Archive | Bouquins.

Et toc.

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Voici un petit livre* (160 pages) rigolo sur les tics et les tocs (troubles obsessionnels compulsifs) de celui qu’on a appelé le Roi de la Publicité en Russie, un peu comme il y avait le Roi de l’Immobilier dans le fabuleux « American Beauty » de Sam Mendes.
En une trentaine de courts chapitres amusants, le désormais Roi du Toc nous narre ses aimables tares. Une hachette sous le lit, au cas où,, dix-huit parapluies, cinq exemplaires du même téléphone portable LG, toutes ses montres parfaitement réglées avec dix minutes d’avance, etc. Un aimable catalogue à la Prévert de petites obsessions, en somme, dont l’auteur prétend qu’elles n’empêchent pas d’être heureux : « Ma vie n’est pas un enfer. Je ne suis ni blasé ni aigri, mais enthousiaste comme un jeune homme (…) », page 162, même si, ça et là, affleure de la mélancolie : un sevrage prématuré (page 101) et l’absence d’une mère sans doute qu’une vie parfaitement bien ordonnée, comme une chambre parfaitement bien rangée, enchanterait, si d’aventure elle revenait.
Le talent d’Edouard, dans ce nouveau livre, après un récent essai sur la Russie et surtout après son très beau premier roman personnel La Compagne de Russie**, est de rire de lui-même tout en laissant poindre, me semble-t-il, une sorte de chagrin.
Un peu à la manière d’un Jean-Louis Fournier.

*Moi, Édouard, vieux garçon, maniaque et fier de l’être !, d’Edouard Moradpour. Éditions Michalon. En librairie le 5 janvier 2017.
** La Compagne de Russie, aux éditions Michalon, 2012.
PS. Édouard, dis-moi : la prochaine fois, une sole/épinards au Murat, table n° 37, ou des spaghettis à la napolitaine au Marco Polo, table n° 7 ?

« Prendre le risque sublime de s’envoler ».

C’est finalement Nathalie* qui s’est chargée de chroniquer Danser au bord de l’abîme** et je l’en remercie de tout cœur. Je la savais lectrice exigeante, je la découvre musicienne des mots. Et, bien sûr, le très beau titre de cet article est d’elle.
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«  Quel bonheur que ce nouvel opus de mon écrivain-chouchou Grégoire Delacourt ! Ceux qui me connaissent (et  maintenant les autres) savent combien cet auteur compte pour moi,  certains de ses livres m’ayant accompagnée lors d’abîmes personnels. Petite Grande précision : cette chronique est faite dans le cadre d’une lecture commune, avec mes amies blogueuses : Alexandra, Nathalie et Virginie (liens de leurs blogs sous cet article).
Ici, nous faisons la connaissance d’Emma,  quadragénaire comme tant d’autres, un peu perdue dans un mariage qui ne la fait plus danser, un travail qui l’occupe, et des enfants qui n’ont plus vraiment besoin d’elle.  Elle « fait avec » ou plutôt sans, jusqu’au jour, où, dans une brasserie, son regard va croiser celui d’Alexandre… Il est marié lui aussi… Et lui aussi va se laisser emporter par son regard à Elle…
Elle, Emma, a besoin de ce vertige qui prend au creux du ventre.  Elle veut la foudre, elle veut le désir, elle veut l’infini.
« Les mères nous apprennent la patience, cette cousine polie du renoncement, parce qu’elles savent qu’entre le désir et l’amour, il y a les mensonges et les capitulations. Le désir ne tient pas toute une vie, m’avait-elle dit.
L’amour non plus, avais-je répondu. Moi, je crois au premier regard… Je crois à la première impression. Je crois au langage de la chair. Au langage des yeux. Au vertige. A la foudre ».
Ils vont alors prendre une décision qui va bouleverser et faire basculer leurs existences, et celles de leurs proches.
Ce qui pourrait n’être alors qu’une banale histoire d’adultère devient, sous la plume magistrale de Grégoire Delacourt, une danse sensuelle et tragique, au bord d’un abîme béant, tout en failles, en cicatrices, en appétits, en tendresse, en lumières.
Mais ce roman n’est pas que cela, loin s’en faut.
Ce roman, c’est aussi, la vie, le désir et sa puissance de tsunami, l’amour, la mort, la liberté (cette chère Blanquette !), le rapport à soi et aux autres, le désamour d’une mère, les liens au-delà de l’au-delà,  les interstices sombres ou clairs entre présent et passé, le pardon et la résilience… C’est aussi l’urgence de Vivre, vivre et aimer… Vivre et virevolter …
Page après page,  et en parallèle avec la métaphore de la Chèvre de Monsieur Seguin et à ce cher Gringoire (encore une histoire qui m’a profondément marquée), le récit prend une intensité saisissante, fracassante, bouleversante. De fulgurance en fulgurance, il emporte le lecteur du début à la fin, dans un tourbillon d’émotions épidermiques, celles-là même qui vous font comprendre l’importance de l’Existence.
« J’affirme qu’elle est brève, cette gesticulation sur la Terre, d’une brièveté assassine, et qu’elle ne mérite pas d’être encore tronquée par les mésamours, les colères ou les frayeurs. C’est justement parce qu’on n’a pas le temps qu’on doit aimer, désespérément ».
Il faut se laisser porter par l’écriture si délicate et si sensible de Grégoire Delacourt, qui, une fois, encore, sait se glisser avec brio dans la peau d’une femme.
Il faut frissonner, sourire, trembler, pleurer, rire, espérer, à chaque page que l’on tourne, tout comme on tourne, dans le fond, jour après jour, des pages de nos vies.
Il faut se laisser porter par Madame Butterfly, Orphée et Le Trouvère.
Il faut se laisser griser par les vins à la robe capiteuse, se laisser envelopper par la magie des mots, des phrases lâchées çà et là…
Je n’en dirai pas plus, car ce roman, il faut le lire, absolument…
Un immense remerciement donc à Grégoire et aux Éditions JC Lattès,  je sors de cette lecture, comme de toutes celles de cet auteur cher à mon cœur, profondément bouleversée.  Un roman magistral, un incontournable de la rentrée littéraire de janvier 2017.
« Ceux qui nous aiment nous quittent, mais d’autres arrivent ».

* Retrouvez Nathalie et son blog épatant sur: http://nathdelaude.canalblog.com/archives/2017/01/03/34756674.html ainsi que ceux de ses amies blogueuses, Alexandra, Nathalie et Virginie.
** Danser au bord de l’abîme, Éditions JC Lattès. En librairie depuis le 2 janvier 2017.

Joyeux Noël à tous.

À part quelques rues riches et touristiques, Paris ne brille plus à Noël. On n’entend plus de chansons dans les rues, dans les galeries marchandes, Winter Wonderland, Last Christmas ou même un bon vieux Tino Rossi. Les enfants ne descendent plus la rue de Martyrs en luge en hurlant leur joyeuse frayeur. Il n’y a plus de neige à Noël. Restent les merdes de chien, les millions de mégots et les deux roues qui envahissent les trottoirs. Alors retrouvons la magie de Noël dans les livres, reprenons-nous à rêver, redevenons des enfants, pour quelques heures : c’est le plus beau cadeau que l’on puisse se faire.

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Contes Extraordinaires de Noël, d’Élisabeth de Lambilly, éditions Larousse. En librairie depuis le 21 octobre 2015.

Tout est bon dans le Fournier.

En fait, il y a quatre excellents morceaux chez Jean-Louis.
Le Jean-Louis de La Grammaire impertinente, celui de Où on va papa ?, de La Noiraude, et enfin celui de Bonheurs à Gogos*.
Le premier date de la grande époque Desproges, des merveilleuses conneries qu’ils ont faites ensemble et « La Grammaire » est née de l’idée qu’il était, je cite, débile d’apprendre aux enfants la grammaire, et notamment la conjugaison de verbes en er avec aimer alors les morveux ne savent même pas ce que cela veut dire, aimer. D’où l’idée d’une grammaire qui conjuguerait péter, dans le premier groupe, et donnerait, de fait, de truculents exemples. Il est en effet bien plus amusant d’entendre sa grand-mère péter que de l’aimer.
Le second est plus grave et se nourrit de son histoire personnelle. Son père d’abord, médecin mort d’alcoolisme à 42 ans ; ses deux enfants, très lourdement handicapés, (aujourd’hui décédés) ; son adorable épouse, Sylvie, tombée brutalement et sans explication dans un tapis de feuilles d’automne, en forêt ; sa mère, sainte parmi les saintes ; à chaque fois des livres bouleversants et drôles car, comme il aime à répéter ce mot de Voltaire : « Il est poli d’être gai. »
Le troisième est poète (et paysan). Respect.
Le dernier est plus ronchon. C’est celui qui se moque de nos défauts, de nos tares et autres TOC, mais il le fait avec tellement de plaisir et d’aimable méchanceté qu’on se met à rire de nous avec lui. C’était le cas avec Mouchons nos morveux (en 2002), avec Trop (en 2014). Il récidive avec Bonheur à Gogos, en égratignant les gogos qui nous le promettent et les gogos qui y croient. Et, croyez-moi, ils sont nombreux.
Audiard n’a-t-il pas dit : « Si les cons volaient, il ferait nuit » ?

*Bonheur à Gogos, de Jean-Louis Fournier. Éditions Payot. En librairie depuis le 5 octobre 2016.

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Les Séances.

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Sous le titre, en place de roman, on aurait pu écrire fragments, tant les courts chapitres du très beau livre* de Fabienne sont des morceaux de choses, des images saupoudrées, des bouts de pellicule 35 mm qui évoquent les sensations d’une enfance, les odeurs d’une maison, les couleurs passées d’une vie.
Comme dans son précédent livre, Mon âge**, Fabienne traque l’alentour des âmes féminines (les hommes sont absents dans celui-ci, ou alors morts à la guerre) à coup de pinceaux impressionnistes, de mélanges inédits, de couleurs nouvelles. Elle dépeint la mélancolie sans la douleur de la mélancolie et la joie, sans l’exubérance de la joie. Ses choses sont à la fois graves et légères et font des Séances un voyage dans l’intime, dans la trajectoire d’une femme le temps d’un long voyage en automobile, sur l’autoroute qui la conduit auprès de sa sœur, à la frontière franco-allemande ; sa sœur qui, elle aussi, se révèle au travers de « séances » où elle soigne les gens avec d’inattendus bouquets de mots.
C’est dans l’exiguïté de l’habitacle de l’auto que se déploie la force du livre, dans cet endroit privé, préservé – comme un confessionnal – que les souvenirs vont surgir et redessiner un futur apaisé.
C’est un livre envoûtant comme un parfum, un de ceux, magnifiques, dont ne peut pas jamais tout à fait raconter l’histoire, mais juste la ressentir, au plus profond de soi.
Prenez votre ticket ; vous ne serez pas déçu du voyage.
Comme il me semble, à la relecture de ces lignes, que mon point de vue peut vous sembler un peu abstrait, je vous joins la critique moins énigmatique de Version Femina.

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*Les Séances, de Fabienne Jacob. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 3 octobre 2017.
**Mon âge, éditions Folio.

Faye est unique et ils sont deux.

Difficile de parler d’un livre1 qui fut encensé avant même sa sortie, qui rafla les premier2 et dernier3 Prix littéraires de la saison, qui est celui qui se vendit le mieux dans une période atone pour les libraires, écrit par un chanteur de slam et de rap, né de père français, de mère rwandaise, – adolescence à Versailles au lycée Jules Ferry, avant d’aller officier à Londres dans un fonds d’investissement pour finalement se consacrer à la chanson et à un premier formidable roman qui met en scène la jeunesse d’un gamin à Bujumbura (Burundi) sur fond de guerre entre les Hutus et les Tutsis, écartelé entre des racines blanches et des racines noires. À noter la scène incroyable où la maman raconte sa découverte de trois cadavres d’enfants, morts depuis longtemps, et qui s’émiettent quand elle tente de les prendre.
Je vous parlerai donc d’un autre Faye et de son sublissime Nagasaki4 qui, en son temps, remporta le Grand Prix de l’Académie Française, et, accessoirement, me procura une grande claque. L’histoire de Shimura-san qui mène une existence vide, vit seul, mange seul, dort seul et, un jour, a l’impression que des choses bougent dans la maison. Un yaourt disparaît. Le niveau du jus de fruit baisse dans la bouteille. Et il installe une webcam. Je ne vous en dirais pas plus sur la beauté littéraire, la construction parfaite de cette histoire inspirée d’un authentique et terrible fait divers. Ce genre d’histoires vraies qui en dit si long, et de façon si crue, sur l’immense désespoir des uns, parfois.

  1. Petit Pays, de Gaël Faye. Éditions Grasset. En librairie depuis le 24 août 2016.
  2. Prix du roman Fnac 2016.
  3. Prix Goncourt des Lycéens 2016.
  4. Nagasaki, d’Éric Faye. Éditions Stock, sorti le 18 août 2010. Et chez J’ai Lu depuis le 5 octobre 2011.

Les étoiles ne s’éteignent jamais. (Ou alors, c’est parce qu’on ferme les yeux).

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Je n’avais, à l’époque de sa sortie, pas lu ce livre que tout le monde lisait alors, dont tout le monde parlait – un fait divers qui fit toutes les Une. Au hasard, Le Parisien du 12 août 2008 : « C’est abominable. Yves Armand, le maire de Saint-Restitut (sud de la Drôme), ne trouve pas d’autres mots pour qualifier la mort de deux fillettes dans un incendie vers 1 heure hier. Les bébés, Paloma, 14 mois, et Pénélope, 26 mois (…) dormaient à l’étage, les grands-parents au rez-de-chaussée. C’est le crépitement des flammes qui les a réveillés. Ils se sont précipités dans l’escalier pour sauver leurs petites-filles. Malgré la violence de l’incendie et la fumée, le grand-père a tenté de pénétrer dans la chambre, mais brûlé au visage, il a dû reculer. Sur place, les 25 pompiers n’ont pu que constater le décès des enfants ».
Il n’y a pas de mots pour ça.
Et pourtant, pendant quinze mois, leur maman va trouver les mots, écrire, presque chaque jour, une lettre à ses deux étoiles.
Je suppose que tout a été dit en son temps sur ce livre : son émotion à vif, son chagrin, ses larmes inextinguibles, son interminable deuil. Je n’ajouterai rien parce que tout est juste.
Par contre, au-delà de l’abomination, pour reprendre le mot d’Yves Armand, ce qui m’a profondément, absolument, touché dans le récit d’Anne-Marie, c’est le portrait qu’elle infuse ici et là de son couple. L’amour immense pour « son mari, son amant, son ami ». Cet amour solide comme un roc contre lequel les plus puissantes tempêtes peuvent claquer mais qu’aucune ne parviendra jamais à briser.
Nos étoiles ont filé est avant tout cette histoire d’amour-là, rare, inexplicable, magnifique, entre un homme et une femme.
C’est dans cet amour inouï qu’ont vécu Pénélope et Paloma, c’est en lui qu’elles ont filé. Un récit de vie, où Anne-Marie et Luc laissent enfin partir en paix ceux qu’ils aiment. Le poète Joël Bousquet, n’avait-il pas écrit, un jour « Les morts nous quittent. Ils vont mourir ailleurs » ?

*Nos étoiles ont filé, de Anne-Marie Revol. Grand Prix des Lectrices de Elle 2011. Éditions Stock (2010) puis J’ai Lu (2011). Découvrez ici son très beau roman : Gaspard ne répond plus.

« Laisse les gondoles à Venise. »

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« Tiens, voilà un livre que j’ai adoré », m’a dit l’adorable Florence Mas du Livre de Poche. Et comme Florence a beaucoup de goûts en matière de livres, je m’y suis précipité.

*

«Derrière l’apparence d’une comédie, il traite de sujets forts, universels et de manière simple, c’est rare », commentait, admirative, sa productrice, Isabelle Grellat, à propos de son film « L’Étudiante et M. Henri ».
Ivan Calbérac est, ai-je appris, réalisateur, scénariste, producteur, auteur de théâtre et écrivain –Venise n’est pas en Italie* est son premier roman.
Une apparence de comédie donc (le premier grand amour d’Émile, quinze ans), un sujet fort (la fin de l’enfance), universel (la famille, les désillusions), de manière simple (c’est écrit comme on parle), je ne sais pas par contre si c’est rare, chère Isabelle Grellat, c’est en tout cas rudement agréable.
Venise n’est pas en Italie est un livre confortable, une couette dans laquelle on s’enfonce, bien calé, pour écouter une histoire bien troussée, drôle parfois, émouvante souvent, pas tout à fait neuve puisqu’elle nous rappelle nos premiers ravissements, nos mains moites, nos chaussettes trouées au pire moment. Calbérac nous offre un voyage en caravane dans nos souvenirs, jusqu’à Venise si belle quand on y va retrouver quelqu’un, si triste quand on l’y perd.
Foncez (même à 80 km/h comme Émile et ses parents sur l’autoroute, la caravane au cul de la voiture) : les mots de Calbérac sont beaux comme un élégant bouquet, un de ceux qui ne faneront jamais.

*Venise n’est pas en Italie, de Ivan Calbérac. Éditions Flammarion, en librairie depuis le 11 mars 2015. Et au théâtre, dans une épatante adaptation de l’auteur, un spectacle salué par toute la critique (très chic, non ?).