Archive | Bouquins.

Le fabuleux destin d’Amélie Antoine.

Amélie Antoine 2.

Amélie Antoine est lilloise. Il est écrit quelque part qu’elle est une jeune trentenaire (dit-on vieille trentenaire pour une jeune quadragénaire ?). Elle a écrit un roman (en un mois, est-il aussi écrit toujours quelque part) qu’elle a, en mars 2015, publié directement sur Amazon.
Moins d’un an après, 25.000 personnes* l’avaient lu et étaient, semble-t-il, assez enthousiastes.
Un an plus tard, repéré par l’éditeur Michel Lafon, son texte sort en version papier**.
On a connu quelques belles histoires de ce genre, la plus célèbre étant « 50 Nuances de Grey » que James avait commencé à publier sur un blog.
Un adorable mail de l’auteur, ainsi que cette histoire de succès sur Internet, il ne m’en fallait pas plus pour lire le livre.
Eh bien, c’est bien. Fidèle au poste appartient à cette famille qui va de « Et si c’était vrai ? » à « Je suis là », en passant par « Une éternité plus tard », mais le texte d’Amélie Antoine possède en plus quelque chose qui me gratouille : un cynisme à l’anglo-saxonne, une irrévérence sombre, qui en font sa modernité.
Plus qu’un livre, c’est avant tout une histoire, mais une histoire bien troussée, rapide, rebondissante, un vrai moment d’entertainment. Et c’est aussi ça, finalement, un livre.

* Pour info, un premier roman qui se vend à 3000 exemplaires est un succès. 10.000 un triomphe. 25.000, une biture carabinée.
**Fidèle au poste, Amélie Antoine. Éditions Michel Lafon. En librairie depuis le 3 mars 2016.

Des marins pas marrants.

Agnès Mathieu-Daudé

Voici un texte étonnant, avec beaucoup de jolis mots pour décrire une toute petite île, l’Islande – dont on raconte qu’elle est habitée par des marins pas marrants en son pourtour et des éleveurs pas rigolos en son centre. Et comme sur toutes les îles, de surcroît lorsque menace un volcan, les langues se délient sans qu’il soit besoin de poser des questions, les potins deviennent histoires, les histoires vérité, et les vérités drames.
Arrive un étranger. Un vulcanologue chilien qui fuit l’amour d’une certaine Maria, possessive comme certaines amoureuses à fleur de peau, qui fuit les fantômes de son enfance orpheline à Santiago, et débarque sur l’île pour en étudier le volcan qui gronde.
Mais voilà. Comme dans tout conte qui se respecte, les routes sont semées d’embûches et pavées de bonnes intentions : une femme malheureuse, Thórunn, une adolescente rebelle, Hanna, évadée d’une sorte de pensionnat qui n’a pas été sans me rappeler quelques décors de The Magdalene Sisters, des tentations, des bastons d’homme, des lâchetés d’hommes, des ivrogneries aimables, des moutons, des odeurs entêtantes de poissons et, à l’arrivée, roman initiatique oblige, la découverte de soi, aussi explosive qu’un volcan qui laisse une terre féconde sur laquelle un marin échoué peut enfin lâcher l’ancre.

*Un marin chilien, d’Agnès Mathieu-Daudé. Éditions Gallimard. En librairie depuis le 7 janvier 2016.

Éloise et Jeeves ont un fils.

Olivier Boudeaut

Il y a du Kay Thompson (la maman de la série Éloise) et du P.G. Woodhouse (le papa de la série Jeeves) chez Olivier Bourdeaut – comme eux, il possède cet art, ce jouissif génie anglo-saxon à se moquer des choses alors qu’on les aime et à rire de tout parce que tout vous fait pleurer.
Comme ses illustres aînés, Bourdeaut utilise son don inouï des mots pour décrire avec une grâce, une légèreté et un esprit sans pareils ce qui ressemblerait, pour chacun de nous, à l’idée de l’horreur : une mère qui, jour après jour, sombre dans la folie. Une mère aimée. Une mère aimante. Une femme qui demande à changer de prénom chaque jour. Une femme, appelons-la Louise, Charlotte, Mireille, Thérèse, Aimée, aimée par un homme aussi fou qu’elle, un homme fou d’amour et de sa fureur de vivre, cette folie qui rend la folie si belle, si désinvolte et au fond, si indispensable.
C’est cet amour-là, improbable, foutraque et magnifique, que nous offre à découvrir leur fils Olivier – parce qu’il a écrit en exergue de son livre qu’il était son histoire vraie avec des mensonges à l’endroit et des vérités à l’envers, je ne sais plus exactement, que je considère que tout y est vrai, absolument tout, Monsieur Ordure, le kidnapping digne des Pieds Nickelés, et même cet oiseau de bonheur baptisé Mademoiselle Superfétatoire –.
En attendant Bojangles* (titre inspiré par la chanson « Mr. Bojangles », interprétée par Nina Simone, écrite par Jerry Jeff Walker, – que j’avais découverte, quant à moi, chantée par Neil Diamond –, est cent fois plus qu’un livre.
Il est la vie que tout fils devrait avoir.

*En attendant Bojangles, d’Olivier Bourdeaut. Éditions Finitude. En librairie (et dans les bacs) depuis le 7 janvier 2016.

Une magicienne.

Lorraine Fouchet

Lorraine Fouchet est une magicienne.
Avant – du temps où elle était urgentiste au SAMU et à SOS Médecin –elle réparait les cœurs, les valvulves tricuspides et signoïdes, les troncs brachiocéphaliques, les aortes descendantes et quelques mauvais coups de couteau, la voici désormais spécialiste du cœur, celui des peines, des chagrins, des joies, des pardons, des exaltations, et d’une petite thoracotomie quand même (on ne se refait pas).
Dans son nouveau livre* – mais pourquoi diable nous a-t-elle fait languir deux ans ? –, Lorraine nous balade sur l’île de Groix, au Vésinet, à Rome, à Paris, et surtout sur ce pont qui relie le magnifique cœur de Jo à la promesse que lui a demandé d’honorer Lou, dans son testament – Lou, sa femme partie « là où l’on va après ».
Il y a de la grande Nina Companeez dans cette virevoltante ode à la vie, à l’amour, à la filiation, et Lorraine a l’élégance de ne jamais ne sombrer (on est au bord de l’océan) dans l’eau de rose.
Elle aime sincèrement chacun de ses personnages et l’on se prend à rêver d’être un jour croqué par son écriture si fine : « Notre fils n’est ni sympathique, ni drôle, ni attendrissant, mais il est irréprochable », si touchante : « On ne se remercie pas dans notre famille, on s’entrechoque », si sensuelle : « Elle touche les aliments comme s’ils étaient de la soie ».
Lorraine maîtrise son histoire, aussi sûrement qu’une lame de 10, et que les mots qui sauvent. On est bien dans son livre. On se rassure. On n’est plus seul.
Entre ciel et Lou** est une importante polyphonie familiale doublée d’une magnifique histoire d’amour en famille – elle est, à ma connaissance, l’une des plus belles héritières de l’inoubliable « La vie est belle » et de son ange Clarence. L’ange de Lorraine se prénomme Lou. Elle est un cadeau.

*Entre ciel et Lou, Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 10 mars 2016.
**Oui, oui.
Retrouvez Lorraine ici.

De nouveau en Amérique (4 et fin). La Maladroite.

La Maladroite, c’est l’adjectif qui qualifie Diana, à cause, entre autres, d’ « une trace au cou, un centimètre, et des rougeurs aux poignets et aux avant-bras, un gros bleu à la cuisse, un centimètre et demi de diamètre, un pouce qui fait mal –elle dit être tombée de vélo les deux mains en avant » (page 64).
Le calvaire de Diane va durer un peu moins de huit ans, puisque c’est à cet âge-là que les coups reçus vont définitivement broyer sa vie. Après avoir émietté les os, tordu les pieds, brûlé la peau.
La Maladroite* commence comme un fait divers dans la Voix du Nord, un petit chapelet de clichés : un milieu ouvrier, une jeune femme instable, sans doute devenue mère trop tôt, qui abandonne son enfant à la naissance, puis le récupère pour récupérer l’homme qui le lui a fait, puis la trimballe d’école en école, à chaque fois en fait que les institutrices, les directrices, les médecins et autres témoins, s’approchent de trop près l’effarante vérité. La Maladroite est un livre court, une trajectoire implacable, un désastre annoncé. On n’y trouve ni suspens, ni rédemption, ni explication, juste une écriture comme on cause, posée là, sortie, vomie parfois, de la bouche de ceux qui ont croisés l’enfant maladroit, qui n’ont rien pu faire – telle la deuxième directrice, tel l’aveuglement kafkaïen des services dédiés à l’enfance.
La Maladroite est un livre inclassable, entre documentaire et récit, un livre que la quatrième de couverture qualifie de « premier roman d’une rare nécessité ».
Il est une glaciale autopsie.
Il est un livre dont la seule violence est d’avoir montré comment la vie d’une petite fille vivante pouvait finir à la poubelle. Comme un jouet cassé.

Alexandre Seurat

*La Maladroite, d’Alexandre Seurat. Éditions du Rouergue, coll. « La Brune au Rouergue ». En librairie depuis août 2015.

De nouveau en Amérique (3). Les barbares.

Astrid Manfredi4

Rien de vraiment nouveau sous le soleil (américain) avec ce premier roman* d’Astrid Manfredi, mais ce n’est pas là, dans sa non-nouveauté, que se situe l’intérêt de La Petite Barbare.
L’histoire appartient à la famille de L’Appât, l’épatant film de Tavernier, comme à celle de ce récent fait divers, « Manon » – du nom de cet autre appât qui sévissait sur Internet jusqu’à il y a peu. À ces trop jeunes filles de joie perdue, Manfredi ajoute une pincée de Florence Rey, pour la colère nihiliste, et une autre de Zahia, pour le sex-appeal irrésistible à l’en lire, pour créer sa petite barbare. Une barbarella de banlieue, bien sûr, flanquée d’une mère absolument et inutilement ravissante (dont l’alcool floutera inexorablement la joliesse), qui, très vite, forme un gang de trois enfants errants. Leur terrain de chasse : les Champs Elysées, son VIP, ses rupins affamés, ses voitures grandes comme des studios de banlieue. La petite barbare rabat, suce, se donne, partage, rentre sans compter son blé, s’endort sans se laver, indifférente qu’elle se veut être à la crasse des hommes, à leur misérable foutre. Plus tard, le gang impuni s’enrichit d’un quatrième larron. La vie facile, les coups donnés et surtout leur mépris du monde repoussent leurs limites, le goût du sang a bon goût, « leur haine est plus belle que leur amour » et nous voilà d’un coup, de mille coups devrais-je écrire, poussés dans l’horreur de l’horreur inutile, gratuite, à la façon d’un Youssouf Fofana. Rien de nouveau donc.
Mais là où Manfredi apporte quelque chose de vraiment nouveau à sa petite barbare, c’est la virtuosité de son écriture, son impatience à lui faire trouver une quelconque rédemption, et ce seront justement les mots d’une certaine Marguerite Duras, découverts au hasard, qui lui donneront l’envie, puis le besoin, puis l’addiction au verbe (plus qu’à la chair).
La Petite Barbare est un livre d’amour de l’écriture qui sauve, cette écriture puissante et rare qui plonge chercher les noyés et les remonte à la surface – parce que les mots savent bien qu’ils valent d’être vécus.

* La Petite Barbare, de Astrid Manfredi. Éditions Belfond. Prix Régine Deforges. En librairie depuis août 2015.

De nouveau en Amérique (2). Djibouti.

Djibouti

Voici un court roman* furieux, plein de violences, de sexe, de sperme, de chaleur, d’alcool, de légionnaires, de prostituées de douze ans pour un biscuit, de dix-sept pour un biffeton, un roman finalement plein d’une poésie brûlante comme le soleil du désert éthiopien – celui qui dépèce les braves qui le bravent.
Avec une écriture tumultueuse, comme un fleuve dans le désert, Pierre Deram nous entraine au cœur d’une seule nuit, la dernière nuit que traverse à Djibouti Markus, lieutenant dans la Légion, après des années passées à être «  [des] soldats, les frères des petites filles, la fratrie innocente qui porte la violence et la beauté » ; « une nuit comme on n’en vit pas depuis cent mille nuits », aurait pu chanter Reggiani ; une nuit où les loups sont de sortie et révèlent la pâleur perdue des enfants que nous avons tous été, avant de grandir, avant d’avilir le monde, d’amplifier les vides.
Djibouti est un roman nerveux, implacable, qui plonge dans la mélancolie des hommes – ce poison qui, s’il est douloureux, n’est pas mortel, mais dont on ne se remet jamais tout à fait. Vous voilà prévenus.

*Djibouti, de Pierre Deram. Éditions Buchet-Chastel. En librairie.

[Kokoro] . Quézako ?

Delphine Roux 2

[Kokoro]. Premier roman. Delphine Roux, amiénoise (ce qui me la rend immédiatement sympathique en souvenir de mes années de pensionnat au 146 boulevard de Saint-Quentin), est amoureuse du Japon. Elle nous y entraine dans les traces de deux orphelins, Seki, douze ans, et Koichi, quinze – leurs parents sont morts dans l’incendie du Théâtre de la ville. Et plutôt qu’un livre [hon] d’images de cet envoûtant pays, elle préfère visiter les âmes escarpées des deux orphelins, explorer les failles de leurs cœurs meurtris, et nous dessiner deux chemins : la fuite [nigeru] de Seki et l’immobilisme régressif de Koichi, deux façons de réagir, de survivre aux terribles deuils.
Construit en courts chapitres qui s’ouvrent chacun sur un mot japonais (traduit, rassurez-vous), l’écriture de Delphine Roux possède la délicatesse de la cuisine japonaise : des ingrédients simples au départ et une véritable explosion de saveurs à l’arrivée.

*Kokoro [cœur], de Delphine Roux. Éditions Philippe Picquier. En librairie depuis août 2015.