Archive | Bouquins.

Cours, cours (1/2).

Le Guilder

Voici un roman* étonnant. Déroutant. Amusant. Enchantant. Riant. Déconnant. Insolent.
L’histoire du petit Jeanyf, quatorze ans, qui court après l’absence de sa mère, Yvette, dont le mari, donc son papa, Pierryf, peint le visage sur tout –comme quand les Anglais font des assiettes, des mugs, des t-shirt, des casquettes, des abats jours, etc, avec la tête d’Elizabeth– ou le sculpte dans du buis. Jeanyf qui court comme un lièvre dans la forêt. Comme un fou derrière un ballon. Qui court pour ne pas tomber. Qui court après la belle Bessie, quatorze ans aussi, qui confond aimer et faire mal. Qui court de surprises en surprises depuis que les nouveaux voisins ont fait, dans ce trou du cul du monde, un drôle de Club (les concombres d’ailleurs, et les pieds de chaises, et les battes de baseball et autres grosses carottes sont en rupture de stock dans le village).
L’histoire d’un petit (1,40m) gamin, qui se demande s’il n’est pas ric-rac pour la vie, mais dont le cœur immense apporte la plus surprenante des réponses.

*Ric-Rac, Arnaud Le Guilcher, éditions Robert Laffont. En librairie.

Pauvre Richie.

Richie

Voici un livre* infiniment triste.
Et ce n’est pas à cause de la plume glaciale de Raphaëlle Bacqué, une lame de 10, un scalpel qui incise cette histoire, jusqu’aux entrailles de la chambre froide, qu’il est infiniment triste non, mais à cause de Richie lui-même.
Richie, c’est Richard Descoings, charismatique, manipulateur, colérique, audacieux, idéaliste et pervers (entre autres) directeur de Science Po. Richie, comme un nom de rock star, adulé par ses élèves, courtisé par le Pouvoir (sacré Sarkozy), gangréné par tous ses désirs, toutes ses névroses, toutes ces choses qui mettent en place la plus convenue des tragédies.
Richie, c’est l’histoire (vraie) d’un couple à trois : celui qu’il forma avec Guillaume Pépy, patron de la SNCF, et Nadia Marik – que j’ai rencontré dans la pub, à l’époque où elle était bien loin de celle qu’on allait appeler la « tsarine » ou « Elena », comme dans Nicolae et Elena Ceausescu, ainsi que l’écrit Bacqué.
Richie, c’est une histoire d’appétit homosexuel sans fin, une histoire hétérosexuelle d’amour (vrai) ; une histoire de pouvoir, de détournement d’argent, de mains dans la caisse et de mains aux culs. Une histoire de petits Borgia, en somme, rue Saint-Guillaume. Une histoire banale et sordide. Un petit fait divers pavillonnaire. Mais voilà. Les noms sont connus. Il y a eu un mort. A New York. Dans une chambre d’hôtel. Il y a eu des escorts boys. Beaucoup l’alcool. Un cœur qui lâche. Ça a un parfum de Sofitel. De DSK. Alors le fait divers devient un livre. Et tous les deux sont d’une infinie tristesse.

*Richie, Raphaëlle Bacqué, éditions Grasset. En librairie.

Cadeau Bonux.

Lafitte

Je connais assez bien Philippe Lafitte pour avoir eu le plaisir de travailler avec lui dans la réclame où il officiait en tant que (très bon) directeur artistique -c’est à dire qui s’occupait des images. Et voilà douze ans déjà, que les images, il les a dessinées avec des lettres, qui ont formé des mots, qui ont tracé des phrases, qui ont donné naissance à Mille Amertumes*, son premier (très bon) roman.
Quatre livres plus tard, le revoici avec un nouveau texte** trépidant à souhait, à la croisée de deux mondes -Belleville et Shanghai ; une histoire d’amour sur fond de voyous, de chocs de culture, de bastons, de mensonges, de peaux douces comme des promesses, et de cicatrices jamais vraiment refermées, creusées à l’époque sombre d’Hô-Chi-Minh, et mille fois ravinées depuis. Un roman vif comme L’Homme de Rio (Philippe de Broca, 1964), sombre comme Roméo et Juliette (William Shakespeare, 1597) ; et tiens, puisqu’on parle de cinéma et de scène, Philippe, en ex (très bon) publicitaire qu’il est, a mis dans son roman un cadeau Bonux : de quoi faire un film jubilatoire et/ou une formidable série télé. C’est ce qu’on lui souhaite au plus vite.

*Mille Amertumes, éditions Buchet/Chastel, 2003. Ont suivi : Un monde parfait, Etranger au Paradis et Vies d’Andy (Le Serpent à plumes).
**Belleville Shanghai Express, Philippe Lafitte, éditions Grasset. En librairie depuis le 4 mai 2015.

Invitée #20. Mireille Calmel.

Nice 2013. Sur le cours Saleya. Le salon du livre. A côté de moi, un auteur que je ne connais pas. Soudain, une petite fan de treize ans l’aborde. Timide. Et tellement heureuse. Puis une autre, une fan de quarante-cinq ans cette fois. Une autre encore. Vingt-trois ans environ. Puis deux sœurs. Qui la photographient en rougissant. Puis dix, puis trente. Nos regards se croisent. Je viens de rencontrer Mireille Calmel. Nous deviendrons amis.
Depuis, j’ai lu ses livres* afin de comprendre pourquoi ce rapport si fort avec ses lecteurs. Et j’ai compris, avec le temps, que ce n’est pas tant parce que chacun de ses livres est absolument formidable, mais parce que Mireille est absolument formidable. Formidable ici est synonyme de rare. De vraie. De juste. De sincère. Et de belle.
Je lui ai demandé de nous présenter l’un de ses coups de cœur. Le voici.

Lelait-Helo

La couleur des mots.
Lequel d’entre nous, écrivain, ne l’a crayonnée, fort de cet indicible certitude d’en maîtriser l’essence ? Avant, la fougue retombée, de relire une belle phrase pétrie de lumière, de style, de talent, mais somme toute, pas meilleure que la précédente. On crée des formules, on tricote ou détricote le passé, le présent, le futur, selon nos rythmes, nos envies, nos forces ou nos faiblesses. Nous sommes ce que nous écrivons. Nous sommes une idée, un geste, un espoir, parfois un monde. Nous sommes des soupirs, des silences, des cris, des rires. Nous sommes des larmes qui, de joie ou de tristesse, coulent pour raviver cette couleur-là. Nous sommes des passants à qui nos maisons survivent. Mais combien sommes-nous à avoir regardé la teinte des pierres ? Vous savez bien, celle qui s’irise, là où les jardins clos interdisent le regard, emprisonnent cette part de nous même qui devient la couleur des sentiments.
Pff ! me direz-vous. Les pierres ont la couleur du temps qui passe ! Les murs supportent peinture, tapisserie, stuc, selon mode et goût de leurs occupants. Appartement, maisons ? Simples abris pour nos existences en mouvements, pour nos grigris d’adultes enfants. On les habite. Parfois oui, on les aime ! Comme on les quitte avec nostalgie ou soulagement. Pas de quoi en faire un livre ! D’autant que tout le monde l’a admis : les pierres sont silence.
Eh bien non !
David Lelait-Helo l’affirme et je le crois**.
Les pierres parlent. Les murs suintent ce que nous leur confions. Ils sont les bras solides qui enferment nos rêves, nos désillusions, chaque kaléidoscope de notre minuscule existence. Ils sont l’Histoire dans l’histoire de nos vies. Ils sont nous, cette impression en noir et blanc d’une respiration en couleur.
David Lelait-Helo l’affirme. Mieux, il le prouve.
Je pourrais vous parler de la magie de son livre, né d’ « Entre les pierres ». Je pourrais évoquer la délicieuse inclinaison de sa poésie, disserter des heures sur ce tableau de maître qu’il a su peindre entre matière et transparence, entre murs et vitres, entre la légèreté d’un pas qui danse et la chute d’un corps qui s’oublie. Je pourrais vous raconter l’Argentine que cette maison de Buenos Aires a vue naître, grandir, souffrir, aimer. Je pourrais vous parler de son occupante, Soledad Salvador, de son carnet bleu sans ligne, portion de ciel nichée sous la bretelle de son soutien gorge et dans lequel elle trace ses nuages, ses terribles nuages.
Mais…
Cette maison m’a rendu à l’humilité du vent qui s’enroule autour d’elle, ce vent qui l’admire dans sa splendeur, pleure sa décadence et se souvient que la seule couleur qui flamboie, lorsque vient le couchant, est celle du sang.
Grâce à elle, mon cœur s’est enjolivé d’un battement plus intense. Il m’en reste un bijou en sautoir, un rubis, que je porterai longtemps.
Alors face à cette palette si riche, si subtile, si humainement éblouissante, je n’aurai qu’un seul mot pour colorer l’instant : Merci.

Extrait (choisi par Mireille) : « Vous avez des yeux, j’ai des fenêtres. Vous avez les paupières, j’ai des persiennes. Vous avez des rides, j’ai des fissures. Vous avez de l’âme, j’ai des miroirs. Vous avez des secrets enfouis, j’ai des caves. Vous avez les larmes, j’ai la pluie. Vous avez le sang, j’ai l’eau. Vous avez la fièvre, j’ai la flamme. Vous respirez, je m’aère. Vous naissez, je m’élève. Vous mourrez, je tombe. Vous êtes un cadavre, je suis une ruine. Vous avez des chagrins, j’ai les vôtres. »

*Tous les livres de Mireille sont publiés chez XO Éditions. Son site : http://mireillecalmel.com/
**D’entre les Pierres, David Lelait-Helo, éditions Anne Carrière, 2014. En librairie. A découvrir aussi, chez le même éditeur, avec un égal bonheur et parmi d’autres : Poussière d’homme (2006), Sur l’épaule de la nuit (2010) – sélection et coup de cœur du prix des romancières.

Le cœur des mots.

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Avant d’être l’histoire de la vertigineuse chute d’un homme, Le Cœur du pélican* est un livre d’amour des mots. Céline Coulon a vingt-cinq ans, et voici déjà son quatrième roman, gourmand, généreux, ample ; une symphonie de mots qui aiment autant la musique qu’ils composent que ce qu’ils racontent. Une sorte d’opéra majestueux… en milieu pavillonnaire. Avec son héros qui fend l’air, fait tomber les chronomètres et embrasse les rêves immobiles des rois du barbecue du week-end dans les jardinets, réveille les illusions de tous ceux qui ne s’envoleront jamais. Jusqu’au jour où. Où une douleur dans la cuisse. Comme une flèche. Où le corps du héros s’effondre sur la piste. Où, en tombant, il écrase tout. L’estime de soi. L’amour. Et surtout, l’envie de se relever. Qu’il est long le chemin qui mène à l’ironie suprême, chantait Christophe Bevilacqua. Cette ironie ici, qui consiste à penser qu’il y a davantage de grâce dans la chute que dans l’élévation. Davantage de courage à courir après l’impossible que juste marcher devant soi. Un pas après l’autre. La seule façon, je crois, d’atteindre les étoiles.

*Le Cœur du pélican, de Cécile Coulon. Editions Viviane Hamy. En librairie.

Du langage des fleurs.

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Alors bien sûr, lorsque François Alquier (excellent journaliste doublé d’un vrai chouette type) l’a lu*, il a aussitôt établi un lien avec mes Quatre Saisons de l’été, à cause du langage des fleurs. Il m’en a donc fait une : il m’a offert ce premier roman, écrit à quatre mains par Franck Calderon et Hervé de Moras. La Prétendue innocence des fleurs (quel beau titre) est, comme un bouquet multicolore, multi savoureux, tout à la fois un chant d’amour pourpre, un thriller vénéneux, une intrigue judiciaire à épines, une histoire d’amitié rugueuse, un chemin de rédemption à l’odeur de glycines, un concerto enivrant, une course au trésor où le trésor serait la vérité, et un pardon douloureux qui porte le jaune d’une rose. L’ensemble -a priori hétéroclite- offre une composition d’une rare virtuosité, qui laisse dans son sillon le parfum d’un très, très bon bouquin.

*La Prétendue innocence des fleurs, de Calderon et de Moras, éditions Scrinéo. En librairie depuis le 7 mai 2015.

Je me suis tu(é)e.

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Souvenez-vous. L’Incroyable vérité. Le Faux-coupable. Voici venu le temps des assassins. Justice est faite. Ascenseur pour l’échafaud. Souvenez-vous des meilleurs Simenon. Souvenez-vous de ces films ; de ces textes d’un réalisme cru, sauvage, terrible, où la main ne tremble pas lorsqu’elle tire, poignarde ou étouffe, où les remords de l’assassin ne l’étouffent pas toujours, pas tout de suite en tout cas, mais où le temps, comme une marée que rien ne peut empêcher de polir, de faire cloquer les surfaces et d’y faire apparaître les choses, les hontes et autres encombrants secrets ; eh bien le premier roman* de Mathieu Menegaux rejoint, un demi siècle plus tard, ses prestigieux aînés : cette famille d’histoires qu’on écoute ou qu’on lit sans vraiment y croire, mais qui finissent par s’instiller en nous et ne plus jamais, jamais nous quitter.

*Je me suis tue, Mathieu Menegaux, éditions Grasset. En librairie. (Merci à Fanny, Marie-Laure et Aurélie de la Librairie Payot de Lausanne, pour m’avoir fait découvrir ce texte).

Au malheur des dames.

Flammes 1

Le désir, l’amour, la passion ont tous des synonymes de feu. De braises. De flammes. D’incandescences. De brûlures.
Gaëlle Nohant allume un feu magnifique*, des flammes qui montaient à cent mètres, qui, en ce mois de mai 1897, incendient le très couru Bazar de la Charité, rue Jean-Goujon à Paris ; un brasier qui consume la grâce, le velouté des peaux, les coiffures maniérées et les toilettes ravissantes des femmes aux titres long comme des douleurs ; qui lèche et dévore sans discernement les dames de cœur comme les petites gens, épargnant curieusement les hommes, en cette fin de siècle où les convenances assassinent plus efficacement que la lame d’un fleuret. La Part des Flammes est un bouillant bouillonnant roman-feuilleton aux accents whartonniens ; un livre sur l’immense malheur des femmes, sur la nostalgie de ce temps où la solitude n’était pas une ennemie, mais un territoire de liberté ; un livre qui donne envie de se consumer d’amour. Mais de son vivant.

*La Part des flammes, de Gaëlle Nohant. Editions Héloïse d’Ormesson. En librairie depuis le 15 mars 2015. Et depuis, Prix Page des Libraires/France Bleu 2015.