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Un doigt de violence ordinaire.

Voici le second récit* de Dalie Farah, après Impasse Verlaine** (que je n’ai pas lu et qui, semble-t-il, racontait son enfance battue comme plâtre par sa mère et fut récompensé par neuf prix en 2019) dans lequel elle rapporte les conséquences des deux doigts d’honneur qu’elle fit à un automobiliste qui venait de la klaxonner un matin sombre tandis qu’elle traversait en dehors du passage clouté devant l’école où elle se rendait pour y donner cours. Suite à quoi, elle se prit une bonne mandale dans la tronche. 
Cet incident est le point de départ de son témoignage de prof berbero-auvergnate et surtout de toute cette violence qu’on rencontre désormais à l’école de la république et, également, devant l’école. Dalie Farah nous narre avec un humour désespéré et épatant ces trois violences qui l’ont traumatisée (la baffe suscitée, l’insulte d’un élève et les coups d’un autre), la mollesse océane de l’éducation nationale, les mensonges de Blanquer, le poids et l’inertie du Mammouth (on rigolera en pensant à ce sujet aux promesses d’un autre mammouth, Claude Allègre), mais surtout, et c’est ce qui m’a le plus touché dans ce récit qui file à toute blinde, sa réflexion sur ces petites origines de la violence, cette soumission atavique à l’excès de l’autre, notre inconsciente complaisance : « Être une victime, c’est avoir de la valeur pour le criminel » (page157) ; et si à l’arrivée, elle ne propose rien (qui le pourrait alors que même le président Macron pose en chemise blanche humide avec des loulous torses nus qui font des doigts), on se surprend à rêver que chacun se civilise un peu, oh, juste un peu. Mais parions que ce n’est pas demain la veille.

*Le Doigt, de Dalie Farah. Éditions Grasset. En librairie depuis le 3 février 2021.
**Éditions Grasset (2019) et MonPoche (2020).
Une phrase bouleversante, page 196 : « La faim ne tient plus dans sa bouche ». On dirait du Michaux.

Pour le meilleur et pour le meilleur.

Une femme et un homme qui ne se connaissent pas lisent le même livre, se rencontrent et finissent par s’épouser. Ce livre, c’est Entre ciel et Lou de Lorraine Fouchet. Aussi, quand ils demandent à Lorraine de leur en dédicacer une cinquantaine pour leurs invités, qu’ils l’invitent elle-même au mariage, il ne lui en faut pas plus pour avoir matière à son 22 ème roman*, Face à la mer immense qui emprunte lui aussi son titre à la fameuse chanson de Serge Lama, Une île, car c’est là, sur l’île de Groix, que tout ramène toujours Lorraine, comme un aimant. Y revoici donc sa ribambelle de personnages délicieux, son cortège d’espérances et sa joie possible tapie dans l’ombre de chaque chagrin, de chaque petit secret puisqu’en habile romancière qu’elle est, elle n’oublie pas qu’elle a longtemps été médecin urgentiste et à ce titre rêvait de sauver le plus grand monde possible. La voilà cette fois qui plonge dans cette mer immense des sentiments (à l’occasion d’un (re)mariage – familles compliquées, couples ébréchés, enfants fissurés, grands-parents fêlés) pour sauver chacun d’eux et par extension rendre chacun de nous sauvable. Avec son cœur immense, Lorraine espère toujours que chacun trouve bonheur à son pied et c’est sans doute pour cela qu’elle écrit. Pour nous rappeler que c’est possible. Ce qui en fait notre plus belle diseuse de bonnes aventures.

*Face à la mer immense, de Lorraine Fouchet. Éditions Héloïse d’Ormesson. En librairie le 1er avril 2021.

Ah, les beaux jours !

Non. Ce n’est pas parce que ce premier roman* m’est dédié (merci, merci) qu’il est ici. Il est là parce que c’est un roman jubilatoire, enlevé, drôle, touchant, plein de rebondissements, de surprises ; que c’est une ébouriffante histoire de famille (tout ce qu’on aime, avec des personnages hauts en couleur, d’autres plus effacés (méfiance)) et qu’à l’arrivée, on se retrouve dans une joyeuseté salutaire, un tourbillon d’émotions. Ajoutez à cela une écriture enlevée, décomplexée et diablement efficace, vous comprendrez que Jours de semaine est à inscrire d’urgence sur la liste de vos envies de lectures, d’autant que les retrouvailles au bistrot, les soirées restos et les dîners de familles nombreuses ne sont pas pour demain.

*Jours de Semaine, de Diane Sakakini. France Loisirs Poche. En librairie depuis le 25 février 2021.

Dans les pages de Romain Puértolas.

Dans la foulée de sa réinvention littéraire chez Albin Michel avec le jubilatoire La police des fleurs, des arbres et des forêts (octobre 2019) que j’avais ici loué, voici Sous le parapluie d’Adélaïde*, une sorte de préquel du précédent, tout aussi divertissant puisque Romain reprend tout ce qui a fait le charme du premier. Le style, d’une malicieuse naïveté. L’intrigue, joliment désuète. Et surtout le rebondissement digne de nos plus grands auteurs populaires :  Gaston Leroux, Stanislas-André Steeman, Maurice Leblanc et Agatha Christie dans ses grands crus.
Nous voici quelque part en France, dans les années 20. Dans la ville de M. C’est le matin de Noël, la foule assiste au spectacle de la crèche (pas d’âne cette année, on comprendra pourquoi si on a lu le précédent). Et surtout un crime. Des mains noires sur un cou blanc. Une femme est étranglée au milieu de la foule. Personne n’a rien vu. Entre en scène une intrépide avocate de 20 ans qui va se lancer dans cette enquête avec la foi d’un Rouletabille et la finauderie d’une Miss Marple. 
Avec cette nouvelle aventure, Romain nous régale et nous cueille une fois encore car derrière son apparente joyeuseté se terre une gravité qui donne toute sa force et sa noblesse à ce qui n’aurait pu être qu’une nouvelle aventure de la Bibliothèque Verte.

*Sous le parapluie d’Adélaïdede Romain Puértolas. Éditions Albin Michel. En librairie depuis le 30 septembre 2020.

Même les mamans font des cauchemars.

La disparition d’un enfant est le cauchemar de chaque parent. Mais quand c’est l’un des deux (ici le père) qui enlève sa fille, l’emmène à Raqua, au cœur de Daech, et fait d’une petite Lila de trois ans une Fatima couverte des pieds à la tête qui très vite ne parle plus que l’arabe et joue avec des papillons dans les ruines sur fond de bruits de guerre, ça n’a pas de nom. Peut-être la douleur d’une gelure qui précède à l’amputation. 
Cette histoire vraie*, c’est celle de Magali Laurent dont la fille Lila a été enlevée par son père, Anis, en octobre 2015 et ne sont jamais revenus du djihad. 
Reviens, Lila est d’abord un livre écrit à sa fille, « Et puis qui sait, si par bonheur la mort l’avait épargnée, elle tombait dessus ? » (page 206). Une longue lettre qui raconte leurs trois années ensemble avant la disparition. Une mémoire qui ne s’estompera plus. C’est aussi le récit précis des jours qui ont suivi. La sidération. L’effondrement. Magali Laurent se souvient. La barbe qu’il laissait pousser. La djellaba. La calotte. La mosquée. Sa honte de voir son mari se radicaliser. Son silence, du coup. Son aveuglement. Elle raconte, comme on enquête, la mise en place du piège. Le départ soi-disant pour des vacances chez la grand-mère en Tunisie. Et puis l’appel de Turquie, à la frontière syrienne. C’est enfin un troisième livre qui crayonne le portrait d’une mère désespérée qui s’accroche, renaîtra un jour en femme amoureuse, en maman surtout, ce que Anis avait aussi fait disparaître en faisant disparaître leur fille. Quels livres !

*Reviens, Lila, de Magali Laurent, avec Françoise-Marie Santucci. Chez Grasset. En librairie depuis le 3 février 2021.

Le kourrage de Fabienne.

Il en aura fallu du courage, et de l’amour, à Fabienne Legrand pour écrire ce livre, raconter l’histoire triste et belle (puisqu’elle finit bien) de son fils Antoine, son p’tit con, comme elle l’appelle, son trou du cul, frappé à 17 ans, l’âge où l’on ne devrait que mourir d’amour, d’une méningite foudroyante de type W135, une saloperie qui engage son pronostic vital. Le choc passé, la violence encaissée, voilà Fabienne qui choisit le rire (le vie) au lieu de la colère (la mort). S’installe alors une formidable chaine de solidarité autour de cette maman qui rit et de ce fils qui pleure. Kourrage Antoine est le récit de cette épopée improbable, cette fabuleuse chasse à la baleine qui s’appelle l’espoir, portées par une écriture qui virevolte et nous cueille d’un rire là où l’on devrait s’effondrer. Un livre immense puisqu’il chante la vie, l’humour et l’amour. À recommander d’urgence à tous ceux qui tirent la gueule parce qu’un minuscule virus les empêche, les pauvres chéris, de traîner en terrasse, une bière à la main, une clope au bec.

*Kourrage Antoine, de Fabienne Legrand. Éditions Le Cherche-Midi. En librairie depuis le 8 octobre 2020.
Et comme un plaisir ne vient jamais seul, Fabienne qu’on aime tant pour ses célèbres albums illustrés (Absolument fabuleuse, Un été au Cap Ferret) a illustré ce livre. Un régal de plus.

La Providence.

J’ai reçu un étonnant petit livre. Il s’agit de La Providence, signé d’une certaine Michelle Brun. Dans la lettre qui l’accompagnait, elle m’expliquait m’avoir découvert au travers du cadeau qu’on lui avait fait de mon dernier roman, Un jour viendra couleur d’orange, et qu’elle en avait été captivée, je cite : « Je ne l’ai pas lâché sauf pour dormir et manger ». Et la voilà qui m’adresse son livre dont le titre me fit frissonner puisqu’il est le nom du pensionnat où j’ai passé tant d’années à Amiens, même si le dessin figurant sur la couverture évoquait un bien autre lieu. (Il s’agit en effet d’un orphelinat sis au cœur du quartier Saint Joseph à Clermont-Ferrand).
Voici donc un opuscule de souvenirs écrit par une femme dont on apprend qu’elle est née en 1953 et qu’elle s’est retrouvé à 6 ans à l’orphelinat, qu’elle y a grandi, ri avec une amie dont le corps était à moitié brûlé car elle est « tombée dans une bassine d’eau bouillante quand j’étais Bébé » (page10), que plus tard, elle écoute Johnny Hallyday, « les sœurs le surnomment La gouttière car il sue beaucoup » (page 25), et voilà qu’elle a 11 ans, toujours pas ses règles mais de grande taille, écrit-elle, et que sa mère Simone a le droit de la « prendre chez elle un dimanche après-midi par mois ». Simone habite désormais avec un certain Marcel avec lequel elle a un bébé. Marcel entraîne Michelle à la cave, la couche sur un carton déplié et « après quand il a fini et que j’ai mal à ma zézette, il chante en montant l’escalier dans la vie faut pas s’en faire moi je m’en fais pas » (page 35).
En quelques pages tout est dit, tout est avoué, sans fioritures, dans une écriture profondément « sociale » ai-je envie de dire, une voix comme je n’en avais encore jamais lue, faite de brutalité douce, de violence sans haine, d’évidence glaçante et si fragile à la fois.
La Providence est une étonnante bousculade ; un texte venu de nulle part dont les mots télescopés, comme des silex, ont fait des étincelles dans mon cœur. Un texte comme on n’en trouve pas, à l’image de ces souffrances qu’on ne voit pas.

*La Providence, de Michelle Brun. Texte auto édité (7,5 €). Je suppose que vous pouvez le commander directement chez l’auteur : michelle.brun@orange.fr

Un conte pour les grands.

Notre petit monde ne va pas bien. Il est même très malade. La haine. L’argent. Le pouvoir. Toutes ces choses qu’on connaît et contre lesquelles on ne fait plus rien depuis belle lurette. Les méchants s’apprêtent à utiliser les armes monstrueuses (qui ont fait leurs preuves à Nagasaki et Hiroshima) pour avoir plus de pouvoir encore. Et voici que des Frères inattendus* arrivent, désarment la Terre de toutes ces saloperies, la répare, soigne les hommes et fait rêver à un monde meilleur, une chanson de Beatles, Imagine – pour ne pas la citer ; un monde où « La mort est le seul ennemi qui mérite d’être combattu, pourchassé, vaincu » (page 326) et dont le combat devrait nous unir tous, frères humains. Dans son dernier livre, Amin Maalouf nous livre, sous forme de suspens, un bien agréable conte philosophique sur cette Atlantide perdu où les hommes s’aimeraient enfin. Il y a du Barjavel dans cette histoire, un vieux rêve dont on sait qu’il ne verra jamais le jour mais qu’il a été confortable de rêver.

PS. Comme Maalouf est un malin et que le mal qu’il décrit a un fantastique écho avec la pandémie du moment, il écrit, page 301 : Mais quelle arrogance est pire que celle de l’homme qui prétend décider à notre place si nous devons préserver de la maladie et de la mort les êtres qui nous sont chers ? Ceux qui expriment de telles prétentions sont des hommes d’un autre âge qui ne devraient certainement pas se trouver à la tête d’un pays avancé et libre comme le nôtre. (Si vous connaissez l’un de ces zigotos qui nous gouvernent, merci de lui conseiller ce livre).

*Nos Frères inattendus, de Amin Maalouf. Éditions Grasset. En librairie depuis le 30 septembre 2020.