Archive | Bouquins.

Rabat-joie.

À quelques jours des festivités de Noël, sapins enguirlandés, cadeaux brillants, bouffe à gogo, nains de plastoc sur bûches crémeuses à souhait, playlists avec Tino Rossi et l’incontournable Feliz navidad, masques sur le bec (ah, ah), pépé et mémé à la cuisine selon Castex, (n’oubliez jamais), je voudrais vous parler d’un cadeau à 9,90 euros à faire à tous les enfants de 7 ans et plus — 7 à 77 ans comme disait Hergé car il est important que les adultes ouvrent les yeux. Il s’agit du formidable petit bouquin de Saulière, Boulet et Spénale, Le petit livre pour dire stop aux violences sexuelles faites aux enfants. C’est un livre extrêmement bien fait, six petites BD qui mettent en scène six cas de violences sexuelles possibles et soulignent l’importance de la parole des enfants ; j’ajouterai l’importance de l’écoute des adultes. Voilà. C’est mon cadeau de Noël. Ce sont mes vœux pour l’année qui vient. Qu’on fasse enfin gaffe aux petits. On les broie si facilement. Feliz navidad.

*Le petit livre pour dire STOP aux violences sexuelles faites aux enfants, de Delphine Saulière, Gwénaeëlle Boulet et Marie Spénale. Éditions Bayard Jeunesse. En librairie depuis le 15 novembre 2018.

Un conte de Noël.

Je suis bien embêté. 
Après La Tresse, dont j’avais grandement aimé la fluidité de l’écriture et la malignité du scénario, voici que je viens de terminer la lecture du Cerf-volant, le nouveau roman de Laetitia Colombani.
Je suis bien embêté parce que je ne sais pas cette fois si son histoire indienne est juste formidablement bienveillante ou, au contraire, un poil guimauve.
Léna et François s’aiment. Ils sont tous deux profs — assez idéalistes dans leurs cas. François meurt sous la balle de fusil de chasse d’un élève mécontent. Léna craque. S’enfuit en Inde pour se reconstruire. Là, elle manque de se noyer (de chagrin). Une petite fille qui joue au cerf-volant la sauve. Alors elle veut à son tour sauver la petite fille de sa condition d’indienne pauvre qui ne sait ni lire ni écrire et est promise à un précoce mariage. Elle fonde une école et selon le proverbe africain qui dit (de mémoire) « qui éduque une fille éduque une nation », la voilà qui tente de changer les règles millénaires de ce sous-continent dont l’auteur ne nous fait pas vraiment grâces des clichés (re-regardons une fois pour toutes Slumdog Millionaire et n’en parlons plus). Elle offre des tampons aux filles. Des sacs de riz aux familles. Léna, c’est une sorte de Mère Teresa dans le village de Mahäbalipuram. La sainte occidentale blanche au pays des moribonds. Avec un final très Série B : armée d’une armée de filles, les Red Brigades, Léna vient arracher à son mariage la petite fille au cerf-volant, bagarres à la Bruce Lee et Kill Bill (sans le katana), pour lui permettre de retourner à l’école et espérer une vie de femme indienne libre. Fin.
(Ceci dit, c’est bientôt Noël et à entendre les paroles des chansons de Noël dans les rues de New York, voir les sapins, les boules dorées, les films à la guimauve sur Netflix, je me fais soudain la réflexion que cette histoire sucrée est un merveilleux conte de saison, donc, ne boudons pas notre plaisir).

*La Tresse (Grasset, 2017) et Le cerf-volant (Grasset, 2021).

Elle neige.

Puisque l’on s’interroge beaucoup sur le genre en ce moment, on pourrait tout à fait s’interroger sur le genre de Elle Neige, le troisième roman de Marine Kergadallan — ex-publicitaire à qui l’on doit, entre autres, les drôlatiques petites blagues sur les emballages des produits Monoprix. En effet, Elle Neige sonne comme « Quelle heure est-elle » ? Comme « Elle pleut », mais surtout, à l’instant même où l’on se hasarde à suivre les traces du peintre Lucien Bell, héros du livre qui tient contre lui un livre qui parle d’une certaine Yvonne, on découvre des chapitres comme des chapitres de roman, d’autres comme de la poésie, d’autres encore comme des hoquets de cœurs, bouquets de mots, haïkus, vers libres, brefs dialogues, pétales de voyelles, cailloux de consonnes ; bref, milles autres genres que le seul roman, et c’est là l’incroyable talent de Marine : nous conter son histoire d’amour et de froid, son histoire d’abîme, de livre dans le livre et de personnage dans le personnage en utilisant toutes les palettes de mots, comme Lucien Bell les couleurs avec ses huiles. Elle Neige n’est pas un roman. Iel est bien plus grand que cela. Iel est un livre d’amour des livres. Du désir. Et de la beauté. 

*Elle Neige, de Marine Kergadallan, aux éditions Diabase. En librairie depuis le 26 octobre 2021.

L’inconnue de la scène.

Ce n’est pas moi qui m’autorise cet écart homophonique avec le titre du dernier Musso, c’est lui-même, à la fin de son livre, puisque c’est ainsi qu’il nomme quelques chapitres, et c’est dans cette homonymie que réside le sujet du roman lui-même. L’illusion.
Après trois précédents romans2 qui, sous couvert de divertissement policier, s’interrogeaient entre les lignes sur le rôle des écrivains, Guillaume Musso, avec L’inconnue de la Seine2, revient au roman d’entertainmentqui fait sa fortune depuis bientôt deux décennies. Un pitch d’illusionniste : Une femme est repêchée dans la Seine, amnésique. L’ADN indique qu’elle est une célèbre pianiste morte un an plus tôt dans le crash d’un avion. Tout comme David Copperfield qui prétendait faire disparaître la Statue de la liberté ou la Tour Eiffel, Guillaume prétend résoudre ce pitch impossible — on ne peut être raisonnablement à la fois une personne morte et une personne vivante — et déploie pour cela tout son savoir-faire de prestidigitateur, ne doute de rien, déroule son improbable intrigue comme une pièce de théâtre, coups de théâtre, personnages masqués, hantés, possédés, faux-doubles, copies, la Seine est la scène de départ, le lieu du tour de passe-passe, de la grande illusion mussoienne et on se laisse porter, sans se poser de questions car si l’on s’en posait, le Commandeur n’apparaîtrait pas dans Don Juan et la terre n’avalerait pas des personnages dans les romans de Garcia Márquez ; si l’on se posait des questions on n’y croirait pas, mais le sujet, dans l’illusion, n’est pas d’y croire mais de se faire avoir.

1. À noter la publication le 4 novembre 2021 d’un livre « collector », La trilogie des écrivains, chez Calmann-Lévy, qui regroupe ces trois derniers livres.
2. L’inconnue de la Seine, Calmann-Lévy. En librairie depuis le 21 septembre 2021.

La parité, enfin.

Dans leur nouvel opus, superbement mis en scène par Giuseppe Liotti, Marc Trévidic et Matz vont enchanter les adeptes de la parité dont je fais partie (mais de grâce, qu’elle soit aussi salariale), puisqu’ils racontent la violence et la terreur commises cette fois par un groupe de femmes au nom d’une idéologie dont l’appellation même continue à faire débat chez nos bien impuissants gouvernants1 — mais nous sommes là pour parler de livres. 
Les fiancées du Califat2 donc, se lit comme on regarde Tehran, comme on revoit Caliphat, comme on se surprend, impuissant et effaré, à découvrir avec quelle froideur et quelle efficacité l’horreur peut être commise. « Et puis les mécréants ne se méfient pas des femmes, écrivent les auteurs, (page 18). N’est-ce pas toi qui m’a dit qu’il fallait utiliser les points faibles de nos ennemis ? ». Mission accomplie, avec ce brillant scénario dont la créativité des attentats fait froid dans le dos.

1. « La France s’est mise dans un processus de soumission invraisemblable, elle s’humilie piteusement alors que personne à ma connaissance ne le lui demande, et surtout pas de s’humilier de cette façon wokienne, s’agenouiller dans la boue, se couvrir la tête de cendres, déchirer ses vêtements, se taillader les veines », déclare Boualem Sansal dans une interview au Figaro le 12 novembre 2012, à la veille des commémorations des attentats du 13 novembre.
2.Les fiancées du Califat, de Marc Trévidic et Matz, illustré par Giuseppe Liotti, aux éditions Rue de Sèvres. En librairie depuis le 6 janvier 2021.

Lettre d’admiration sans le dire.

Chère Madame,

Voilà qu’il m’a été par le plus heureux des hasards de pouvoir lire une longue lettre qui ne m’était pas du tout adressée puisqu’elle l’était à un certain Afikumi, masseur japonais de son état, dont les mains, lourdes et légères à la fois, auraient réveillé votre corps, rallumé un brasier ancien et surtout fait vibrer votre cœur jusqu’au ravissement, et de ravissement, assurément, votre lettre en est un puisque pour vous offrir à cet homme vous vous dévoilez ; vous racontez votre peau et les mains méchantes qui la bleuirent jadis ; vous évoquez votre grossesse prématurée, l’enfant, une petite fille au prénom de départ, l’amoureux raté, le père que l’alcool rendait imbuvable ; vous vous dénudez tout à fait pour vous donner à voir, vous donner à aimer par cet  Afikumi que vous trouvez si beau ; vous vous mettez même à apprendre sa langue pour vous y retrouver, le japonais, cette parole dans laquelle on ne dit jamais Je t’aime mais Il y a de l’amour, et dieu comme il y en a de l’amour dans votre lettre, des amours fort tristes d’ailleurs, mais n’est-ce pas dans la tristesse qu’on aperçoit les lumières et les étoiles ? et n’est-ce pas les étoiles que l’on rêve d’atteindre lorsqu’on est amoureuse ? J’ai lu ce courrier d’une traite, Madame, et je vous avoue avoir eu peur en vous lisant, peur que tout cela ne finisse pas très bien car nous ne sommes pas dans un roman ici, mais bien dans une lettre aimablement désespérée dont on devine que vous l’avez envoyée un jour mais qui n’est peut-être jamais parvenue à son destinataire, n’a peut-être jamais obtenue de réponse, mais après tout, écrit-on pour cela ? écrit-on pour être sauvée ? je ne le crois pas ; on écrit pour ne plus avoir mal et c’est cela, Madame, la grâce de votre courrier.

*Lettre d’amour sans le dire, de Amanda Sthers, chez Grasset. En librairie depuis le 3 juin 2020. Prix France télévision Roman.

Parle tout bas (car on pourrait bien nous entendre).

Une jeune femme est victime d’un viol dans une forêt. Pas d’indices. Pas de piste. Affaire classée. Douze ans plus tard, un rapprochement est fait avec une autre affaire. Un homme arrêté. Un vingtaine de victimes. Cette fois, un procès a lieu auquel la jeune femme ne veut pas assister : « Il n’était pas question que je fasse grâce à Léonard Scarpa [l’accusé] né à Reims de ma présence » (page 129). Son avocate la tient au courant chaque soir d’audience. L’homme est déshumanisé, écrit-elle, il devient un numéro d’écrou. Un couperet, cette phrase. Qui coupe le dernier lien entre la victime et son bourreau. Affaire jugée. On peut se reconstruire. Trouver la paix.
C’est cette histoire que raconte Elsa Fottorino dans un roman formidablement écrit, comme on autopsie ; comme elle le dit d’elle, « froide et distante » (page 136). Ainsi ce qui devait être chair blessée, avilie, niée, devient mots secs, rêches — à croire qu’ils sont peut-être devenus le corps lui-même : une pierre. Mais au-delà de ce parti pris de glace, de froid (et non d’effroi) ce qui me surprend c’est le choix du « romancé » car enfin, une telle histoire est si lâche lorsqu’elle se déguise. Explications d’Elsa Fottorino, sur TV5 Monde : « Il fallait que ça passe par un roman sinon j’aurais été trop contrainte par mes souvenirs, par la description de la réalité et je n’aurais pas pu m’en affranchir. Ce que je voulais faire, c’était précisément m’émanciper de cette horreur. Cela passait uniquement par la liberté que m’apportait la fiction : j’ai pu réinventer l’histoire, et ça, c’est formidable ». 
Moi, je crois que dans ce genre d’histoires, c’est la vérité qui est formidable. Elle est la plus belle façon d’aimer les victimes. De leur offrir de parler enfin. De ne plus se cacher.

*Parle tout bas, d’Elsa Fottorino. Au Mercure de France. En librairie depuis le 19 août 2021.

Une jolie histoire.

La voilà, cette histoire, qui commence par l’envoi du manuscrit d’un premier roman dans le cadre du Prix Jean Anglade. Le manuscrit s’appelle Rouquine*, il est écrit par un certain Stéphane Poirier, artiste pluridisciplinaire précise la quatrième de couverture, déjà, auteur de poèmes et de nouvelles. S’ensuit que c’est son roman qui est distingué par le jury présidé par Mohammed Aïssaoui (dont on se souvient encore du formidable Funambules paru l’an dernier chez Gallimard) et promis à être édité. C’est chose faite, depuis le 7 octobre, aux Presses de la Cité.
Nous voici donc en compagnie de Monty, gentil sauvage qui recueille un jour Lilou (la rouquine du titre), brindille mouillée qui longe la route comme on longe sa vie en en cherchant une entrée. Et les voilà qui apprennent à se connaître, se reconnaissent, égarés tous deux dans le brouhaha des autres. Deux âmes qui vont se lier. Deux corps se réchauffer. Rouquine est un livre tout simple, délicat comme une porcelaine de la couleur de la peau de Lilou. Pas de cliffhanger ici, d’explosions ou de jeux d’enfance qui finissent par des meurtres. Juste une musique oubliée. Celle de deux personnes qui se rencontrent et ne demandent rien d’autre au monde.

*Rouquine, de Stéphane Poirier. Aux Presses de la Cité. En librairie depuis le 7 octobre 2021.