Archive | Bouquins.

Qui suis-je ?

Voici l’histoire* de Sophia L. (non, ce n’est pas Sophia Loren), racontée par Frédérique D. (oui c’est Frédérique Deghelt) parce que la première ne souhaitait pas que son histoire lui soit connue en tant qu’elle est la sienne, mais en tant qu’histoire. Un peu comme si Catherine D. (oui, l’actrice) voulait raconter son histoire mais sans qu’on sache que c’est la sienne et demanderait donc à une « plume » de la signer à sa place. Ceci dit, je me dis qu’un bon pseudonyme aurait évité bien des circonvolutions et en même temps on ne peut que se réjouir tant l’écriture de Frédérique D. est allègre et pimpante même si elle est aussi parfois bien bavarde. 
Mais, à y penser de plus près, cette histoire de fausse identité de l’auteur, ou en tout cas d’identité cachée, procède de l’idée même de ce Celle qui fut moi. Car Sophia L., actrice de très grande renommée, est convaincue d’avoir un double, en l’occurrence une vie antérieure et c’est celle-ci qu’elle va tenter de retrouver, en passant par le Brésil, la Martinique, un orage tropical, en compagnie d’un capoéiriste, d’un Japonais maître de l’art du Kintsugi, bref dans un décor digne d’un bon Philippe de B. (alias de Broca). Frédérique D. signe un roman faussement joyeux sur l’idée que nous aurions peut-être plusieurs vies, au moins deux. Mais dans ce cas, laquelle est la plus belle ?

*Celle qui fut moi, de Frédérique D. Éditions de L’O. En librairie depuis le 9 mars 2022.

Une révélation et un livre.

Ah, Marie-Chantal Perron… Ceux qui s’en souviennent se souviennent de notre coup de foudre d’amitié en direct dans l’émission québécoise « Tout le monde en parle », il y a quelques années déjà, à la suite de quoi, Marie-Chantal avait créée La Liste de mes envies au Théâtre du Rideau Vert à Montréal, dans une version absolument épatante. 
La voici aujourd’hui qui nous livre un roman* charmant et terrible à la fois, dans une langue joyeusement mélancolique pour moi (le français du Canada). Les douze mois de Marie explore la tragédie des belles-mères lorsqu’elles se séparent de leur mari (ou que celui-ci se barre), sont du coup également séparées de leurs beaux-enfants, et se retrouvent soudain amputées d’années d’amour avec les enfants de l’autre qu’elles aimaient autant que s’ils étaient les leurs.
C’est drôle parfois, parce que Marie-Chantal a toujours préféré rire des horreurs du monde, et grave parce qu’elle a aussi un cœur immense.

*Les douze mois de Marie, de Marie-Chantal Perron. Aux éditions Mains Libres, Montréal. En librairie depuis mars 2022.

Et un, et deux, et trois Musso !

Puisque, pour la deuxième année consécutive, nous n’avons pas eu de Musso au printemps, voici trois de ses  livres réunis en un seul, dans une magnifique édition, à emmener en vacances, sur la plage ou dans les alpages, histoire de faire un vrai break (après deux ans et demi de covid, une campagne présidentielle pathétique, des législatives ahurissantes, une sale et probablement interminable guerre à 2500 km d’ici). Et surtout de plonger dans l’univers des écrivains selon Guillaume Musso, dont on ne peut pas dire qu’il soit dilettante en la matière. 
Là où ça dépote, une fois établies les failles originelles qui conduisent à l’écriture, c’est que les écrivains n’écrivent pas toujours pour (se) raconter, mais pour cacher, détruire, blesser parfois, ou sauver. Et c’est de cela dont il question dans cette passionnante trilogie où chaque titre est un bijou noir : un voyage passionnant derrière les mots, dans les silences des phrases, mené grand train par un authentique amoureux des lettres.

*La Trilogie des écrivains, de Guillaume Musso. Éditions Calmann-Lévy. En librairie depuis le 3 novembre 2021.

Les plus petits font les plus grands voyages.

En une grosse poignée de pages, écrites comme on dit « à hauteur d’enfant », Rachid Benzine (dont j’avais ici loué son merveilleux précédent roman Dans les yeux du ciel), nous raconte l’histoire tragiquement simple, désespérément sans échappatoire d’un petit garçon, Fabien, qui quitte Sarcelles, son école Jacques-Prévert et part en voyage avec ses parents à Raqqah. Le voilà qui se prénomme désormais Farid. Qu’il appartient aux lionceaux du Califat. Que de sa mère il ne voit plus que les yeux. Et qu’autour de lui ne résonnent que des paroles de haine, des épines, lui qui aime tant la poésie. Son père part au djihad. Revient. Repart. Ne revient plus. De toutes façons plus personne ne revient d’un tel voyage. Rien de bien ne vient plus. Rien ne vit plus. Ne restent que les mots de l’enfant poète mais le cœur des hommes est définitivement sourd.

*Voyage au bout de l’enfance, de Rachid Benzine. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 7 janvier 2022. 80 pages. (On pardonnera le « rejoingnent » de la quatrième de couv en se disant que la période est difficile, même pour les correcteurs).

Jean-Marie Sempé.

Si Sempé avait choisi d’être écrivain plutôt que dessinateur (encore que les légendes de ses dessins tiennent parfois du chef d’œuvre, je me souviens de cet inoubliable « J’ai pardonné à ceux qui m’ont offensé, mais j’ai la liste »), il aurait écrit ce formidable roman court (ou nouvelle longue), Les Parisiens*, d’un petit nouveau venu de 75 ans, bourré de talent : Jean-Marie Bénard.
Les Parisiens, ce sont Élise et Marcel qui débarquent dans un petit village de bord de mer, dans le bordelais, pour y couler une retraite paisible — écrire pour lui, peindre pour elle — et les voilà qui se fendent de créer une association locale, à l’instar, souvenez-vous, de ce petit office du tourisme d’un village de trois maisons chez Sempé qui rêvait de recevoir Madame Brigitte Bardot. Bref. Voilà nos Parisiens confrontés à ces provinciaux déguisés en gens de culture, fonctionnaires de l’artistique, croqués ici de plume de maître, persillés de travers balzaciens, égratignés mais jamais blessés car Bénard connaît trop l’âme humaine pour la savoir complètement noire. C’est ce Léger décalage, pour reprendre un titre de Sempé, ou cet Air de rien, toujours lui, qui fait de ce petit livre une formidable réussite au charme fou. À lire urgemment dans toute la France.

*Les Parisiens, de Jean-Marie Bénard. Amazon Publishing. C’est-à-dire ici. Disponible depuis le 21juin 2022.

Un homme et une femme (sans chabadabada).

Elle se fait appeler Sa Majesté. Elle le fait Roi d’Australie. Une sorte de princesse et son bouffon qui, sur Terre, poursuivent une mission divine. En gros remettre le monde en ordre. Et les voilà qui parcourent les routes pendant vingt ans, de fermes en fermes, vivant de la générosité locale et de leurs fabulations. Un jour, Sa Majesté explique au Roi d’Australie qu’un retour en arrière est possible pour que tout se remette réellement en ordre. Que ce retour doit passer par un sacrifice. 
Ce sera celui du petit Antonin Crémault, dix ans, 42 coups de couteau.
Sa Majesté, c’est Noëlla Hégo, le Roi d’Australie Stéphane Moitoiret. Ils seront condamnés, elle à cinq ans de prison, lui à trente ans avec une peine de sûreté de vingt. Car tout cela, bien sûr, est une histoire vraie sinon l’immense chroniqueur judicaire et surtout brillant écrivain qu’est Stéphane Durand-Souffland, n’aurait pas pris la plume. Et quelle plume ! Qui cisaille la folie, creuse, remue, bouscule et s’enfonce dans le terrible brouillard de la responsabilité pénale. Un fou peut-il être responsable ? La folie est-elle une excuse ? C’est là, outre le fait divers sublimé par l’art romanesque, le talent troublant et absolu de ce livre.

*Mission divine, de Stéphane Durand-Souffland. Éditions L’Iconoclaste. En librairie depuis le 6 mai 2021.

Rions un peu, c’est rare.

Voici le roman* facétieux et brillant d’un temps où la politique, et surtout ceux qui la pratiquaient, prêtait à rire. Le temps des bouffons et des troubadours. Le temps des bons mots et de l’esprit. À l’époque des invectives, des petits phrases, des fakes news, quel bonheur que ce Roi qui n’avait pas ri, quel bonheur de rire du Roi et de sa clique. Jusqu’au jour où le Roi ne rit plus parce qu’on se permet de rire sur ce qu’on a tous de plus précieux. Je vous laisse découvrir ce que c’est. Ou plutôt qui. Jubilatoire.

*Le Roi n’avait pas ri, de Guillaume Meurice. Au Livre de poche depuis le 2 mars 2022. Auparavant publié chez Lattès.

Fils de.

On connait bien Serge Toubiana, ex patron des Cahiers du Cinéma, ex-directeur de la Cinémathèque française et aujourd’hui big boss d’Unifrance. Ce qu’on sait moins c’est qu’il écrit dattes avec un seul t (page 85), rebaptise Dillinger est mort de Marco Ferrari par Dillinger (page 77) et qu’il confond sa main droite et sa main gauche : « J’ai donc 6 ans et je suis déguisé en cow-boy, un chapeau noir sur la tête et un short qui dévoile mes maigres jambes. Je tiens timidement un revolver de la main droite, la gauche posée sur ma ceinture étoilée » (page 48, photo ci-dessus). Eh bien malgré ces petits tremblotements de l’âme, Serge Toubiana nous livre à travers son récit d’enfance*, Le Fils de la maitresse, (titre épatant quand on pense à son double sens possible), un voyage d’enfant heureux en Tunisie jusqu’aux heures tardives en France du chagrin de l’adulte, de son sentiment que s’achèvent les choses et disparaissent ceux que l’on a aimés. Ainsi ses trois compagnes. Ainsi sa mère surtout, dont il fuira la déchéance comme un lâche, un authentique couard, et c’est cet aveu déchirant aujourd’hui, toute cette honte à jamais bue, qui fait de lui un fils (et un livre) magnifique. 

*Le Fils de la maîtresse, de Serge Toubiana. Éditions Arléa, coll « La rencontre », dirigée par Anne Bourguignon. En librairie depuis le 3 mars 2022. Prix Marcel Pagnol 2022.