Un parfum de femmes pour la rentrée littéraire chez Lattès (j’y reviendrai). Et l’ovni magnifique de Serge Bramly.
Author Archive | Grégoire Delacourt
Drôle de titre.
Lulu, l’homme qui ment*, est le papa de Marc Lavoine, l’homme qui chante, qui joue, et qui maintenant écrit. Dans le livre, Lulu ne ment pas. Il raconte à Marc, qui nous les raconte, ses histoires de cul – le radada comme il l’appelle -, ses pochetroneries, ses communisteries et ses rêveries. Lulu nous balade du Nord de la France à Wissous (dans l’Essonne). Lulu est beau, de cette même beauté dont héritera Marc et qui le fera souffrir apprend-t-on page 181. Lulu dit tout, sans détour ; même ses immenses envies de pisser, « Faut qu’je lansquine Marco, j’ai mal » (page 168). Lulu a épousé Michou, et Michou aime Lulu plus que tout. Jusqu’au jour où elle découvre le pot aux roses. Et Marc aime Lulu et Michou, sans discernement. Non. L’homme qui ment du titre doit être l’auteur, menteur à lui-même, comme tous les indécrottables romantiques, qui aimerait croire, alors que ses parents font désormais cimetière à part, que chacun d’eux était la seule histoire d’amour de l’autre.
*L’Homme qui ment, Marc Lavoine, éditions Fayard. En librairie depuis le 14 janvier 2015.
Noir, c’est noir.
De retour en France après sept semaines en Amérique. La densité d’un livre, enfin. Ce moment particulier où son poids bascule d’une main à l’autre parce qu’on vient de passer la moitié. Une histoire tellement française soudain.
Pauline a onze ans quand elle a ses règles. Treize lorsqu’elle découvre les plaisirs du corps, la gourmandise des hommes, la prétention des imbéciles, les râles sincères et les cris truqués. Elle en a seize lorsqu’elle réussit le bac, veut devenir médecin. Mais c’est la guerre. Son père la confie au docteur Domnick, un Boche qui sauve aussi des français. Elle devient infirmière. Elle découvre les corps déchiquetés, les plaies purulentes, les douleurs sans nom – plus tard, un Juge lui reprochera de ne pas s’évanouir devant un cadavre. Elle devient l’amante du médecin. Un an après, à la Libération, elle est tondue, rasée, peinturlurée, violée, dépossédée ; son corps devient une page de colère, une feuille de souffrances. Plus tard, Pauline rencontre Félix. Un puceau tendre. Elle l’aime et elle lui apprend l’amour. Elle lui apprend sa tonte. Son déshonneur. Alors Félix se sauve. Il se fiance à une bonne catholique. Pauline a vingt-et-un ans. Elle l’aime toujours plus que tout. Plus que la vie sans lui. Ce jour-là, elle va voir Félix dans sa chambre, rue de la Croix-Nivert. Mais les mots du fiancé sont cruels, blessants, ils vrillent le cœur, tisonnent l’esprit. C’est soudain eux qu’elle veut tuer. Ces mots-là. Alors elle tire. Et Félix s’effondre.
Après le bouleversant En vieillissant les hommes pleurent*, Jean-Luc Seigle fait toute sa lumière sur Pauline Dubuisson**, (Brigitte Bardot à l’écran, dans La Vérité de Clouzot), trois fois condamnée à mort, avec une passion, une violence, et curieusement une tendresse incroyables. Le tout avec une plume comme un scalpel qui dessinerait une peine magnifique.
*Editions Flammarion, 2012. Grand Prix RTL/Lire.
** Je vous écris dans le noir, Jean-Luc Seigle, éditions Flammarion. En librairie.
New York est un livre. (Dernier chapitre).
New York est bavarde.
Elle s’écrit dans la rue, sur les terrains de baskets enclavées et grillagés, dans les musées, dans les perspectives, dans les couloirs de métro (où on fait de l’art en arrachant les affiches), dans les boutiques, dans la comfort food, dans le métro (où la clim endort la violence), dans la passion que la ville porte à son équipe de baseball, derrière chaque fenêtre enfin, et elles sont des millions.
Je referme à regret ce livre ; ces histoires qui écrivent toutes nos histoires.
New York est un livre. (Premier chapitre).
A New York depuis quelques jours. Cette ville aux Huit millions de façons de mourir. Ce tourbillon où l’on est Chez les heureux du monde. Où Harry rencontre Sally. Où les langues se bousculent. Où les couleurs de peaux dessinent le plus beau des drapeaux. Où le No smoking politiquement correct l’a emporté sur le Smoke d’Auster. Cette ville où le Memorial des Twin Towers est l’une des choses, ici, qui m’a fait pleurer. Cette ville où Basquiat est devenu un génie dans la rue. Où Lennon a été assassiné. Où Sargent, où Capote, où Easton Ellis, où McInerney, où Scott Fitzgerald, où Selby Jr (et son immense nouvelle Tralala). New York ne me laisse pas le temps de lire. Elle est elle-même un livre. Un livre d’images dans lequel je passe. Dans lequel on ne fait tous que passer. Il s’agit d’histoires de buildings. De modes qui s’écrivent à chaque pas. New York est un livre de poésie et de rébellion (l’un ne va pas sans l’autre). Un livre qui raconte la chance, et le vertige, que nous avons d’être vivants. Alors, je vis.
Un amour fou.
Dans le petit Embraer ERJ-135 qui relie Martha’s Vineyard à New York en gigotant, et m’arrache au calme, au contemplatif de l’île, pour me plonger dans l’énergie sans fin, dans les vertigineuses verticales, je lis ce livre* d’amour immense et fou.
Celui d’une mère, forcément.
Et de la naissance d’un fils.
« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » prédit la mère à son fils. En fait, bien plus que son fils, il est son œuvre, son destin. Elle en fera un homme fier, chic, français, qui ne lèvera pas le petit doigt en buvant son thé (c’est une faute), qui s’habillera à Londres, et qui devra être prêt à rentrer sur un brancard s’il le faut parce qu’un gugusse aura manqué de respect à sa mère ; un homme qui changera le monde, qui gagnera la guerre, accouchera d’une œuvre littéraire, et fera carrière dans la Carrière, un homme qui l’aimera toujours – elle. Ce fils sera ce feu qui la fera vivre, qui la maintiendra debout, mais finira tout de même par la consumer.
La Promesse de l’aube est une histoire vraie d’amour fou, une histoire de lien secret, indestructible, entre deux êtres du même sang. L’histoire d’une mère qui protège son enfant, au-delà des mers, au-delà du mal, et même dans l’Au-delà.
Avant de mourir, elle écrira deux cent cinquante lettres à son fils, dont elle chargera une amie de les lui expédier sur le front pour qu’il ne sache pas qu’elle est morte. Ce sont ces lettres, entre autres, qui feront de Roman Kacew Romain Gary.
Un fils immense.
Nous partageons, lui et moi le même chagrin. Celui de ne pas avoir eu le temps d’apprendre à nos mères que nous avions réussi un livre.
*La Promesse de l’aube, Romain Gary. Éditions Folio.
Bonjour là-bas.
D’ici, dans ce pays où les stèles et autres monuments aux morts sont légion, c’était l’occasion de découvrir (enfin) le roman* de Pierre Lemaitre où chacun sait désormais qu’il y est question d’arnaque aux cadavres de poilus et d’escroquerie aux monuments en mémoire de ces mêmes pelucheux ; question aussi, et surtout, d’amour filial. Prix Goncourt incontesté en 2014, énorme best-seller, sans doute un film épatant un de ces quatre (ne perds pas ton temps ici Jeunet, reviens en France), Au revoir là-haut est enfant de Marcel Aymé, Maurice Leblanc et Gaston Leroux. Une histoire d’après-guerre, un immense feuilleton rocambolesque, une galerie d’humanités magnifiques, une créativité jubilatoire. Un très aimable divertissement dans l’écriture duquel Lemaître semble si joyeux, si agréablement sûr de lui, qu’il s’autorise des pochades du genre, page 26% : « (…) qui la trouvaient banale vue de face mais très jolie vue de dot ». Jouissif.
*Au revoir là-haut, Pierre Lemaitre. Éditions Albin Michel et Le Livre de Poche (et un petit peu aussi, en Kindle). Goncourt 2014.
Les mères ne meurent pas. Elles changent d’allure.
Du pays où l’espagnol, dit-on, sera un jour davantage parlé que l’anglais, il était temps que je lise un roman…espagnol.
L’été est là. Bien là. Vent chaud, doux. 78°F. Ici, à Menemsha (Massachussets), comme à Cadaquès, des bateaux partent, emportent des familles, écrivent des souvenirs salés ; le soir les enfants rentrent épuisés, s’effondrent dans les hamacs ; la nuit, certaines mères sortent, flânent, partagent leur corps. Dans son roman* qui fit l’événement à la Foire de Francfort l’an passé, Milena Busquets raconte l’été d’un deuil.
Sa mère vient de mourir, alors Blanca quitte Barcelone pour Cadaquès où elle invite cet été-là, tous ceux qu’elle aime, et qui sont encore vivants –enfants, ex-maris, amants. Elle fume des clopes, des joints, elle boit, elle fait l’amour dehors, dedans, debout ; à la mort, elle préfère l’élégance de la vie, la danse de la vie. Elle raconte cet été qui doit la libérer d’elle, laisser cette mère si importante partir. Mais ses bras ne s’ouvrent pas. Contrairement au titre du livre, qui provient d’un conte, tout ne passe pas. L’amour, celui-ci en tout cas, ne passera jamais. Alors, au gré de ces journées catalanes brûlantes, entre les rires et les souvenirs, dans les ruelles chaudes, les plages tièdes, les fêtes interminables, Blanca lui parle. Blanca se souvient. Et, sans le savoir, Blanca écrit la plus belle lettre d’amour qu’on puisse imaginer à sa mère. Qui, finalement, est toujours là. Autrement.
*Ça aussi, ça passera, Milena Busquets. Éditions Gallimard, collection « Du monde entier ». En librairie depuis le 4 mai 2015 et en… Kindle.