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Jean Grégor, reviens !

Jean Grégor, reviens !

Jean Grégor publie, en ce lendemain de fête du travail, un roman au titre aussi épatant qu’intrigant : Le dernier livre de Jean Grégor1. À la fois titre de documentaire, d’essai, de testament, ce dernier livre trace les chemins qui nous séparent de ceux qu’on aime, dessine les routes empruntées par ceux qui nous ont quitté, comme ces quais enfouis où l’on fait d’imprévisibles et belles rencontres.
Et comme il s’agit d’un dernier livre, il est nécessairement magnifique.
Il est une grande histoire d’hommes et de rencontres, on y croise quelques filles effleurées puis évanouies, on y découvre une famille éparpillée.
Jean Grégor nous livre aussi, dans son dernier livre, une réflexion sur la disparition, et dans son cas, il me semble que l’on disparaît pour être retrouvé. Mais disparaît-on jamais vraiment ? Le dernier livre de Jean Grégor raconte aussi les ravages de la disparition d’un père, et finalement son impossibilité à disparaître, Grégor nous démontre avec virtuosité que la disparition nourrit davantage la présence que la présence elle-même. Et puisqu’on parle du père qui est au cœur de cet ultime texte, Grégor écrit, page 250, cette réponse définitive à la terrible question de savoir pourquoi on écrit : « Ecrire un livre, c’est écrire à son père et sa mère », –imparable.
Un dernier livre qui est aussi un chant d’amour aux livres et à la beauté qu’ils savent parfois si bien écrire, « L’art donne une logique au désordre qui nous entoure et nous menace » (page 164) et une chronique, sur la naissance d’un écrivain, en 1996, avec un discret recueil de nouvelles2, jusqu’au succès d’un roman, en 2003, Jeunes cadres sans tête3, et, succès enivrant : Le Flore, les bouteilles de Sancerre avec Beigbeder, les soirées peignoir avec Schuhl, la dope, l’alcool et quelques blondes pragoises atomiques.
Le titre du dernier livre de Jean Grégor nous fera nous souvenir de celui que David Foenkinos avait écrit en son temps : Qui se souvient de David Foenkinos4 ? qui, lui aussi, tentait l’expérience du livre ultime, du roman avec un R majuscule, cette illusion rêvée, aussitôt perdue, qu’il ira rechercher dans un train, une histoire de femme frôlée, perdue, tandis que Jean, lui, le trouvera dans le cœur des hommes.
In fine, Jean, mens. Et fais-nous vite Le prochain roman de Jean Grégor.

1. Le dernier livre de Jean Grégor, de Jean Grégor. Éditions Mercure de France. En librairie ce 2 mai 2016.
2. Contes Philéens, de Jean Grégor. H.B Éditions, 1996.
3. Jeunes cadres sans tête, Jean Grégor. Éditions Mercure de France, 2003.
4. Qui se souvient de David Foenkinos ?, de David Foenkinos, que David a toujours refusé de voir publié en Folio. Éditions La Blanche, donc, Gallimard, 30 août 2007.
PS. J’avais chroniqué ici « L’avant-dernier livre de Jean Grégor ». Un bijou. Lire aussi le beau papier de Dargent.

Antoine Laurain est formidable.

Antoine Laurain

Antoine Laurain est formidable.
En un seul roman, il fout à la poubelle les livres de Fillon, Sarkozy, Juppé, Le Maire, Dupont-Aignan, Kosciusko-Morizet, Mélanchon, et j’en passe et des (vraiment) pas mûrs. Rhapsodie Française* est construit autour d’un argument du genre « Place des grands hommes », la chanson à succès de l’ex-mari d’Amanda Sthers : un groupe de potes rêvait de faire un groupe de rock. Les Hologrammes. Ils firent une démo. L’envoyèrent à un producteur, Claude Kalan, directeur artistique chez Polydor, pour être précis. Lequel ne répondit pas. Et le groupe se disloqua. Trente -trois ans plus tard, arrive chez l’un d’eux, Alain,  la réponse… positive.  Alain va alors essayer de retrouver les autres – et surtout remettre la main sur la chanson qui aurait du être un tube.
Loin de faire dans la chansonnette, Antoine Laurain fait dans le vitriol.
Il imagine des destins à chacun des ex-Hologrammes, et, comme le rock prend racine dans la colère, c’est évidemment dans la politique ou l’art (qui est une autre forme de politique) qu’on va les retrouver. En ces lieux où chacun d’eux aurait pu changer le monde. Laurain récupère avec un incomparable brio, un humour décapant, l’ineptie, les bassesses, les vulgarités de nos politiciens, s’en moque joussivement, et fait apparaître le président idéal, celui qui ne vient pas des combines, magouilles et compagnie, mais bien du cœur de la France. Et du cœur des hommes.
Comme en rêvent apparemment 70% de français,s si l’on en croit les sondages.
Alors, chers Fillon, Sarkozy, Juppé, Le Maire, Dupont-Aignan, Kosciusko-Morizet, Mélanchon, j’en passe et des (vraiment, vraiment) pas mûrs, soyez intelligents : lisez ce livre et barrez-vous. Disparaissez. Vous ne valez plus rien.
Laurain for Président !

*Rhapsodie Française, de Antoine Laurain. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 13 janvier 2016.

« Dieu est mort ».

"Dieu est mort"

« Dieu est mort » (« Gott ist tot »), écrivait Nietzsche dans « Le Gai Savoir ». Et voici que 136 ans plus tard, le jour de Pâques, lors de la bénédiction urbi et orbi, à Rome, le bon pape François prononce trois autres mots terrifiants : « Dieu n’existe pas » (« Dio non esiste »).
C’est le point de départ du formidable, mais vraiment formidable, texte de Marc Augé, l’un de nos grands anthropologues : La Sacrée semaine qui changea la face du monde*, un texte brillant, drôle, et tellement humaniste ; une thèse jubilatoire pour une réinvention heureuse du monde. Dieu comme nous apparaissons petits à la lecture de ce livre, engoncés dans nos certitudes, perdus dans nos illusions.
Marc Augé nous offre une fable apostasique indispensable en ces temps de massacres au nom des religions. Un régal. Amen.

*La Sacrée semaine qui changea la face du monde, Marc Augé. Éditions Odile Jacob. 72 pages, ce qui est épatant.

Attention. Surtensions.

Surtensions 1

Olivier Norek doit être épuisé.
Lieutenant de police à la section enquêtes et recherches du SPDJ 93, département où l’on comptait, en 2013, le plus grand nombre d’agressions, délits et crimes en France (2036 pour 100.000 habitants), il est également l’auteur d’un épatant polar de 500 pages survoltées : Surtensions* – rappelons, à ce propos, qu’une bonne tension se situe aux alentours de 12/7, et que c’est celle qu’on lui souhaite.
Voici donc un très bon polar où la frontière entre les méchants et les gentils est extrêmement poreuse, à l’instar de Braquo, créé par le grand Olivier Marchal, de Luther (impeccable Idris Elba), bref, de tout ce qui donne un vrai coup de neuf à un genre qui fait la richesse de ses auteurs et la joie des libraires (un roman vendu sur trois est un polar). Norek déboule dans la catégorie comme le RAID chez Merah, et vise juste.
On ne peut que lui souhaiter un beau grand carton.

*Surtensions, d’Olivier Norek. Éditions Michel Lafon. 19,95€ (franchement, ce 95 est ridicule surtout écrit en corps 2 après le 19). Prix « Le Point » du polar européen 2016. En librairie depuis le 31 mars 2016.

La guerre (psychologique).

Le soldat fantôme 2

Dans Les Tontons flingueurs, la guerre psychologique, c’était le bourre-pif. On frappait d’abord, on causait après.
Dans Le Soldat fantôme*, Jean-Guy Soumy nous fait découvrir le 23e régiment qui, en mars 1945, pratiquait lui aussi la guerre psychologique face aux Allemands. Composé de tout ce qui compose une équipe de tournage de cinéma, ce régiment avait pour mission de leurrer l’ennemi en lui faisant croire à d’importantes manœuvres des Alliés. Illusions d’optique, sons amplifiés, etc – des petits David Copperfield avant l’heure.
Et parmi eux, Steven.
À quelques centaines de kilomètres de cette guerre hollywoodienne, la vraie. Berlin. La débâcle. Les bombardements. Les lâchetés, soudain. Les mensonges qui se découvrent. Les vies brisées. Les gens qui fuient.
Et parmi eux, Hannah.
Alors bien sûr, comme dans les films (puisque Soumy est ici un grand scénariste) Steven et Hannah vont se rencontrer et s’aimer, et ce n’est pas la guerre qui va les séparer. Mais la paix.
C’est là, la très jolie idée du roman : à l’instant même où les choses deviennent possibles, elle deviennent également impossibles.
Cette irrésolution résonne longtemps encore, une fois le livre refermé – j’allais écrire, le film fini.

*Le Soldat fantôme, de Jean-Guy Soumy. Éditons Robert Laffont (avec un logo modernisé). En librairie depuis le 3 mars 2016.

Charles Draper.

Charles Draper

Charles Draper dirige une entreprise de déménagement à Paris.
Charles Draper a installé sa femme (enseignante à temps plein, actrice à temps libre), et ses charmants enfants à la campagne.
Charles Draper passe donc pas mal de temps entre les deux : dans les trains.
Charles Draper pense que sa femme le trompe parce qu’elle trouve beau le bedon du voisin musclé, et le sien bedonnant.
Charles Draper est alors obsédé par son apparence, son corps, sa panse particulièrement, et dépense son énergie, son temps en salles de gym, magazines de gym, gélules de gym, potes de gym, mais Charles Draper ne mincit pas.
Charles Draper devient un homme aigri alors que sa femme est de plus en plus belle.
Charles Draper est convaincu qu’elle n’est plus seulement amoureuse d’un autre (le voisin aux plaquettes de chocolat), mais de tous les autres.
Charles Draper n’a, unfortunatly, de Don Draper que l’homonymie du nom et, par conséquent, ne comprend pas que c’est à l’intérieur que ça se passe. À l’intérieur que se situe la beauté qui peut faire vaciller certaines femmes.
Et lorsque Mathilde Draper est choisie pour interpréter le rôle principal dans un film, Charles Draper apparaît alors comme il est réellement, et ce n’est pas très beau.
Charles Draper est un court roman* qui ressemble à ces petits films noirs de Woody Allen, pour les uns, brillants, malins, agréables, pour les autres un tantinet agaçants dans leur façon de zigzaguer pour aller droit – à l’instar de L’homme irrationnel.
Ce qu’est, au fond, Charles Draper.

*Charles Draper, de Xavier de Moulins. Éditions Lattès. En librairie depuis le 10 février 2016. Et au cinéma en ce moment, Tout pour être heureux, d’après son roman Un coup à prendre paru au Diable Vauvert en 2010.

Major, un auteur majeur.

André Major

Voici un roman majeur dans l’œuvre d’André Major, « un art de la prose et un sens du récit plus mûrs et mieux maîtrisés que jamais » est-il écrit en quatrième de couverture. Mais qui est cet André Major, auteur de plus d’une vingtaine de livres ? me demanderez-vous. Eh bien, je ne le connaissais pas, jusqu’à ce jour où de bons et précieux amis québécois, Raymond et Claudette, de passage annuel à Paris, m’offrirent ce court roman À quoi ça rime ?*
L’histoire d’un écrivain, veuf, qui, comme celui de Patrick Tudoret, retourne à la source des choses. À Lisbonne d’abord, où il a promis à son oncle de disperser ses cendres au bord du Tage, « le souple Tage ancestral et muet » – Lisbonne où il découvre la ville comme un enfant sauvage découvrirait la beauté d’un livre, le sillage des mots, avec un regard doux sur chaque chose, chaque odeur, chaque promesse, des découvertes que l’on fait seul, mais toujours en compagnie de ses fantômes : Pessoa, Flaubert, Soares, Caeiro, de Sá-Carneiro et tant d’autres (à croire d’ailleurs que les écrivains et les poètes ne voyagent qu’entre eux).
Puis, au Canada où il revient enfin, apaisé, allégé de cendres de l’oncle, prêt à se dépouiller de tous ces désirs qui encombrent et alourdissent la vie d’un homme, pour enfin aspirer à une existence désencombrée, légère comme une âme – dont on dit qu’elle fait vingt-et-un grammes. Et comme le bon Henri David Thoreau et son cher Walden, il s’installe au cœur de la nature, s’encabane (au Canada) et y vit dans la magnifique simplicité.
Mais voilà.
Comme le chantait Brel, Il faut bien que le corps exulte, et la rencontre avec Irena va lui rappeler, comme à nous, que la solitude est plus jolie à deux.

*À quoi ça rime ? d’André Major. Éditions du Boréal. En librairie depuis avril 2013.

« Faites des frites, pas la guerre ».

Corinne Jamar

Corinne Jamar est bruxelloise et elle a la frite, ce qui, en ces temps de guerre, est bien salutaire. « Faites des frites, pas la guerre ». On a vu ce slogan des années hippies, détourné, sur la Place de La Bourse, après les attentats du 22 mars, et pour avoir moi-même vécu longtemps à Bruxelles, je sais que cet humour est une forme d’amour.
Je ne sais pas si Corinne Jamar fait des frites, en tout cas, elle a fait un livre très joyeux et bien agréable en ces temps de colères.
Emplacement réservé* raconte les galères de la maman d’une petite handicapée qui voit, jour après jour, la place réservée devant chez elle, occupée par des autos dont les conducteurs sont tous vaillants. On découvre ses colères, ses plans machiavéliques pour attraper les fautifs et son humour qui sauve de tout.
Et comme Corinne est extrêmement habile, on découvre très vite qu’il s’agit ici d’une histoire sur l’apprentissage de la différence, de la tolérance – de ce fameux « vivre ensemble » que nous assènent à longueur de journées nos pathétiques politiciens, bien incapables de comprendre le moindre mot qu’ils prononcent.
PS. Mon côté garçon a noté une coquille, page 88. La Porsche Targua n’existe pas. C’est une Targa.

*Emplacement réservé, de Corinne Jamar. Éditions Le Castor Astral. En librairie depuis octobre 2015.