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Thérèse Desqueyroux.

Thérèse Desqueyroux

Un été à la plage (7). Thérèse Desqueyroux (prononcer Dèssequillerousse, avertissent les Gascons pour faire moins parisien1) était dans une caisse de livres, à l’entrée du boulangerie du Sud. Un mot disait : les livres doivent se partager, servez-vous ; et c’est celui-ci que j’ai choisi2. Il ne me semblait pas encore avoir lu un texte de Mauriac et, dès les premières pages, dès son prologue en fait, sa lettre à Thérèse, ses regrets : « (…) sur ce trottoir où je t’abandonne, j’ai l’espérance que tu n’es pas seule », j’ai su que je rencontrais une incroyable héroïne et que le hasard me faisait croiser un merveilleux auteur.
Au-delà du fascinant portrait de criminelle, de ce non-lieu basé sur un faux-témoignage, de « ces cœurs enfouis et tout mêlés à un corps de boue », de cette « séquestration entre deux libérations3 », de la punition que lui infligera son mari, la grâce absolue du livre vient de la tendresse inouïe, de la passion chrétienne que voue Mauriac à Thérèse.
Elle est ici tour à tour une sainte, une impie, une mère malgré elle, une épouse qui hait la maternité, elle est toutes les fabuleuses contradictions d’une femme qui avance, inexorablement vers la rencontre d’elle-même, vers sa chair, vers sa liberté, au risque de se perdre et d’en payer le prix le plus élevé.
Le mépris.
Terminer ce cycle de romans de plage 2016 en compagnie d’une femme aussi époustouflante que Thérèse Desqueyroux est, croyez-moi, mille fois plus inoubliable et jubilatoire que celle d’une jolie femme magnifiquement bronzée qui lit Voici ou se vautre dans Facebook.
La prochaine fois, je vous parle des livres de la rentrée et, entre autres, ceux-ci.

1. Note de Jean Touzot dans l’édition de Poche de 1989.
2. Thérèse Desqueyroux, de François Mauriac – Prix Nobel de littérature en 1952, quand même. Éditons Grasset, collection Cahiers Rouges, puis Le Livre de Poche (1989).
3. Cité par Michel Raimond.

Cet été, votez John (pas Donald).

John Grisham

Un été à la plage (6). Vous connaissez ce sentiment que procure parfois un livre. Vous le commencez et, dès la première page, vous savez que ça va être bien. Vous êtes content de sentir le poids des pages dans les mains, de savoir qu’il y en a près de 450. Vous lisez et, très vite, tout s’estompe autour de vous. Vous êtes dedans. Pourtant, il faut en sortir de temps en temps, pour déjeuner, pour regarder si le petit est toujours près de vous sur la plage, pour remettre de la crème, mais vous n’avez qu’une hâte : c’est d’y retourner. Alors, quand les dernières pages arrivent, vous ralentissez la lecture, vos yeux détachent les mots, syllabes après syllabes, une petite boule gigote dans vos entrailles, et c’est fini. C’était trop court. Vous auriez continué encore, 450 autres pages, et tant pis si le petit avait disparu ou que vous vous soyez pris un coup de soleil.
C’est là tout le talent de John Grisham : nous plonger dans ses histoires et nous faire oublier le monde – et franchement, en ce moment, entre le camion à Nice et le gamin à la hache en Bavière, entre la tête de bouledogue de Valls et les gesticulations defunesiennes de Sarkozy, on en a furieusement besoin.
Dans « L’Insoumis1 », Grisham nous invite à suivre un avocat (rien de bien nouveau avec lui), mais cette fois, c’est un avocat désabusé, un brin cynique, champion des causes perdues qu’il perd parfois, un homme qui ne croit plus à la Justice, à l’esprit des Lois, à l’incorruptibilité de la police, un homme réaliste en somme, qui se méfie du genre humain – et c’est justement dans cette noirceur nouvelle que Grisham est épatant ; dans cette capacité qu’il a de nous renvoyer à nous-mêmes, dans nos cordes tressées de naïveté et de nos croyances benoîtes en un certain équilibre des choses.
Il nous bouscule, nous invite à une forme d’insoumission – à chacun de trouver la sienne.
Et il a bien raison ; d’autant qu’il le fait avec un sacré talent, une écriture jubilatoire, le tout, au travers d’un roman vraiment formidable, loin du sérieux un poil bcbg de ses débuts, notamment « La Firme » et « L’Affaire Pélican ».
En résumé, le temps (et les rides) lui réussissent plutôt bien, à Grisham.

1.L’Insoumis, de John Grisham. Éditions Jean-Claude Lattès. En librairie depuis le 30 mars 2016. Et sur toutes les bonnes plages.

« C’est parti, mon kiki ».

La Rentrée littéraire, c’est parti.
Ouvrent, mercredi, le bal des 560 livres, la surdouée Céline Minard (Le Grand Jeu, éditions Rivages) et Antonio Muños Molina (Comme l’ombre qui s’en va, éditions Le Seuil), entre autres, jeudi, Catherine Cusset (Celui qu’on adorait*, éditions Gallimard), etc. Je me souviens avec joie et émotion de ma première rentrée littéraire, il y a deux ans, avec On ne voyait que le bonheur. De la première liste du Goncourt. De la finale du Goncourt des Lycéens, à côté de David Foenkinos. Un bonheur.

Rentrée littéraire

*Merci Léo. Ah, et un excellent site recense ici tous les titres de cette rentrée.

Brexin.

Sort aujourd’hui en Angleterre la version poche de « La Première chose qu’on regarde », avec, entre autres, une interview exclusive à la fin du livre; ajoutons à cela que les Anglais on acheté les droits du texte et tourneront le film aux États-Unis, et tout est réuni pour une excellente journée. Excellente journée à tous, donc !

la Première chose qu'on regarde

Tountânkhamix.

Jean Claude Laurent

Un été à la plage (5). En fait, Jean-Claude Laurent, l’auteur d’ « Opération Toutânkhamon* », c’est Jean-Claude Perrier et Laurent Lemire – duo de journalistes et écrivains reconnus. Et c’est drôle qu’ils soient deux, parce qu’en lisant leur (première) enquête de Louis Poirier, détective du passé, je n’ai pu m’empêcher de penser qu’ils étaient Tintin et Astérix réunis.
Tintin pour l’enquête pleine de rebondissements, de traîtres, d’empoisonnements, de crimes inexpliqués, de mystères anciens et de princes aux abeilles d’or, et Astérix pour le décor, les pyramides, la beauté vénéneuse de Cléopâtre, l’architecte Numérobis (ici il se nomme Amenhotep), pour les noms rigolards à dormir dehors, comme Souppilouliouma Ier, pour le vin, la bière et les Jeux – autrement dit, un sacré mélange.
Et c’est dans ce cocktail épatant, fruit d’une recette pour le moins originale, que se situe toute la joyeuseté de ce texte truffé de choses très drôles et très fines, autour d’une enquête historique palpitante comme un bon vieux Philippe de Broca (on pensera à L’Homme de Rio, mais en Égypte du XVIè siècle avant JC), et d’une petite phrase, au hasard de la page 80, un peu plus sérieuse que les autres, et terriblement annonciatrice de la débilité criminelle de notre époque : « Le problème avec les Dieux, ce sont leurs prêtres, ceux qui interprètent ce qu’ils croient être leur volonté ». Bien vu.

* Opération Toutânkhamon, de Jean-Claude Laurent. Éditions Lattès. En librairie depuis le 2 mars 2016, à point pour la plage.

Le livre qui élimine le cafard.

Daniel Evan Weiss

Un été à la plage (4). Vous ne les voyez pas, mais dans le sable chaud sur lequel vous êtes allongés, vivent des bestioles ravies à l’idée de vous débarrasser de vos peaux mortes, de s’établir entre vos doigts de pieds ou de faire la peau de vos ongles – les pityriasis versicolore, par exemple, ou les puces de sable.
Eh bien chez vous, c’est pareil.
Dans les plinthes, dans les murs, dans la plomberie, au fond des placards, vit le peuple des cafards, un peuple né il y a trois cent cinquante millions d’années et, à ce titre, beaucoup plus expérimenté sur les choses du monde que les hommes, espèce finalement extrêmement récente.
Dans le jubilatoire Les cafards n’ont pas de roi*, Daniel Evan Weiss est Nombres, un cafard né dans une bibliothèque de New York, élevé à la colle et la vieille encre des livres, vit aujourd’hui, avec des centaines de congénères, dans l’appartement d’Ira et de la Gitane (une femme parfaite puisque, lorsqu’elle cuisine, elle en met partout, au grand bonheur de nos battellae germanicae).
Mais voilà. Le couple bat de l’aile. La Gitane claque la porte et s’en va. Quelques temps plus tard, débarque Ruth. Et Ruth décide de refaire la cuisine, d’y ranger la nourriture dans les impénétrables Tupperware : il n’en faut pas plus à Nombres, Rufus, Clausewitz, Bismarck et les autres, pour la détester aussitôt et, partant, vouloir la dégager de l’appartement.
Je ne vous en dis pas plus, c’est absolument formidable.
Mais ce qui l’est encore davantage, c’est la façon inouïe dont Weiss, alias Nombres, une bestiole de quelques millimètres, de surcroit drôle et cultivée, nous dépeint et épingle nos obsessions (sexe, ordre, propreté et finalement, sexe, désordre et excitants), et nous fait sentir ridiculement petits. (Je vous invite à vous ruer à la page 78 et suivantes, et de nous découvrir aux toilettes).
Et, last but no least, une fois lu ce livre dingue, il devient un objet parfait pour écraser les cafards.

*Les cafards n’ont pas de roi, de Daniel Evan Weiss. Éditions Folio, n°4023. (Merci à Florence Mas pour ce second excellent conseil).

Mieux que celui de Monica.

Hervé Morcrette

Un été à la plage (3). Invité le 28 mai dernier au Cateau-Cambresis, dans le magnifique musée Matisse, je présentai, entre autres, Les Quatre Saisons de l’été.
L’un des thèmes du livre étant le premier amour et ce qu’il devient, le débat porta également sur ces personnes qui, un jour, des années, des décennies plus tard, décident de justement retrouver leur premier amour. Et dans la salle, surprise : un couple prit la parole et se présenta. Ils avaient chacun été le premier amour de l’autre et, quarante ans plus tard (et quelques kilos de plus, précisa le monsieur en riant), ils s’étaient retrouvés, et filaient, depuis, le parfait amour. Comme quoi, la vie est toujours plus surprenante et touchante que dans les livres.
L’homme, journaliste économique, bercé de chiffres, d’algorithmes et d’analyses rationnelles en tout genre, laissa alors sa part poétique s’envoler et, tout naturellement, lui offrit la plume des mots. (Bon, c’est l’été, un peu de lyrisme ne fait pas de mal).
Il écrivit une nouvelle, « Le Cigare d’Axelle* », l’histoire d’une très jolie femme (pourquoi faire moche ?), qui vit nue chez elle (autant tous en profiter), nue à l’exception de ses escarpins « qui l’obligent à se cambrer » (page 5).
Cette Axelle, qui se désaltère au whisky et fume le cigare, « pas le barreau de chaise, mais pas les cigarillos non plus » (page 6), rencontre un beau gars (genre le laveur de vitres de la pub Coca), puis un autre, plus âgé celui)là, et, entre les deux, ni son cœur ni son corps ne balancent, bien au contraire (pourquoi se priver), mais les voilà tous deux (ah, la possessivité de certains mâles !) qui l’obligent à choisir.
Bref (puisqu’il s’agit d’une nouvelle), un texte ultra-frais comme un glaçon dans le dos sous le soleil ou l’écume d’une vague de l’Atlantique, agréable comme un daïquiri, et surtout (et c’est là l’essentiel), une promesse d’écriture à encourager.

*Le Cigare d’Axelle, d’Hervé Morcrette. Éditions Hervécrit, 5, Place Foch, 62000 Calais.

Sueurs froides sous le soleil.

Michael Weaver

Un été à la plage (2). Je n’échappe pas à cette tradition qui veut qu’en été on puisse lire des livres de divertissement, sans être taxé de « popu ». Le thriller de Michael Weaver1 en est un excellent. Je l’avais lu à sa sortie chez Pocket2, en 1995, et j’en gardais le souvenir d’une intrigue formidable, un premier roman best-seller dans lequel la critique avait alors vu le digne émule de Thomas Harris et de Stephen King. Pas rien, en somme.
Je viens de le relire d’une traite, au milieu des cigales.
« Obsession mortelle » (plus chic en anglais sous le titre « Impulse ») est construit autour de la trame classique de l’étranger qui débarque chez un couple, et la situation bascule très vite dans l’effroi.
Une construction parfaite, une écriture redoutablement efficace, des personnages cassés, quelques amours qui tiennent de la rédemption, une mère dont l’inceste est la seule raison de vivre, « Je l’ai gardé à l’intérieur de moi comme si je ne l’avais jamais mis au monde » (page 386), des héros brisés, « Certaines blessures ne cicatrisent jamais. Au mieux, au bout d’un moment, on cesse de saigner ». Weaver s’inscrit en grand romancier de nos peurs, comme, à la même époque, un Alan J. Pakula au cinéma, ou un James Dearden au scénario.
Alors sur la plage, cet été, retournez vingt-trois ans en arrière, à l’époque où les thrillers avaient le réalisme terrifiant, loin des effets de manche et autres invraisemblances qu’on nous sert aujourd’hui.
La seule chose vraiment très moche dans tout ça, c’est que Michael Weaver n’a écrit que trois livres3.

1. Obsession Mortelle, de Michael Weaver. Éditions Belfond, collection Nuits Noires (1993). Puis Pocket (1995).
2. On appréciera la couverture terriblement vilaine de la première édition de 1995, qui lorgne du côté des thrillers des années 60 (comme celle ci-dessous) ; et il semble en plus, qu’ici, quelqu’un ait décidé de gommer ce que la main de l’homme au premier plan semble tenir (un couteau ?), ce qui confine au ridicule. Je me suis d’ailleurs permis, pour ce billet, un titre parfumé à ces années-là.
3. En plus de celui-ci : La Part du Mensonge, Pocket 1996, et Le mensonge, Belfond, 1999.

Michael Weaver 2