Archive | Bouquins.

Et une merveille, une !

Voici un livre absolument formidable*.
Formidable parce qu’à rebours de la déroute intellectuelle d’aujourd’hui, loin des jugements faisandés et autres discours dépressifs.
Voici la magie de la littérature.
Celle capable de transcender le réel, de voir enfin le monde avec une merveilleuse singularité, une poésie oubliée.
Celle qui retrouve l’autre.
Voici le monde des autres observé par les yeux d’un Français exilé à Naples suite à une dévastation amoureuse — qu’on pourrait considérer comme l’avatar romanesque d’Amanda Sthers, elle-même exilée à Los Angeles —, installé dans un café napolitain où défilent de très beaux personnages.
Mais pour les dire beaux, il faut les avoir vus — vus au-delà de ce que l’on voit d’ordinaire de l’autre, et c’est ce que voient les mots d’Amanda. 
C’est ce que dit sa voix. Une voix ici de conteuse fabuleuse.
Voici enfin une histoire où une laide peut devenir belle, un écrivain ses personnages au sens propre, un foulard une malédiction, un chagrin d’amour une espérance.
Le Café suspendu est un texte qui vient de trouver chez moi sa place entre les sulfureuses Chroniques napolitaines de Jean-Noël Schifano et Les épices de la passion (titre épouvantable en français, Como agua para chocolate en vo, finalement rebaptisé Chocolat amer) de Laura Esquivel. Autant dire sur l’une de mes plus hautes marches.

*Le Café suspendu, d’Amanda Sthers. Éditions Grasset. En librairie depuis le 4 mai 2022.
PS. Il existe à Naples cette tradition de payer un café pour qui n’en a pas les moyens. Il est alors indiqué sur l’ardoise comme un cafe sospeso  — un café suspendu. Et puisqu’à la fin du livre il nous est invité à faire de ce livre un livre suspendu, j’ai déposé mon exemplaire au Café Colette, 79 Berry Street, à Brooklyn.

Ange(lique) et démons.

Après une assez sombre trilogie où Guillaume mettait en scène la vie compliquée des écrivains, voici Angélique, un formidable roman plus lumineux, plus virevoltant encore et surtout plus empoignant puisqu’il parle de rédemption. 
Le « pitch » (vu sur le site de l’éditeur) pose cette question : Qui veut tuer Angélique Charvet ? mais ce n’est, pour moi, pas là le plus spectaculaire, même si la rencontre au début du livre entre un vieux flic blasé et une jeune péronnelle plein d’allant fonctionne à merveille, que les dialogues (parfois très drôles) font mouche et que le rythme ne faiblit jamais. Là où, selon ma sensibilité, le livre est fort réussi, c’est cette dans cette façon que Guillaume a de forer enfin l’âme, de tisonner les cœurs émiettés et d’humaniser les plus sombres d’entre nous. 
Ainsi qu’une idée (dont je suis envieux, je l’avoue)… que je ne peux pas vous confier sous peine d’en dévoiler trop.
Une fois Angélique refermé, je n’ai pas reposé un énième thriller, mais une histoire forte d’homme et de cœur, et c’est celle -là, pour paraphraser une célèbre réclame Finger de Cadbury des années 90 pour laquelle j’ai envie de demander :
— Tu pourrais pas la faire un petit peu plus longue, monsieur Guillaume ?

*Angélique, de Guillaume Musso. Éditions Calmann-Lévy. En librairie le 20 septembre 2022.

Des espérances.

Vingt ans après l’avoir écrit (et sans doute plusieurs fois réécrit), Léonora Miano nous fait découvrir son premier roman* qui, comme bien souvent avec les premiers romans, s’inspire de sa propre vie, en l’occurrence cette période où, à 23 ans, jeune maman sans domicile ni titre de séjour, elle se retrouve en centre d’hébergement d’urgence à Paris. 
Et oui, il y a dans ces pages toutes les choses magnifiques et sordides que l’on peut attendre d’un tel récit, toutes les émotions, toutes les colères qui valent leur pesant d’humanité.
Mais là où le livre a un singulier écho avec le monde d’aujourd’hui (décidément bien immobile dans son rapport à l’autre), c’est qu’à l’heure où Mr. Macron s’en va par ses chemins mémoriels de l’Afrique, faisant mille grandes déclarations à son habitude, il tient là, dans ses pages, un authentique témoignage de nos ratages français. Page 78, Léonora écrit à propos de la France : Je déteste qu’ils nous aient menti. Qu’ils se soient présentés à nous comme s’ils étaient meilleurs. Je déteste qu’ils nous donnent des leçons. Dans ce pays, tout le monde n’est pas raffiné. Tout le monde n’est pas lettré. Tout le monde ne parle pas le français. Tout le monde n’est pas libre et égal. (…). Je déteste que nous ayons été faibles. Que nous nous soyons laissé subjuguer au point de ne plus croire en nous. Ils ne sont pas assez grands pour qu’on leur ait fait cadeau d’un morceau de notre âme. Ils ne savent même pas ce qu’ils nous ont pris. 
Mais je reste convaincu, comme Léonora, que nous sommes tous faits de ces poussières d’étoiles (Stardust) qui permettront à chacun, un jour, de briller de sa propre lumière

*Stardust, de Léonora Miano, aux éditions Grasset. En librairie le 31 août 2022.

Mon frère est mort.

Il reste quelques souvenirs, quelques pages dans mes livres, et lorsqu’on est dans un livre, on ne meurt plus, n’est-ce pas ?

Ici, dans L’Enfant réparé — qu’il n’aura pas eu le temps d’être.

¡ Bienvenidos !

Et voilà que le directeur commercial de chez Grasset, un esprit admirable, une personne rare, m’emmène dans la réserve, s’empare de ce roman* et me le tend en disant : Lis-ça, c’est formidable. Renseignements pris, il s‘agit du premier roman d’une jeune actrice, scénariste et réalisatrice qui, comme souvent avec les premiers livres, revient sur ses origines. Basques, en l’occurrence. D’où le titre. 
Cette évocation poétique d’une citoyenneté de l’endroit où l’on est, est le cœur même du livre puis que Marie Larrea (comme la réal, la réalisatrice, écrit-elle de son nom) se découvre fille adoptée de deux parents eux-mêmes abandonnés.
D’où et de qui sommes-nous ? 
C’est alors qu’elle décide de remonter le torrent de son histoire, comme les saumons, mais si eux y vont pour se reproduire, Larrea y va pour ne surtout pas reproduire l’incertitude et la démission, mais apprendre à y être une fille et une mère — deux soi à jamais simples. 
Mais la vraie, la grande, la magnifique nouveauté est du côté de l’écriture. Un style d’une vivacité enivrante, des mots virtuoses, probablement élevés à toutes les passions d’Espagne. Un ton qui annonce triomphalement la naissance d’un magnifique écrivain. Bienvenue !

*Les gens de Bilbao naissent où ils veulent, de Maria Larrea. Éditions Grasset. Rentrée littéraire. En librairie le 17 août 2022. (Merci Jean-Marc !).

« Les mots pour le dire » (encore).

Au prétexte d’un escapade sur la Seine pour les 70 ans de sa mère — destination la Tour Eiffel qu’elle n’a jamais vue —, Mabrouck Rachedi réunit dans le huis clos d’une péniche sa (très nombreuse) famille pour un bref voyage sur l’eau et fort lointain dans la mémoire. 
Chaque passage de pont parisien est l’occasion de dériver dans l’histoire familiale, d’ausculter les rêves de ces hommes et femmes d’Algérie qui rêvaient de la France, qui y sont venus, en sont parfois revenus car l’herbe n’est pas toujours plus verte ailleurs et le cœur de certains pas toujours immense. C’est un voyage violent et doux à la fois, plein de poésie surtout, auquel il nous est proposé d’embarquer, de nous asseoir confortablement et d’écouter, comme au coin d’un feu, de la bouche d’un formidable conteur Tous ces mots qu’on ne s’est pas dits.

* Tous les mots qu’on ne s’est pas dits, de Mabrouck Rachedi. Éditions Grasset. En librairie depuis le 26 janvier 2022.

Un voyage dans le temps pour 20 centimes.

Voici un étonnant petit voyage* sur les traces du premier timbre français, avant cela c’était le destinataire qui payait sa lettre : le Vingt centimes noir — dont le nom évoque ces ambiances mystérieuses à la Maurice Leblanc ou Gaston Leroux. Mais point de mystère ici. Au contraire.
Avec la mélancolie rock qui le caractérise, Jean-Michel Weil nous invite au voyage dudit timbre depuis 1849, date de sa naissance, à aujourd’hui où il tombe enfin entre la mains d’un philatéliste qui l’espérait désespérément. En quelques chapitres écrits à l’économie comme au dos d’une carte postale, Weil nous remémore 173 ans d’histoire, la grande comme la minuscule, et nous rappelle à quel point on ne tient finalement pas beaucoup plus de place qu’un pauvre timbre sur Terre. À moins, bien sûr, que l’on fasse de notre vie une magnifique lettre.

*Le voyage du vingt centimes noir, de Jean-Michel Weil. Éditions Édilivre. En librairie depuis le 28 mars 2022.

Comme une éclipse.

J’ai la chance de connaître Sophie Rouvier depuis l’hiver 2016. Elle s’appelait alors Sophie Henrionnet et venait de publier un formidable roman très noir et très drôle, Vous prendrez bien un dessert, dont je vous avais ici fait part de mon enthousiasme.
Après trois autres livres et un roman graphique (eh oui, le temps passe), la voilà qui nous offre aujourd’hui Comme une éclipse* dont l’écriture déjà formidable a ici atteint une virtuosité dans la jubilation et une efficacité dans la narration, le tout mâtiné d’humour et de poésie. Et il en fallait pour parvenir à croquer cette bande de vieux copains qui se retrouvent vingt ans plus tard, un soir d’éclipse, pour l’anniversaire de l’un d’eux, sans tomber dans l’abîme des clichés. Il en fallait du talent pour nous les faire aimer tous, malgré leurs défauts, leurs éclats et leurs secrets, et longtemps encore, une fois le livre refermé.
Il y a du Lelouch des grands Lelouch dans cette histoire menée à deux cents à l’heure, comme la Mustang de Trintignant sur la plage de Deauville ou la course de Jorge Donn pour passer à l’Ouest. Quelque chose qui passe vite et nous emporte loin. Bon voyage !

*Comme une éclipse, de Sophie Rouvier. Éditions Fayard. En librairie depuis le 27 avril 2022.