Archive | Bouquins.

L’enfant réparé.

Évidemment, on ne peut pas connaitre tout le monde (et tout le monde ne vous connaît pas non plus) mais c’est dans cette méconnaissance que se situent parfois les bonnes surprises. Ainsi ce Mathieu Malzieu, défini comme homme poétique selon le rabat de la surcouv de son nouveau livre, est le fondateur du groupe rock Dionysos, cinéaste et écrivain, et pas des moindres puisque son célèbre Journal d’un vampire en pyjama a reçu en 2016 le Grand Prix des Lectrices de ELLE et le Prix Essai de France Télévision. Donc, c’est avec une joyeuse curiosité que je me suis attaqué à son Guerrier de porcelaine*, un roman d’enfance et, plus exactement, sur l’enfance d’un père. 
Voici l’histoire de Germain surnommé Mainou, 9 ans, qui franchit en juin 1944 la ligne de démarcation caché dans une charrette à foin, pour vivre jusqu’à la fin de la guerre en zone occupé chez son tonton Émile puisque sa maman vient de mourir en couches et que son papa est à la guerre. Mainou vit au rythme de la ferme, des pontes des poules, de l’indolence des deux chevaux de trait, de la menaces parfois des nazis qui patrouillent dans le coin. L’aimable poésie terrienne de l’Émile l’aide à traverser son enfance endeuillée. La jolie dame juive cachée au grenier lui provoque son premier émoi amoureux. La nuit, il écrit à sa maman dans un cahier. Et quand vient la fin de la guerre, Mainou a grandi, il sait que le mamans mortes ne reviennent pas. Ce qui n’empêche pas l’amour. Le guerrier de porcelaine possède cette fragilité des livres heureux et légèrement sucrés, ce qui n’est pas désagréable en ces temps barbares.

* Le guerrier de porcelainede Mathias Malzieu. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 12 janvier 2022.

Au-dessus du volcan.

On prit du vin, beaucoup de vin, on s’enivra de paroles chaleureuses, de partages de lectures (…). On parla beaucoup d’Erri De Luca qui écrivit tant sur Naples, d’Alain Delon et de Marcello Mastroianni (…). (Page 73).
Voilà. Le décor est planté. Naples. Les livres. Les films, La Piscine, Stromboli. La chaleur. Les corps. Le volcan. La sensualité des braises. Les corps enflammés. La passion. Celle d’Ada, la quarantaine, pour Eva, la vingtaine. L’une fauve, l’autre feu. Une peau de bronze contre une peau de porcelaine. La beauté d’une toile de Raphaël. Deux flammes qui s’entortillent jusqu’à se consumer et tout brûler sur leur passage. Et lorsque viennent les cendres, elles dessinent, vous verrez, un hallucinant paysage.
C’est cette coulée de lave et de désir que nous délivre Adeline Fleury dans Les Frénétiques*, un texte d’une sensualité affolante dans cette baie de toute beauté. Un roman à contre-courant des colères d’aujourd’hui. Un livre libre.

*Les Frénétiques, d’Adeline Fleury, aux éditions Julliard. En librairie depuis le 3 mars 2022.

Ravi.

Après nous avoir régalé avec deux romans* de genre, dits énigmatiques, à la manière de Marcel Aymé, Gaston Leroux ou encore de ce bon vieux John Dickson, voici que Romain Puértolas s’attaque cette fois au genre policier**. Le bandeau annonce la couleur : « Un fait divers dérangeant. Une vérité inimaginable ». Habile, face à la puissante concurrence des épatantes séries Netflix sur les criminels de tous poils, EpsteinThe Tinder Swindler ou Bad Vegan pour ne citer qu’eux.
Voici donc Les Ravissantes**, un vrai-faux polar à la croisée d’Agatha Christie et de Stanislas-André Steeman. La première parce qu’elle avait la coquetterie de persiller ses romans d’indices qui disaient le coupable mais auxquels on ne prêtait pas vraiment attention, comme Le meurtre de Roger Ackroyd, par exemple, et que Romain use beaucoup de ce procédé — soyez donc vigilants en lisant. Et le deuxième, qui nous régala en son temps avec L’assassin habite au 21, qui possédait le don de nous arracher cette exclamation à la fin : Ah, la, la, la, je le savais, je le savais ! — mais on sait très bien qu’on ne savait rien du tout. Bref, Romain s’amuse et nous ravit avec cette histoire américaine qui mêle petite bourgade, enlèvements d’adolescents, secte, bon vieux sheriff, bagnoles d’époque, diner où l’on trouve la meilleure omelette du monde, le chiffre 5, même un John Smith testeur de lits d’hôtels et quelques ovnis (nous ne sommes pas loin de Roswell, Nouveau Mexique), et surtout, nous manipule avec ses fausses vraies ravissantes.
Un livre agréablement léger malgré son poids de 420 pages, écrit en deux mois selon l’aveu de l’auteur, page 421, à Malaga***, ce qui me laisse… asombrado mais ravi.

*La police des fleurs, des arbres et des forêts (2020) et Sous le parapluie d’Adélaïde (2021), chez Albin Michel.
**Les Ravissantes, de Romain Puértolas. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 1 avril 2022. (Sérieux).
***Où l’on a arrêté en septembre dernier des trafiquants avec 344 kilos de cannabis. Mais bon, cela n’a sans doute rien à voir.

Mon cher Jacques,

À toi que je sais être capable de traverser la France au départ de ta lointaine Normandie, dans ta petite Polo, pour t’attabler dans un restaurant dont on t’a vanté son magret de canard en cocotte, tel autre son maquereau sauce vierge, ou encore dans celui-ci un gibier cuit sous croûte de sel, toi qui connais l’Auberge du Père Bise, la Maison Troigros, la carte de Gagnaire au Balzac, toi qui aimes la beauté qui se savoure, se mange et parfois se boit, permets-moi de te suggérer de gouter à ce Chef* de Gautier Battistella. Outre le fait qu’il fut lui-même journaliste gastronomique (goûteur, n’ayons pas peur des mots) au célèbre Guide rouge, le voici qui nous délivre une recette romanesque exquise. Il te raconte la vie et la mort du grand chef Pierre Renoir, ses débuts dans la gargote de sa grand-mère, et puis Clichy, et puis Annecy, au bord du lac, une table trois fois étoilée où tu aurais rêvé échouer. Il te fait pénétrer dans les grandes cuisines, découvrir les brigades, les brimades et les grâces, mais surtout le cœur de ces chefs qui n’est pas seulement à l’ouvrage mais à la tragédie, car à quoi peut-on rêver le jour où l’on a atteint toutes les étoiles ? Dévore ce livre, ami Jacques, il est la magnifique gourmandise d’un Chef des Lettres.

*Chef, de Gautier Battistella, aux éditions Grasset. En librairie (et sans doute dans certains restaurants) depuis le 2 mars 2022.

Où est Gérard ?

Voici une petite nouvelle* du grand Dany Laferrière, écrite avec malice et gourmandise par l’enfant du titre qui cherche à savoir qui est Monsieur Gérard dans cet Haïti de dictature, un homme dont on dit qu’il charme les jeunes filles, à moins que ce ne soient les jeunes filles qui cherchent à le charmer, dont on affirme qu’il a séduit une magnifique femme mariée, qui aurait reçu une gifle phénoménale à laquelle il n’aurait pas répondu. Mais l’enfant a des yeux qui regardent, possède l’immobilité des contemplatifs, les seuls capables de percevoir les choses au-delà des apparences. Comme l’amour fou par exemple. 46 pages inoubliables.

*L’Enfant qui regarde, de Dany Laferrière, de l’Académie française, édité chez Grasset. En librairie depuis le 9 mars 2022.

Julie G.

Voici*ce qu’on appelle un feel good book, peut-être même de la chick lit, ce qui n’est pas fréquent ici, mais voilà. Il s’avère que je connais Julie Gaillard, qu’elle m’a aimablement adressé son livre et que je l’ai lu gourmandement. 
Il narre l’histoire de Marion L. (pour Lecalet) — infirmière enrobée et diabétique, selon elle, au temps du covid — et de sa rencontre avec un flic un jour d’attestation de sortie (souvenez-vous, le fameux ausweis) qui débouche sur un pari un peu fou : faire le striptease dont rêve à l’hôpital son ami mourant puisque les effeuilleuses n’ont pas le droit de travailler (pour cause suscitée). Cette mise à nu sera pour Marion l’occasion de se dépouiller de tout ce qui l’encombre et dont le confinement a montré la place démesurée que cela prenait, et de décider d’une vie plus en phase avec ses envies. En l’occurrence, un Lavomatic. C’est léger, drôle, sans prétention. Et pourtant. 
L’irrésistible Marion L. peut être lu comme l’irrésistible envie de Julie G. d’écrire un livre (le striptease), de le publier (la mécanique de la création de sa laverie) et de la liberté (dépendre enfin de soi), et finalement, c’est cette lecture là que j’ai le plus aimé, qui raconte la naissance d’un auteur, une promesse toujours émouvante.

*L’irrésistible Marion L., de Julie Gaillard. Éditions IGB, coll Contemporain. En librairie depuis le 12 janvier 2022.

Tous les Moulins de mon coeur.

Méfiez-vous du titre, de la quatrième de couverture, de l’éclatant sourire de Xavier de Moulins au dos du bandeau, Toute la famille ensemble* ne ressemble en rien à une jolie comédie familiale printanière. 
Voici un roman d’une écriture pleine de trouvailles et d’élégance qui nous plonge dans le cœur des mères, des pères, des fils et des filles, des amant(e)s, des rires et des chagrins, sans jamais céder à la facilité. Au contraire. Xavier explore ses cœurs par la face Nord, l’aride, l’implacable, la dangereuse, pour nous livrer ses personnages dans leur magnifique nudité, dans la troublante crudité de leurs tourments, et nous parle d’amour comme rarement en littérature — cet amour qui peut faire mal et qu’on doit aimer malgré tout, car il permet à chacun de prendre le risque de vivre encore. 
Toute la famille ensemble, c’est surtout Tous les amours ensemble ; une plongée à la fois sombre et radieuse dans ce que nous sommes tous et qui fait de chacun de nous un être humain précieux, fragile et tragiquement irremplaçable.

*Toute la famille ensemble, de Xavier de Moulins. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 2 mars 2022. (Le titre de cette chronique est à porter au crédit d’Eddy Marnay, parolier des Moulins de mon cœur).

Les caprices d’un astre.

Dans ses romans, comme dans ses films Hitchcock avait son MacGuffin, Antoine Laurain a recours à un objet transactionnel. Il peut être un chapeau (Le Chapeau de Mitterrand), un carnet (La femme au carnet rouge), un manuscrit (Le service des manuscrits), une cassette audio (Rhapsodie française), une bouteille de vin (Millésime 54) et à présent un télescope (dans ce nouveau Les Caprices d’un astre*). Ces objets lui permettent de donner corps à sa fantaisie romanesque mais surtout de se téléporter, si je puis dire, dans l’univers qu’il souhaite conquérir — aujourd’hui la comédie romantique. Oui, une histoire où un homme tombe amoureux d’une femme qu’il a fort peu de chances de conquérir mais dont l’issue fait peu de doutes car le genre repose sur l’impérieuse nécessité d’un happy end. 
Mais là où Laurain est épatant et diablement réjouissant, c’est qu’il redessine les contours de cette comédie amoureuse de façon tout à fait inattendue, en reliant, via le fameux télescope, deux histoires d’amour, plus exactement d’attractions (le double sens du titre prend ici tout son sens) : la chimérique — celle de l’astronome Guillaume Le Gentil de la Galaisière pour Hortense, au dix-huitième siècle, et l’imprévisible — celle de Xavier Lemercier pour Alice Capitaine 250 ans plus tard.
Mais n’en révélons pas davantage, car dans l’amour, c’est le chemin qui compte.
Les Caprices d’un astre pourrait tout à fait être la rencontre jubilatoire du chevalier de Rackham le Rouge d’Hergé et du Jeff Jefferies (James Stewart) de Fenêtre sur cour du vieil Alfred. Il est surtout la démonstration du talent d’Antoine Laurain à se jouer de tout.
La malicieuse audace des grands conteurs.

*Les Caprices d’un astre, de Antoine Laurain. Éditions Flammarion. En librairie (et sur liseuse) depuis le 12 janvier 2022. Tous les livres cités sont publiés chez Flammarion.