Archive | Bouquins.

Entrez dans la ronde.

Vienne, à la fin du dix-neuvième. Une prostituée rencontre un soldat qui rencontre une femme de chambre qui rencontre un jeune monsieur qui rencontre une femme mariée qui rencontre un époux qui rencontre une grisette qui rencontre un auteur qui rencontre une comédienne qui rencontre un comte qui rencontre une prostituée. La boucle est bouclée. Elle fait une ronde entêtante. Un cercle parfait. La Ronde, initialement intitulée Liebersreigen – La ronde d’amour – devint Reigen – La ronde – afin de calmer les hystériques censeurs autrichiens qui voyaient dans cette pièce une apologie de la dépravation sexuelle. Arthur Schnitzler a écrit une pièce prodigieuse. Max Ophüls en a tiré un film** qui m’a toujours bouleversé dans lequel Gérard Philipe, Simone Signoret, Danielle Darrieux, Serge Reggiani, Daniel Gélin et les autres, sont tous formidables. La voici à nouveau sur scène**, au théâtre du regretté Gerber, dans une version toute en finesse. Profitez-en.

La ronde

* Éditions Stock (2002).
** Théâtre Montmartre Galabru. Tous les jeudis soirs à 21h30, du 18 février à fin mars (Un conseil, réservez maintenant).

Le tour du monde en 10 jours.

Delesalle

Dix jours sur un cargo, le MSC Cordoba, pour relier Anvers à Istanbul. Mille six cent vingt-neuf containers. Deux cent soixante quatorze mètres soixante dix huit de long – franchement, ils auraient pu arrondir à deux cent soixante quinze.
À son bord, Nicolas Delesalle, grand reporter à Télérama, prend du recul, s’isole sur cet immeuble flottant, retrouve la saveur de la lenteur du temps. Les containers contiennent des citrons belges, des voitures, de la viande de bœuf congelée, des mystères, mais surtout, les souvenirs du reporter. L’un après l’autre, il les ouvre, nous livre leur contenu, comme des chroniques sur la folie des hommes, les guerres, les printemps arabes, la petitesse de Sarkozy, la danse lascive de Raymond, soixante-cinq ans, blanc, et de la belle Aminata, trente ans, ivoirienne, les grands malades de Daech, les joueurs d’échecs russes et les enfants évaporés du Niger, et quelques magnifiques marins et courageux reporters. Comme dans son précédent livre, Un parfum d’herbe coupée, où Nicolas essayait de saisir ce qui s’enfuit (l’enfance), avec Le Goût du large*, il confirme son talent de chroniqueur du temps qui passe, à la vitesse d’un cargo et à celle de la furiosité du monde. L’un des plus beaux tours du monde que l’on puisse faire pour 14,20 euros.

*Le Goût du large, de Nicolas Delesalle. Éditions Préludes. En librairie le 6 janvier 2016.

Les Assassins (Le retour).

Ellory

J’ai rencontré R.J (pour Roger Jon) à l’aéroport de Genève où nous nous rendions au Livre sur les Quais, à Morges. Garçon doux, discret, petite barbe de la couleur d’une bonne George Killian’s, le voisin parfait en somme, à qui l’on confierait volontiers les clés de sa voiture, un crayon, un couteau de cuisine. Le problème, c’est ce qu’il en fait. Avec Les Assassins*, il signe l’un des plus beaux thrillers sur les grands assassins américains, une course-poursuite dans les scènes de crimes terrifiantes, une balade au pays des cerveaux malades, des marteaux qui écrabouillent les visages angéliques, des calibres .35 qui déciment une famille, papa, maman, les quatre enfants. On pensera bien sûr, au hasard de certains chapitres, au glacial De Sang Froid** de Capote. R.J a écrit avec une élégante efficacité cinq cents pages ébouriffantes, et portraituré quelques personnages finalement extrêmement émouvants, coincés qu’ils sont entre l’écœurement de ce dont ils sont témoins et l’impuissance à remettre le monde sur les rails –méchant cocktail qui les prive de cette petite chose à laquelle on rêve tous. Une vie. Vous savez, ce truc qu’on traverse avec quelqu’un qu’on aime, quelques amis, et où la couleur rouge n’évoque pas du sang mais les lèvres d’une femme qui vous envoie un baiser. Bref, un Toulon-Paris à trois cents à l’heure. (Allez, je referme le Kindle). Bon début d’année.

*Les Assassins, R.J.Ellory. Éditions Sonatine. En librairie depuis août 2015.
**De Sang Froid, Truman Capote. Éditions Folio.

Fatal Attraction (L’aller).

SJ Watson

(Kindle, le retour. La faute à un Paris-Toulon AR dans la journée, décidé à la dernière minute). Je n’avais pas lu Avant d’aller dormir*, juste vu le film de Joffé (Rowan, pas Roland) avec Nicole Kidman et Colin Firth, une intrigue formidablement ficelée à partir de l’amnésie d’une femme qui, chaque matin, se réveille sans plus savoir où elle est, qui est le type dans son lit, ce qu’elle fait là. Bref. Quelques affiches dans les gares m’ont donné envie de découvrir le nouveau thriller de ce S.J. Watson, anglais, né en 1971 (veinard), Une autre vie*. Ça fait un peu Douglas Kennedy** comme titre, mais rappelons-nous les brillant « L’homme qui voulait vivre sa vie » et « Les Désarrois de Ned Allen » dudit canadien. Bref encore. Une autre vie, c’est « Fatal Attraction » (film d’Adrian Lyne) et c’est cette fois, la femme qui est harcelée. C’est rapide et efficace, bondissant et rebondissant. Une histoire vieille comme le monde, de tentation, de désir, de chambre d’hôtel, de culpabilité (une bonne résolution pour 2016 : relire tout Hadley Chase !) ; c’est probablement déjà en train d’être adapté pour le cinéma, c’est un Paris-Toulon qu’on ne voit pas défiler même si la fin est un peu « poildecutée » comme on disait de mon temps dans la réclame –ce qui semble malheureusement être le cas de la plupart des thrillers depuis Coben et quelques autres, mais n’enlève rien au plaisir d’un voyage en train.

*Avant d’aller dormir et Une autre vie, de S.J. Watson, éditions Sonatine.
** Tout Kennedy, à part Cul de Sac, a été publié chez Belfond et Pocket.

Conte de Noël.

Vacca

Paul Vacca (mais si, La petite cloche au son grêle*, Comment Thomas Leclerc, 10 ans, 3 mois et 4 jours est devenu Tom L’Éclair et a sauvé le monde**), Paul Vacca donc, a été invité en résidence d’écriture au Centre Hospitalier Métropole Savoie. Une immersion de 24 heures non stop au service des Mélèzes (Alzheimer). A la sortie, un texte bref***, dense, intense. Il est son regard sur les malades, les gestes qui n’atteignent plus leur cible, les téléviseurs silencieux, les chansons du temps d’avant, les souvenirs qui s’évaporent, sur cette maladie qui rapproche des enfants qu’ils étaient et gomme au passage ce qu’ils sont devenus. Le texte vient d’être imprimé à l’heure où on n’a jamais autant eu besoin de regarder, de voir l’autre. Le regard de Paul est beau. Sincère. Franc. Et comme il est très bon écrivain, il a vu autre chose que ce qu’on lui a montré et entendu d’autres mots. Un petit miracle de Noël, en somme.

* Le livre de Poche, 2013. ** Belfond, 2015. *** La Ritournelle, de Paul Vacca. Édition Mission Culture du Centre Hospitalier Métropole Savoie. (Ceci dit, le plus simple est de contacter Paul, je crois).

Madame promène son cul*.

Madame

La Jacob emperruquée, seule dans du velours rouge, ambiance maison, michetons de la bourge, trouduculteurs, nous narre avec les mots choyés, niveau Nobel, d’un bébé* Audiard, sa bouseuse vie, arrivée à Paname, rencontre avec Landru, Henri-Désire s’il vous plait, ouvrière dans les bombes, à l’armistice mariée à un poilu par sens patriotique, lequel avait laissé une jambe, un bras, un bout de cervelet au champ d’Honneur, encloquée deux fois, qu’on retrouvaille chez une coutière. C’est sur les boulevards qu’elle rencontre le barbillon, un contingent de tirailleurs sénégalais à lui tout seul, bâton d’amour immense, inépuisable, qui repousse les limites du plaisir, et voilà Madame en maison, où la mère Maq est « comme une mère supérieure mais maquillée », quinze ans d’amour qui fatiguent, et puis la seconde de guerre, les boches polis, les fridolins friqués, la libération et l’écœurement. Madame devient Madame, gère son claque avec fermeté, mais c’est son troisième chiard, l’enfant de l’amour, qui la chavire. De poulette, la voilà mère poule. Le loupiot grandit au lait de la tendresse. Quand il a l’âge des poils, c’est l’Algérie. Il est dans les Aurès. Il y a du moche. De l’indicible. Ça se boucle sur une date. Un souvenir pourpre. Le 17 octobre 1961.
Madame* est servie par un texte remarquable d’humour et de cocasserie, enfant d’Audiard et de Janson, revêtue d’une Catherine Jacob au firmament du classieux, du vulgos retenu et de l’humain. Quatre-vingt minutes de bonheur, par les temps qui courent, ça se refuse pas. (Vite, ça finit le 20 décembre).

* Les remparts de Varsovie, Jacques Brel. **Rémi de Vos, Madame, suivi de Projection privée et de L’Intérimaire, Actes Sud Papiers (2011).*** Madame, mis en scène par Rémi de Vos, interprété par Catherine Jacob, Théâtre de l’œuvre à Paris.

Bonapartus.

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Le 7 janvier de cette année, les frères Kouachi dégainaient contre Charlie Hebdo, assassinaient douze personnes (dont huit collaborateurs du journal), en blessaient onze autres. Je suppose que le soir même, ou dans les jours qui ont suivi, Romain Puértolas a dégainé son stylo, ou ses petits doigts, pour écrire cette farce tragi-comique qui décongèle notre bon Napoléon Bonaparte et son fidèle mammifère herbivore, ongulé à sabots, Le Vizir, afin de venir à bout de Daesch (sic), acronyme de ad-dawla al-islamiyya fi-l-‘iraq wa-s-sam. Romain (garçon charmant au demeurant) s’est visiblement marré à écrire cette histoire qui crépite à la vitesse des balles d’une AK47 – mais qui tirerait des chamallows –, à composer cette petite armée digne d’un épatant casting de Robert Lamoureux, et à imaginer une guerre menée en burqa et en string (sous la burqa). À noter une scène tordante (comme dirait ma belle-mère) dans le bureau de l’Élysée, entre le grand Napoléon, 1,68 m et celui qu’on nommait alors Naboléon, 1,68 m sans ses talonnettes orthopédiques, sous le regard idiot et supérieur de Hollande, 1,74 m. Sous la farce, il y a évidemment un grand coup de gueule contre l’impossibilité de nos bons politiciens à agir, trop occupés qu’ils sont à leurs magouilles et la préservation de leurs postes, et auquel malheureusement, le 13 novembre (et le premier tour des régionales) vient violemment de gifler.

*Re-Vive l’Empereur, de Romain Puértolas. Éditions Le Dilettante. En librairie depuis le 30 septembre 2015. Merci à Brigitte Opigez pour m’avoir offert ce livre, et à toi Romain, pour ta super dédicace.

Sept ans de réflexion.

Antonio Garrido La scribe

Il y a fort longtemps, lorsque la télévision n’avait que deux chaines, il y avait un grand film le dimanche en début d’après-midi, sur l’une, puis au milieu de l’après-midi, sur l’autre. J’avais une dizaine d’années, je découvrais Gérard Philipe dans Le Rouge et le noir, La chartreuse de Parme, Fanfan la Tulipe, Jean Marais dans Le Masque de Fer, Le Bossu, Bobby Hyatt dans Les Aventure d’Hucklerry Finn. Je restais scotché devant l’écran en noir et blanc, je voyageais sans bouger, je m’évadais de tout, du retour au pensionnat le dimanche soir, des devoirs à rendre le lundi, des humiliations à venir au basket, j’étais emporté. C’est ce sentiment que je viens de revivre, quarante ans plus tard, à la lecture de La Scribe* d’Antonio Garrido – l’épopée d’une femme inoubliable dans la Franconie, à la veille du sacre de Charlemagne, en 799. Garrido a consacré sept ans de sa vie à ce livre. A l’arrivée, six cent trente pages haletantes autour du parchemin de la Donation de Constantin (qui devait assurer la pérennité de la chrétienté), d’aventures, de trahisons, de rebondissements, et d’amours venimeuses comme on les aime. Les soirées d’hiver sont longues, ça tombe bien.

*La Scribe, d’Antonio Garrido. Éditions du Livre de Poche. En librairie.