je restais scotché devant l’écran en noir et blanc, je voyageais sans bouger, je m’évadais de tout, du retour au pensionnat le dimanche soir, des devoirs à rendre le lundi, des humiliations à venir au basket, j’étais emporté. C’est ce sentiment que je viens de revivre, quarante ans plus tard, à la lecture de La Scribe* d’Antonio Garrido – l’épopée d’une femme inoubliable dans la Franconie, à la veille du sacre de Charlemagne, en 799. Garrido a consacré sept ans de sa vie à ce livre. A l’arrivée, six cent trente pages haletantes autour du parchemin de la Donation de Constantin (qui devait assurer la pérennité de la chrétienté), d’aventures, de trahisons, de rebondissements, et d’amours venimeuses comme on les aime. Les soirées d’hiver sont longues, ça tombe bien.

*La Scribe, d’Antonio Garrido. Éditions du Livre de Poche. En librairie.

C’était mieux après ?

Avant après

Voici un petit livre* épatant. Ses 13,1 cm de large laissent penser qu’il se glissera facilement dans les chaussettes bientôt pendues aux linteaux des cheminées. Un livre écrit à quatre mains. Celles de gauche parlent d’avant, celles de droite, d’après. Elles comparent avec un humour brillant, par exemple Pif (avant) et Pokemon (après), le blouson noir (avant) et la caillera (après), la minijupe (avant) et le voile (après) ou encore Le Chasseur Français (avant) et Meetic (après). C’est un livre qu’il faut acheter (avant) les fêtes pour en profiter longtemps (après) parce qu’une chose est sûre en ces périodes troubles : on est mieux après l’avoir lu qu’avant.

*Avant/Après, de Carl Aderhold et Vincent Brocvielle (avec, avant, une très chouette préface de François Reynaert). Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 4 novembre 2015.

Du noir de la nuit.

Denise Mina

Après la poésie trithoise, la nouvelle mansonnienne, et l’art kleennien, voici du costaud écossais. La nuit où Diana est morte (soit le 31 août 1997 – déclarée comme telle à quatre heures vingt cinq pour être précis), est un roman noir qui prend racine cette nuit-là, celle où chacun sait exactement ce qu’il faisait. « Il y a des dates qu’on n’oublie pas », écrit Denise Mina.
Cette nuit-là, elle a quatorze ans, on l’imagine blonde, fine et douce comme avait du l’être la princesse des cœurs, Rose tue deux types, des gamins de son âge, ou à peine plus, sombres déjà comme des adultes. Cette nuit-là, Rose tue d’elle la gamine que les vieux s’offrent en partouze, dans laquelle ils déversent leur pus. Quinze ans plus tard, à cause d’un autre meurtre où les empreintes digitales ne collent pas, Morrow, une inspectrice, va, comme les saumons, remonter à la source du mal. Mais quand on y arrive, quand on trouve ce qu’on est venu y chercher, on tombe aussi parfois sur ce qui vous empêchera à jamais d’être en paix.

*La nuit où Diana est morte, de Denise Mina. Éditions du Masque. En librairie depuis le 4 novembre 2015.

« Les tableaux nous regardent » (Paul Klee).

(Quatre jours après. Le chagrin ne s’efface pas. Ce n’est pas une raison pour laisser la haine s’installer). C’était en 1982. Je venais de commencer la réclame en Belgique et un directeur artistique qui avait deviné mon amitié pour les livres m’offrit Les Saisons, de Maurice Pons. (J’ai lu, depuis, qu’on parlait à son propos de texte culte. De chef-d’œuvre, même). Ce fut une lecture asphyxiante et sublime, noire, une lecture écœurante et lumineuse, amusante parfois – lorsque les villageois se chauffent avec des animaux vivants accrochés à leur taille. Les Saisons, des pluies incessantes, seize mois d’automne, quarante mois de gel, ou l’histoire désespérée et désespérante de Siméon, l’écrivain, l’étranger donc, qui débarque avec son beau vélin, ses crayons et les jolis mots calligraphiés qu’il veut partager avec ces villageois qui ne mangent que des lentilles. Puis fut la lecture de Rosa, un conte flamboyant, un pastiche de roman historique sur cette fameuse Rosa dans le sexe de laquelle, comme par la bouche d’un tunnel, étaient entrés – et jamais ressortis – troufions, canonniers, artificiers, fantassins, cavaliers, chevaux et même un certain capitaine Malard, Rosa à qui je rendrais hommage dans mon premier roman. Puis fut La Passion de Sébastien N., rebaptisée Le Festin de Sébastien, en 2000, qui narre l’amour de ce Sébastien pour son automobile, qu’il va manger, pièce par pièce. Et enfin ce texte court, que l’on m’a offert lors d’un passage à Lille, où Maurice Pons assagi ( ?) nous raconte ce tableau de Paul Klee, L’Île engloutie, une aquarelle de 1923, et nous entraine avec lui au plus profond, non plus de la noirceur cette fois, mais de l’insondable. C’est à-dire la poésie.
Maurice Pons

*Les Saisons, de Maurice Pons. Julliard, 1965. Christian Bourgois, 1971 et 1992. Disponible en 10/18. **Rosa, Chronique fidèle des événements survenus au siècle dernier dans la Principauté de Wasquelham comprenant des révélations sur l’étrange pouvoir d’une certaine Rosa qui faisait à son insu le bonheur des plus malheureux des hommes. Denoël, 1967. Disponible en Folio.***La Festin de Sébastien. Le Dilettante, 2000.****Paul Klee/ Maurice Pons. Invenit Éditions, Collection Ekphrasis, Lille 2011.

Un né crivain. (Oh, le vilain jeu de mots).

On pourrait, en le voyant, penser à un personnage de BD. Tout en longueur. Longs bras. Longues mains. Immense sourire. Et yeux qui s’émerveillent encore, qui font des O majuscules devant une belle phrase, un beau texte, la joie d’un autre. Frédéric Launay est journaliste littéraire (il a mené les rencontres du Goncourt des Lycéens 2014, où j’ai eu le plaisir de le connaître) mais, avant d’être journaliste (donc d’avoir la posture de dézinguer à tout va, pour faire genre), il est un homme d’une sensibilité, d’une intégrité et d’une capacité d’émerveillement hors pair. J’ai toujours pensé, depuis que nous nous connaissons, qu’il ferait un bel écrivain. L’autre jour, dans le train, alors que nous allions ensemble à Reims pour une rencontre à la Fnac, je lui demandais pourquoi il n’écrivait pas. Il a alors, un peu timide, un peu fier aussi, sorti cet opuscule* de sa mallette de prof. Une nouvelle, Quelques gouttes de silence avant la nuit, écrite en 2014 et qui remporta le Prix Pégase. Un texte puissant, un sujet parfait, une histoire intelligente, un vrai climat. Je ne sais pas où l’on peut trouver ce texte aujourd’hui, (essayez le service culturel de la mairie de Maisons-Laffitte, 01 34 93 12 82), mais ne ratez pas l’éclosion d’un véritable écrivain.

Frédéric Launay

*Quelques gouttes de silence avant la nuit, de Frédéric Launay, Prix Pégase de la Nouvelle 2014 de la Ville de Maisons-Laffitte.

Les mots entre les gouttes.

En six lettres. Peu en lisent, beaucoup en écrivent. A son sujet, on entend parfois : « oh non, pas ça, par pitié ! » Et pourtant, on y trouve souvent de nouvelles combinaisons de mots, de nouvelles notes. Réponse : Poésie. (Apparemment, je ne serais jamais un très bon auteur de mots croisés). Ce recueil* m’a été offert par son auteur trithois lors de mon passage à Valenciennes, au Furet du Nord, il y a quelques jours. J’ai trouvé le titre joli, alors j’ai regardé à l’intérieur du pébroc. Il y avait d’élégantes perles, à la Follain, comme : Le vent taille la plume/Et le fruit te ressemble. À la Prévert, comme le bref poème intitulé Le Clochard : Ni lieu. Ni mètre. Et des choses comme je les aime : Je fatigue/Et le temps repose. Voilà. Il y avait des mots parfaits entre les gouttes. Un poète les a attrapés.

Yves Durlin

*Il ne pleut jamais entre les gouttes, de Yves Durlin. Bayard Service Éditions. En librairie depuis septembre 2014.