Author Archive | Grégoire Delacourt

Mireille d’Aquitaine.

Mireille Calmel

Voici la dernière saison d’Aliénor*. « Saison », oui, comme pour une série télé. Parce que ce chant du cygne arthurien n’a rien à envier aux séries en vogue comme Games of Thrones (par exemple).
Voici 489 pages furieuses comme un cheval au galop, où l’on croise des nains, des fées, des licornes, des traîtres, des héros, des lâches, de la magie, de la désespérance humaine, Caliburnus, Durandal et Marmiadoise – les trois épées mythiques –, Richard Cœur de Lion (non, non, pas le camembert dont j’avais, à l’époque, fait le lancement publicitaire) ; on y croise Aliénor, Saladin, Merlin, tant d’autres choses, tant d’autres personnes qui font de ce livre une flamboyante épopée sur le plus terrifiant des poisons.
La haine.
Mireille est une femme qui ne s’écrit pas dans ses livres. C’est quelque chose qu’elle refuse, qu’elle ne peut pas même envisager. Mais je sais, pour la connaître depuis plus de deux ans maintenant, qu’il y a toujours des bribes d’elle dans ses romans. Avec celui-ci, elle nous dresse le beau portrait d’une femme entière, sincère : une maman qui met l’amour de sa famille au panthéon du cœur. Et là, elle parle d’elle.

*Aliénor, Un dernier baiser avant le silence, de Mireille Calmel. Editions XO. En librairie depuis le 8 octobre 2015.

Un vide.

Je me souviens. J’avais dix-huit ans. Je venais de l’entendre à la radio et je m’étais précipité à la librairie Giard, à Valenciennes, pour acheter son livre Des choses cachées depuis la fondation du monde*. Cela avait été une lecture fascinante qui m’avait valu la même note que mon âge à l’épreuve de philo au bac. Plus tard, bien qu’il l’écrivît plus tôt, il y avait eu Mensonge romantique et vérité romanesque** et là aussi, j’avais eu un choc. Un beau. Merci pour les chemins tracés, René Girard.

*Grasset, 1978 et **1961.

Une vie, une !

David GrossmanRentrée littéraire 2015. On ne connaîtra finalement jamais la blague du cheval qui entre dans un bar*. Page 164, on apprend toutefois qu’il est entré dans le bar, qu’il y commande une bière pression, qu’il la boit, un whisky, qu’il boit aussi, puis de l’arak, puis de la vodka, puis à nouveau une bière. Ce qu’on va connaître par contre, c’est la vie d’un certain Dovalé, 57 ans, qui fait un one man show sur une scène triste à Netanya (Israël), alternant le comique et le tragique, en passant par le pathétique – à la manière d’un Lenny Bruce**. Ce soir-là, la salle est pleine et parmi les spectateurs il y a un ami d’enfance qu’il n’avait jamais revu. Très vite le spectacle dérape, Dovalé se met à nu, et le livre devient bouleversant comme une autopsie qui découvrirait que l’arme du crime est le chagrin.

*Un cheval entre dans un bar, de David Grossman. Éditions du seuil. En librairie depuis le 20 août 2015.
** Revoir, à ce sujet, le magnifique film de Bob Fosse, Lenny, avec le grand (1,68 m) Dustin Hoffman.

Au secours !

Frédérique Leichter 2

J’ai eu la chance de croiser Frédérique Leichter-Flack, il y a une quinzaine de jours, au salon du Livre de Saint-Étienne – où elle reçut le Prix Coup de Cœur du Point (Coup de Point aurait été épatant) –, parce que je n’aurais jamais pu mettre un visage sur l’auteur de ce livre, ou ce livre sur ce visage. Qui vivra, qui mourra* est un fascinant essai sur la question de savoir qui sauver quand on ne peut pas sauver tout le monde. « Qui doit vivre, s’interroge-t-elle page 49, quand tout le monde ne peut pas vivre ? La question est toujours un piège. Reste à savoir si on peut l’éviter ». Frédérique va chercher ses réponses chez Primo Levi, David Rousset, John Steinbeck, Kazuo Ishiguro, Yann Martel, William Styron, dans les films Hunger Games, Saw, Hôtel Rwanda, et tant d’autres, dans le cyclone qui ravagea la Nouvelle Orléans, dans la pénurie alors prévue des premières trithérapies en France, dans les dons d’organes, et nous renvoie à nos peurs, nos immenses lâchetés, nos forces impressionnantes et notre délicieuse intelligence. (À ce sujet, je vous conseille de vous précipiter aux pages 155 et 156 où elle nous raconte le Talmud imaginant deux hommes dans le désert avec une seule gourde d’eau. Brillant et drôle). Un texte virtuose à lire comme on écoute un prof passionné et passionnant – ce qu’elle est – et dont on sort infiniment plus humain. Une petite question en guise de conclusion souriante : de Chevillard, Montety et Trapenard, on ne peut en sauver qu’un. Lesquels ne choisissons-nous pas ?

*Qui vivra qui mourra, Quand on ne peut pas sauver tout le monde, de Frédérique Leichter-Flack. Éditions Albin Michel. En librairie.
PS. En 1956, le jeune Tintin, alors suspendu à une corde dans l’Himalaya, se posait déjà la question de qui sacrifier entre deux personnes.

Tintin 3

 

Un meurtre à 26 mains.

Après Eliette Abécassis, Françoise Bourdin, Mireille Calmel, me voici à mon tour assassin. Je viens de tuer un certain Yvan – dans le téléphone duquel son ex venait de trouver la photo d’une femme assassinée. Bref. Depuis un mois, Femme Actuelle* publie chaque semaine un épisode de Meurtre par SMS, un formidable roman écrit à vingt-six mains. À venir : Philippe Delerm, David Foenkinos, Michel Bussi, Philippe Grimbert et tant d’autres qui se sont tous bien amusés. Et, comme un bonheur ne vient jamais seul, à la Une de ce numéro, Femme Actuelle « craque pour des recettes croquantes ». C’est vous dire.

Femme actuelle

*Femme Actuelle. En kiosque. 1, 70 €.

Je suis partout.

Clelie Avit

Premier roman. Tout commence par le Prix Nouveau Talent, créé par la Fondation Bouygues. On donne un thème. Les nouveaux talents écrivent un roman. Le lauréat est publié chez Lattès. Le thème, l’année dernière, était une phrase de Pagnol : Tout le monde pensait que c’était impossible. Un imbécile est venu qui ne le savait pas, et qui l’a fait.
L’imbécile en question, c’est Thibault, trente-quatre ans, qui, alors qu’il vient visiter son assassin de frère à l’hôpital (ivre, il a écrasé deux gamines), se trompe de chambre et entre dans celle d’Elsa, trente ans, elle-même dans un méchant coma depuis qu’elle a dévissé lors d’une escalade en montagne. Elsa entend tout mais personne ne le sait. Thibault lui parle mais personne ne le sait. Les deux tombent amoureux. Et Elsa va être débranchée. Mais l’amour, on le sait tous, ouvre les yeux.
Clélie Avit débarque avec un « roman-phénomène » dont le premier épisode fut des ventes historiques (sic) à Francfort, puis un formidable succès en France. Son arrivée, sa belle histoire, me rappellent celles, tout aussi épatantes, de Guillaume Musso, avec Et après… et de Marc Lévy avec Et si c’était vrai ? On ne peut que lui souhaiter la fabuleuse carrière de ses deux aînés.

*Je suis là, de Clélie Avit. Éditons Lattès. Prix Nouveau Talent 2015 et 10.000 euros de dotation (dixit le site dédié) – nets d’impôt. En librairie depuis le 25 mai 2015, et bientôt partout dans le monde.

La douleur n’est pas passée*.

Mankell

Le retour du Kindle. Parce que Henning Mankell est mort il y a 11 jours. Parce que je voulais aussitôt lire son ultime livre* et qu’il ne m’a pas été donné de pouvoir me rendre dans une librairie. Sable mouvant, Fragments de ma vie est donc le dernier livre d’un grand bonhomme. Un de ceux qui ont vu la vie, et l’ont accueillie en eux. Je ne sais pas comment on fait pour avoir une vie aussi remplie, aussi riche, aussi humaine – il en faudrait plusieurs. Et pourtant. Mort le 5 octobre, à 66 ans d’un cancer du poumon, « moi qui ai arrêté de fumer il y a vingt-cinq ans », mort jeune finalement, Mankell a eu le temps. Il a rempli sa vie. Il a rempli celle des autres, de Stockholm au Mozambique – où il avait un théâtre, où il avait fait jouer Lysistrata d’Aristophane, avec, entre autres acteurs, une chèvre. Son regard est beau sur les choses. Dans ce livre, à l’aube de sa mort, il n’y a aucun désenchantement, juste la crainte que l’enfouissement des déchets nucléaires en Suède, ne s’avère un drame pour la suite. Dans quelle langue prévient-on les générations futures ?
Mankell part. C’est grave mais ce n’est pas triste. Il nous offre des fragments de sa vie. Partage ce qu’il a vu. Un tableau de Géricault, entre autres, un jeune policier, deux petits frères qui survivent dans la rue. Il ouvre nos yeux. Jusqu’à ce qu’on ait mal. Voici le magnifique chant d’adieu d’un homme libre.

* Extrait du chapitre 1, intitulé « L’accident ».
** Sable mouvant, Fragments de ma vie, de Henning Mankell. Éditions du Seuil (en papier, donc). En librairie.

Un tango en bord de mer.

Besson Tango

Si les retrouvailles sont une valse, les souvenirs, un pas de deux, les règlements de compte amoureux sont un tango. Philippe Besson, orfèvre des mots, dentellier des sentiments, l’a bien compris en écrivant cette impeccable partition pour deux. Ils se sont perdus. Ils se retrouvent. Ils avancent. Reculent. S’attirent et s’effraient. Parce que si l’amour s’évapore parfois, le désir, lui, est indélébile. Sa pièce, mise en scène par Patrice Kerbrat, est une coda envoutante. Jean-Pierre Bouvier (que j’embrasse au passage) est magnifique, puissant, brisé ; Frédéric Nyssen, gracieux, fragile, dangereux. Allez-y*. Allez écouter les mots d’un bel écrivain habillés de deux grands acteurs.

*Au Théâtre du Petit Montparnasse, jusque fin novembre (allez, allez, on réserve). Le texte de la pièce est paru chez Julliard, en juin 2014.