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La recette de la tourte à la viande.

Flore a rencontré Paul. Paul, fils-fils à sa man-man Solange. Maman snob, prétentieuse. En un mot, pétasse. Les tourtereaux vivent chez Pétasse. Celle-ci brime Flore. La déguise en fiancée du beau monde. Paul poursuit ses études de droit. S’écraser ou mourir pourrait être la devise de Flore. Elle s’écrase. Et puis Pétasse rêve d’être grand-mère. Flore le vit mal. Très mal. Ne supporte pas d’être pénétrée par son mari en fonction de sa température, ses cycles d’ovulation, etc. Déteste être une viande fécondable. Pète un plomb. Et décide de se venger du mépris marital en se faisant baiser par tous les mecs qui passent pourvu que ce soit rapide, sale et brutal. On peut penser que c’est une curieuse réaction, mais bon.
Paul ne supporte plus les infidélités de sa charmante épouse et tente alors de mettre fin à ses jours. Tente, parce que plus fils-fils à sa man-man que vraiment suicidaire et que le pauvre garçon transi d’amour en veine de consolation, c’est assez chic. Et Flore se barre. Loin.
Tout cela, c’est avant le début du livre et c’est ce qu’on devine au long des 400 pages de ce nouveau livre* du « phénomène » Mélissa da Costa que son éditeur qualifie de Nouvelle étoile du roman français.
Donc, quand le livre commence, Flore débarque en Nouvelle-Zélande, le bout du monde du titre. Rencontre Autumn (la mère) et Milly (la fille) qui dirigent un camping. Elle s’y fait engager. Mange beaucoup de tourtes à la viande. Voit des otaries, des dauphins, des arbres penchés**. Écoute des légendes maori. Se refait une vie loin de Paul et de Pétasse. Tombe amoureuse de Milly qui tombe amoureuse d’elle et qui lui dit Je pourrais t’aimer comme un homme — ce qui est curieux là aussi quand on a envie d’être entre filles. Obtient son visa de résidente permanente. Adore la Nouvelle-Zélande. Divorce à distance avec le suicidé raté. Bref devient une de ces femmes du bout du monde, heureuse et oubliée.
Et puisqu’il raconte, par une femme, trois femmes abandonnées des hommes, ce gros feel good fera assurément un gros carton et devrait, cette année encore propulser Mélissa en tête des ventes françaises car au-delà d’une histoire un peu tourte à la viande, elle se pare de la politesse d’une écriture accessible à tous : Scrunch, scrunch, font les chips dans la bouche d’Anaru tandis qu’Autumn retient son souffle (page 213 de mon Kindle). Bon voyage.

*Les Femmes du bout du monde, de Mélissa Da Costa. Éditions Albin Michel. En libraire depuis le 1ermars 2023.
**Et même un ours polaire, bien qu’on ne trouve pas d’ours polaire en Nouvelle Zélande, sauf en cas d’abus d’Oamuravian.

Famille, je vous aime.

La Famille de Pantin* n’est pas exactement un livre. Un voyage, plutôt. Le voyage qu’entreprend Michèle Fitoussi dans son histoire, ses souvenirs, son exil. La Tunisie, la France, sa judéité, les Juifs sans cesse poussés, repoussés ; l’errance qui crée des racines non pas dans la terre mais dans le cœur. La soixantaine lumineuse, déjà bien remplie — éditorialiste et grand reporter à ELLE, scénariste, romancière, chevalier de la Légion d’honneur —, Michèle prend enfin le temps des autres et nous les raconte, comme on feuilletterait ensemble un album de photographies sans que cela soit jamais ennuyeux, de s’entendre raconter des gens qu’on ne connait pas.
Mais en fait, si, on les connait.
Peu importe qu’ils soient juifs, exilés, vivants ou morts, ils portent comme chacun de nous la nostalgie des jours heureux, comme chacun de nous s’abreuvent à l’amour et à l’amitié, comme chacun de nous rêvent et espèrent et c’est en cela que cette incroyable et si attachante famille est aussi la nôtre.

*La Famille de Pantin, de Michèle Fitoussi. Aux éditions Stock, coll La Bleue. En librairie depuis le 1er mars 2023.

San Perdido mais avec brio*.

Il y a longtemps que je voulais lire ce livre** dont les libraires me disaient à sa parution beaucoup de bien, eh bien c’est chose faite.
Voici un texte à ranger du côté des sud-américains, Sepúlveda, Márquez, Llosa, non seulement à cause de son décor, le San Perdido du titre, Panama, mais à cause de la moiteur, de la sensualité, de ces grappes de gamins qui vivent à la lisière de la décharge à ciel ouvert, à cause d’un enfant noir aux yeux bleus et à la force herculéenne, des mythes qui se créent à l’aube et se défont la nuit, à cause des prostituées sublimes, des clients gras, à cause des Gouverneurs véreux et de ceux qui veulent être gouverneurs à la place du gouverneur, à cause de la magie, du sacré, des Terres volées aux Cimarrons, des légendes qui effraient, des crimes et du désir permanent, désir poisseux, à cause de ces récits hallucinées et hantés qui fabriquent des héros pour rendre supportable les vies de misère et éloigne les envies d’immolation : l’espoir. Un minerai rare en ces temps sombres.

* Pardonnez-moi pour ce faible jeu de mots, mais comme le disait le scorpion dans son histoire avec le ragondin : « Je n’ai pas pu résister ».
**San Perdido, de David Zuckerman. Éditions Calmann-Lévy, en librairie depuis le 2 janvier 2019 et au Livre de Poche depuis le 11 mars 2020.

La vraie vie, hi, hi.

Je n’ai pas fait attention. Je pensais lire un roman*, et pas n’importe lequel puisqu’il est censément le second de l’auteur de La Vraie vie, succès mémorable, petit monde germanopratin émoustillé devant cette ravissante belge blonde sortie de nulle part, éditeurs en pâmoison qui tentent de se l’approprier, et voilà que j’ai finalement eu affaire à un recueil de nouvelles, mais qu’importe : une quinzaine de portraits de gens qui ont pour point commun d’être, à un moment donné, à une station-service. Il y a l’histoire d’une petite fille violée par un dauphin. Celle d’un cheval qui tue l’homme qui lui a tiré dessus. Celle d’une esthéticienne spécialiste en épilation intégrale qui se fait fouiller par un couple de gynécologues et ne trouvera la jouissance qu’une fois son vagin plein de miasmes et autres MST. Celle d’un queutard qui bande mou. D’une femme qui tue son mari sans que l’on sache vraiment pourquoi et balade son cadavre** à l’arrière de son Hummer diesel. La vraie vie, quoi. On peut alors prendre le livre pour du grand n’importe quoi, « du ni fait ni à faire » a même tranché une journaliste à la radio, elle-même écrivain. Ou se dire qu’il y a là une tentative de secouer le cocotier de la littérature proprette, germanopratine justement, en portraiturant le sordide, le dégueu, le beauf et cherchant à choquer le bourgeois tout en essayant de le faire sourire. Eh bien moi, qu’est-ce que voulez, j’aime les gens qui secouent les cocotiers.

*Kérozène, d’Adeline Dieudonné. Aux éditions L’Iconoclaste En librairie depuis le 1er avril 2021 (ah, la bonne blague, tout comme la faute d’orthographe dans le seul mot du titre — ceci dit, on peut aussi appeler ça une licence poétique).
** Idée qui préside à l’histoire de son prochain roman, Reste, publié par L’Iconoclaste. En librairie le 6 avril 2023.

8 Mars. Journée des femmes et d’une mère.

L’Enfant réparé arrive aujourd’hui en librairie dans son ultime édition au Livre de Poche, augmentée d’une postface qui est l’épilogue tragique du livre. Sortir le jour de la Journée des Femmes est un formidable hommage à ma mère qui fut l’une des clés les plus importantes de cette réparation.

« Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux… ».

Pas de livre cette fois-ci mais un texte*. Un texte pour le théâtre. Un texte hanté de beauté et de violence, d’obscurité et d’envol.
Ève a dix-huit ans. Voilà plus de dix ans qu’elle a été kidnappée par Frank. Emprisonnée dans sa maison. Menottée lorsqu’il s’absente. Devenue esclave, oiseau englué, mazoutée de mépris, déshumanisée comme l’était le Schmürz de Vian.  
Des viols répétés, un enfant est né. 
Frank apporte un Baby-Phone pour qu’Ève puisse entendre l’enfant enfermé dans sa chambre.
Un jour, sur la longueur d’onde de l’appareil, une voix se fait entendre de l’extérieur…
Pierre Tré-Hardy nous offre un texte remarquable sur la folie des hommes. Sur tout ce que l’on peut voir les yeux fermés. Un texte au scalpel. Un incision parfaite. Qui libère nos grâces d’oiseaux enfermés en nous-mêmes. 
C’est rare.
Tellement précieux.

Et comme un bonheur dit-on ne vient jamais seul, voilà que ce texte magnifique offre à Sara Giraudeau le Molière de la Meilleure actrice 2023 — Théâtre privé. Chapeau.

*Le syndrome de l’oiseau, de Pierre Tré-Hardy. La pièce a été créée au théâtre du Rond-Point à Paris en janvier 2023, avec Sara Giraudeau dans le rôle d’Êve — quelle bonne idée —, Renaud Meyer celui de Frank. Et la voix de Denis Podalydès.

On pourrait croire que c’est une histoire simple.

Julien, photographe parisien, retourne à Argelès-sur-Mer, dans les Pyrénées orientales, où l’on peut observer des libellules, des lézards ocellés, des hêtraies et des chênaies mais aussi ses retrouvailles avec cette plage d’enfance et surtout celles avec sa vieille mère. Mystérieuse vieille mère, amoureuse du souvenir de son mari brigand disparu et désirée par son vieux voisin, photographe lui aussi, — tiens, tiens ; bref, une histoire (faussement) simple comme les aimait Sautet, du vent du sud, du sable qui pique les yeux, on pourrait d’ailleurs croire que ce sont des larmes, des adieux qui s’éternisent, une mère qui part, une nuit qui tombe. Mais ce qui est absolument troublant dans ce roman* d’un autre âge, ai-je envie d’écrire, c’est justement ce parfum sentimental suranné, la délicatesse des sentiments chez ce Julien de 45 ans, en train de tomber amoureux d’une comédienne et qui passe par toute la palette des émotions adolescentes, comme s’il voulait ne pas grandir, juste rester un fils, presqu’un enfant, tandis que meurt sa mère. Me revenaient à la lecture ces films des jeunes années Trintignant, Philipe, Ronet et autres éternels amoureux, et c’est dans cette nostalgie que le livre d’Éric Genetet s’avère le plus captivant.

*On pourrait croire que ce sont des larmes, de Éric Genetet, aux éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie depuis le 27 janvier 2022.