Archive | Bouquins.

Des lendemains qui chantent.

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Bien sûr, il doit y avoir 130 histoires toutes bouleversantes, et peut-être même 543 si l’on ajoute celles des blessés du 13 novembre 2015, au Bataclan, à la Belle Époque, au Comptoir Voltaire, au Stade de France, au Café Bonne Bière, au Petit Cambodge, enfin, on s’en souvient tous.
Parmi elles, celle d’Aurélie Silvestre* : « J’ai bien conscience, avec mes cheveux blonds, mon gros ventre et ce rouge sur mes lèvres, d’avoir une tête de symbole » (page 205).
Aurélie Silvestre est enceinte, elle reste seule avec leur fils Gary ce funeste soir, tandis que l’homme de sa vie et père de ses enfants, Matthieu Giroud, vient de partir au Bataclan.
A 21 h 46 et quelques, il prend une balle dans la tête.
Passage à la télévision, rencontre avec un éditeur, l’envie d’écrire affleure, les mots poussent, « C’est une belle place, un livre, pour un mort » (page 267), et voilà un cadeau fait à Matthieu, à Gary et à Thelma née après le carnage, un cadeau de mots doux, sans colère ni haine ; un bouquet de mots comme un bouquet de printemps, qui sèment l’impérieux besoin d’être vivant, d’être heureux, d’être ensemble.
La grâce absolue du texte d’Aurélie Silvestre est là. Elle relègue la laideur et donne à voir la beauté du monde, même au travers du trou fait dans le crâne de l’homme qui était votre vie même.

*Nos 14 novembre, de Aurélie Silvestre. Éditions Lattès. En librairie depuis le 9 novembre 2016.

Un beau bordel.

C’est la première fois que j’ai ressenti, après la lecture d’un livre, le besoin de regarder ici et là quelques commentaires à son propos. Non pas que je cherchai une quelconque inspiration pour en rendre compte, mais parce que je fus singulièrement perplexe.
Je ne savais pas si mon indétermination était simplement de mon fait ou si, au contraire, elle était partagée.
Elle l’est, semble-t-il.
La Jeune épouse* est un texte envoûtant et ennuyeux. Et si j’en parle, moi qui n’écris jamais de mal sur un livre, si j’assume l’ennui de celui-ci, ses langueurs parfois agaçantes, ses multiples et brusques changements de point de vue narratif qui semblent parfois gratuits, c’est que son côté envoûtant l’emporte malgré tout.
Il s’agit à la fois d’une histoire d’initiation sexuelle, aimablement érotique, d’une jeune fille de dix-huit ans tout juste débarquée d’Argentine au début du siècle dernier pour épouser « Le Fils » (elle connaîtra un grand nombre de gens qui lui veulent du bien, et un bordel de rêve), doublée d’une brillante manipulation sur l’art d’écrire, de changer les règles, de se jouer de ses personnages et de l’objet « livre » lui-même qui s’écrit ailleurs.
C’est là le formidable talent de conteur d’Alessandro Baricco que j’aime depuis l’éblouissant Soie** ; sa capacité inouïe à nous emporter derrière les livres, là où, jusqu’ici, seuls les auteurs avaient accès.
La Jeune épouse est donc un magnifique livre avec ce qu’il y a parfois d’un peu chiant dans un magnifique livre.

*La Jeune épouse, Alessandro Baricco. Éditions Gallimard, coll. « Du monde entier ». Grand Prix de l’Héroïne Madame Figaro.
En librairie depuis le 1er avril et en Kindle sur lequel je l’ai lu, à Chilmark, Massachussets – où il n’y a pas de bordel.
**Soie, du même auteur, en Folio.

Natascha Kampusch, le retour.

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Si vous avez manqué le début. 2 mars 1998. C’est un lundi. Il est 7 h 15, une écolière de dix ans marche vers l’école quand une fourgonnette blanche s’arrête à sa hauteur. Un homme en sort, l’attrape, la jette vivement dans le véhicule et démarre en trombe. Natasha Kampusch restera 3096 jours (soit huit ans et demi) entre les mains de son ravisseur, Wolfgang Přiklopil.
Le 23 août 2006, elle s’échappe en courant, et le kidnappeur court se jeter sous un train.
Kampusch a raconté son histoire dans un livre 1 paru en France en 2010. Je me souviens d’un livre touchant, pudique, qui m’avait bien plu (façon de parler) et surtout fait penser au très beau Twist 2 de Delphine Bertholon, qui racontait le kidnapping de Madison Etchart, 11 ans, enlevée au retour de l’école, mais une fiction, cette fois-ci.
Six ans après, Kampusch revient avec 10 ans de liberté 3 – qui aurait pu s’intituler « 3665 jours ». C’est un livre déroutant, curieux, dans lequel elle raconte ses dix dernières années, entre la sur-médiatisation (qu’elle a souhaité) et la méchanceté d’un grand nombre de ses concitoyens (qui lui reprochent sa sur-médiatisation). Un livre froid. Déshumanisé. Mais est-t-on encore humaine après 3096 jours de captivité, d’humiliations, de coups, de viols, persillés de rires parfois, de petits cadeaux, et au fond, parfois, d’un étrange bonheur.
On apprend peu de choses, qui n’étaient déjà dans son précédent livre. On devine le syndrome de Stockholm – sa pudeur à le taire dans le premier livre est devenue ici de la colère. On voit une jeune fille grandir dans une société qui ne l’aime pas et tient absolument à ce que les victimes le restent, car enfin, si une victime peut devenir riche et heureuse, que peut-on dire alors aux bons petits autrichiens qui ne le seront jamais ? (Tout cela se passe dans ce merveilleux pays qui fut celui de Sissi Impératrice et qui s’apprête à élire un président d’extrême-droite).
En refermant ce livre on se demande si Natascha Kampusch ne vient pas de passer dix ans dans une autre prison. Celle de la méchanceté. Et probablement, aussi paradoxal que cela puisse être, de la jalousie.

  1. 3096 jours. Éditions Lattès (2010). Éditions Le Livre de poche (2011).
  2. 2. Twist, de Delphine Bertholon. Éditions Lattès (2008). Éditions J’ai Lu (2010).
  3. 10 ans de liberté. Lattès, toujours. En librairie depuis le 28 septembre 2016.

Selon Lydie.

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« Comment parler d’un tel bijou* ?
Pour moi, ce n’est pas un diamant, mais le Koh-i-noor.
Depuis Duong Thu Huong  et Almudena Grandes, je n’ai pas lu de roman étranger aussi envahissant mon quotidien. Aspirer à rentrer chez soi pour être en empathie avec Christmas, Ruth, et tous les autres.
Une saga qui m’a emportée une semaine, que je n’avais pas envie de lâcher et pourtant, pas envie de terminer.
Ce roman va être occulté par la Rentrée Littéraire, mais je vous en parlerai longtemps…
PS. Années 1906-1930. Italie – Amérique – New York – Manhattan – Los Angeles. Les gangs – le Cinéma – Hollywood – l’amour – La prostitution – la débrouille – le respect – l’homme.
LA VIE, quoi. »
Lydie Zannini, (grande dénicheuse de grands talents), Librairie du Théâtre à Bourg-en-Bresse.

*Le Gang des rêves, de Luca di Fulvio. Éditions Slatkine & Cie. En librairie depuis le 2 juin 2016.

Du bon, du beau, Dubois.

Rentrée littéraire 2016. Voici un texte* d’une furieuse mélancolie, dans lequel on retrouve la grâce d’Une vie française que j’avais, pour ma part, trouvée un peu perdue dans Le cas Sneidjer (bon, ceci dit, je confesse n’avoir pas encore tout lu de Jean-Paul Dubois et avoir bien ri avec son Vous plaisantez, monsieur Tanner).
Bref.
La Succession possède la beauté, la pureté d’un premier roman.
Il est la courte vie (44 ans) de Paul Katrakilis, basque et joueur de pelote basque, exilé à Miami, où les jeux enivrent les parieurs, où la mode du Jaï Alaï perdure depuis 1004, où, je cite « Au bar, Sinatra gesticulait en levant les bras, Dickinson, Cage et Newman, eux, étaient debout, brandissant leurs tickets de paris… », Paul, fils de médecin suicidé, lequel consultait en slip et avait parfois recours aux fioles de pancuronium par amour de l’humanité.
À Miami, Paul rencontre Ingvild Lunde, patronne de diner, vingt ans de plus que lui, mais qu’importe, c’est l’amour fou.
Au faîte de sa gloire sportive et de son amour pour la Norvège, comme il appelle Ingvild, le voilà rappelé en France pour l’enterrement se son père. Les funérailles (drôlissimes, donc absolument déprimantes) réveillent mille démons en lui, mille amertumes tandis qu’à Miami commence une grève qui fera dire à Serge Camy : « En 1988, six ans après mon départ, ils ont fait cette grève qui a duré 1 an pour obtenir de meilleurs salaires. Les Jaï Alaï ne s’en sont jamais relevés. Il y a eu des piquets de grèves où les clients se faisaient insulter (…) ils ont tué la poule aux œufs d’or. Adieu la Chevrolet, le soleil et les nanas ! » Paul ne peut retourner jouer à Miami et décide de reprendre le cabinet de son père.
Cela va durer dix ans.
L’amitié américaine avec Joey, la passion de la pelote basque, l’amour qu’il garde toujours pour Ingviled, le démangent tout ce temps. Et le voilà qui retourne là-bas. Mais le monde, et les gens ont changé.
À retourner au bonheur de son enfance, on risque de se prendre la violence du réel dans la figure, et c’est cette naïveté bouleversante qui est l’encre de ce livre, qui me fait dire qu’il a la grâce d’un premier roman.
La Succession n’a aucune arrière-pensée, aucune volonté d’en démontrer (même lors d’une « Rentrée littéraire »), il est, sous couvert de beaucoup de joyeusetés, un livre d’une sincérité bouleversante.

*La Succession, de Jean-Paul Dubois. Éditions de L’Olivier. En librairie depuis le 18 août 2016. Et sur Kindle sur lequel je l’ai dévoré à Brooklyn, à 2061 km de Miami et 6308 km de Biarritz.

Dans Flavie, il y a vie.

Flavie Flament

De tous les très beaux chapitres du livre* de Flavie Flament, il en est un qui me semble parfaitement résumer son propos, il est intitulé Ça mord !, page 227.
On y voit Flavie, à peine quinze ans, « dans son ciré trop grand troué aux poches, bottes au pieds », elle a esché son hameçon d’une crevette grise, elle a lancé sa ligne au milieu des pêcheurs hilares, elle est près de son père, plus loin son petit frère fait le guignol, et soudain, ça y est, ça mord !, le silence se fait, les pêcheurs s’approchent, curieux, et là où on s’attend à un petit éperlan, c’est un bar qui apparaît, un gros bar, magnifique, « du jamais vu au bout de la digue », et pour la seconde fois du livre, et sans doute de son enfance, Flavie crie de joie.
La petite crevette grise, c’est elle.
Le bar, les hommes.
Et la pêcheuse, sa mère.
La plus grande violence faite à l’enfance de Flavie, c’est sa mère.
Sa mère, fumeuse de Gitanes, buveuse de kirs, un joli sourire, un ennui abyssal dans sa petite vie contentinaise, et qui fait de sa petite un hameçon pour alpaguer les hommes – c’est le terrible chapitre Aux Champs-Élysées (page 159) lesquels n’ont soudain plus rien de la légèreté d’une aimable chanson de Dassin.
Cette mère qui laisse les bars dévorer le petit hameçon, qui ferme les yeux, qui encourage même, et l’offre : « À 14 heures, elle a viol » (page 121).
Un viol. Un Polaroïd.
Flavie nous livre le drame de son enfance, sans violence, sans haine, presqu’en douceur.
Elle ouvre pour nous l’album de son chagrin. Elle nous dévoile quelques images. On reconnaît, sans qu’elle ait besoin de le nommer, le prédateur, « le grand photographe connu, reconnu ». On découvre une jolie gamine qui voulait juste voir sa maman sourire. On assiste à l’éclosion d’une adolescente qui veut enfin croire que le bonheur « c’est possible ».
Ceux qui rechercheront les potins en seront pour leurs frais. La Consolation est le livre d’une femme rescapée, en vie, doublée d’un véritable écrivain.
Il est un règlement de paix que s’offre Flavie, au terme d’un long combat avec tous ses fantômes. Il est un enfin cadeau qu’elle fait à toutes les gamines comme elle abusées, emmurées dans les silences.
Ouvrir ce livre, c’est laisser leur parole s’envoler.

*La Consolation, de Flavie Flament. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie ce matin.

PS. Six semaines après la parution du livre, le photographe David Hamilton, 83 ans, jamais cité dans le texte, mais accusé plus tard à la télévision par Flavie Flament d’être son violeur, se suicide. Il est retrouvé mort ce vendredi 25 novembre à son domicile parisien, selon des sources policières, confirmant une information d’Europe 1.

Un sale livre.

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(Pendant la) Rentrée littéraire 2016. Un sale livre*, sale comme sale mec, sale con, sale arabe, sale pute, est bien sûr à mettre entre toutes les mains. Ce sale livre, c’est celui qu’une prof fait lire à sa classe de français. Et comme il s’agit de l’itinéraire d’un jeune réfugié syrien, victime de Daech, d’Alep à Mulhouse, un étranger quoi, ça coince avec certains élèves. Avec certains parents. Avec certaines peurs. Avec certaines hontes.
Frank Andriat est lui-même professeur – à Bruxelles. Et auteur de nombreux textes. Je l’ai bien souvent rencontré. C’est un homme doux ; de cette douceur qui est une bienveillance permanente, et qui consiste à systématiquement voir le verre à moitié plein.
Cet amour du monde et des autres qui fait son charme, affleure à chacune des pages de son dernier roman.
Et si le prétexte est malin (faire lire et voir un livre de plusieurs points de vue), le but de Frank est brillamment atteint : démontrer que la littérature, à défaut de changer le monde d’aujourd’hui, peut au moins construire celui de demain.

*Un Sale livre, de Frank Andriat. Éditions Mijade. En librairie à partir du 20 octobre 2016.

L’auteur qui mesurait la bêtise de Bruxelles (entre autres).

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Rentrée littéraire 2016. Voici une belle histoire. Une amitié entre un petit autiste et un architecte retraité qui revient en Grèce, sur l’île de Kalamki, finir le travail de sa fille morte dans un théâtre antique : la recherche du Nombre d’Or.
Le gamin, Yannis, est surdoué avec les chiffres. Il les retient tous, comme ce brave Rain Man, même les inutiles, et se pose en gardien mathématique de l’ordre du monde.
Le vieil homme, Elliot, a une approche plus poétique et tente de tracer des lignes qui emmènent vers l’avenir.
Je me souviens de cette phrase d’Alexandre Jardin (je crois) dans Fanfan (je crois) : « La mathématique permet d’approcher l’exactitude, la poésie, d’approcher la vérité ». Leur rencontre se situe là. Au meilleur de chacune des deux disciplines.
Le fond de l’histoire est simple. Sur cet île deux projets s’opposent : la construction d’un immense et luxueux complexe immobilier ou celle d’une une école sorte de phalanstère qui réunirait de brillants sujets et les préparerait à diriger le monde.
Mais au-delà des ingrédients d’une histoire à succès, ce qui m’a surpris (en bien), c’est que Metin Arditi (écrivain suisse francophone d’origine turque sépharade) ait fait de l’Europe un vrai personnage.
Il l’appelle Bruxelles.
Bruxelles fout en l’air la vie des habitants de l’île. Comme de toute la Grèce d’ailleurs. Comme de toute l’Europe, au fond. Car comment peut-on prétendre améliorer la vie des peuples quand on ne connaît pas leur histoire, leur poésie, leurs rêves, et qu’on préfère faire des commissions qui se réunissent pendant près d’une année pour conclure que les chasses d’eau doivent faire trois litres pour le pipi, quatre pour le caca – et quand on sait qu’en Angleterre, pour le caca, c’est cinq litres, on comprend qu’ils se soient barrés. Bref.
L’Enfant qui mesurait le monde est une superbe fable, bien nécessaire en ces temps de perdition.

 *L’Enfant qui mesurait le monde, de Metin Arditi. Éditions Grasset. En librairie depuis le 24 août et sur Kindle où le l’ai lu – à Menemsha, Massachussets, sur la plage où Spielberg a tourné Jaws.