Sept ans après, Emma fait toujours l’actualité dans la Voix du Nord. (Ci dessus, article publié le 1er mai 2024).
Interview avec un peu de poil à gratter dedans.
Par Dana Philp.
Tu as toujours de très bons titres pour tes livres. Cette fois, pour la première fois, on sent la notion de danger. Est-ce que Danser au bord de l’abîme est un livre « dangereux » ?
D’abord, je te remercie pour cet agréable commentaire sur mes titres.
Dans celui-ci, il y a un paradoxe, une tension ; d’un côté il y a le risque de tomber (l’abîme), de l’autre, celui de la joie (la danse). Le livre se situe exactement sur cette crête là. Oui, on peut tomber, mais c’est de là aussi où l’on peut tomber que l’on peut également s’envoler. Quant à la dangerosité du livre, il n’y en a pas. Ce qui est dangereux, et paradoxalement très beau, ce sont les choix que va faire mon héroïne.
En évitant de faire un « spoiler », raconte nous l’histoire, s’il te plaît.
Je ne pourrais pas mieux faire que la quatrième de couverture qui dit ceci : « Emma, quarante ans, mariée, trois enfants, heureuse, croise le regard d’un homme dans une brasserie. Aussitôt, elle sait ».
Tu écris à nouveau dans la peau d’une femme. Comment fais-tu pour que ce soit si réaliste, si sensible ?Depuis La Liste de mes envies, je suis secrètement nostalgique de cette « peau » là. J’avais adoré être Jocelyne, voir le monde à travers ses yeux, sa bienveillance, sa douleur. D’une certaine manière, elle m’avait rapproché de ma mère. Pour ce nouveau texte, je savais que j’allais retrouver un grand personnage féminin, une femme que le désir allait foudroyer, qui allait tout risquer pour ça, pour ce vertige. Je ne pouvais pas ne pas être elle. Alors, j’ai remis mes talons, ma robe, mes beaux et longs cheveux blonds, des blés au soleil. Plus sérieusement, j’ai fait avec ceci : impudeur, sincérité, ravissement, et un immense amour des femmes.
Dans chacun de tes livres, il y a moment où l’histoire bascule grâce à quelque chose de complètement inattendu. Y a-t-il une raison ?
Les histoires doivent bifurquer pour être intéressantes. La linéarité ne fait pas de très bons livres.
Dans la vie aussi, tout bascule souvent. Une rencontre, une maladie, un décès, un chèque de dix-huit millions (rires). J’aime être surpris quand je lis, alors j’essaie de surprendre en écrivant. En remettant en jeu l’histoire elle-même. On retrouve le danger dont tu parlais tout à l’heure.
Pour toi, quel est le rôle de la littérature dans nos vies ?
Outre le fait de nous divertir, de nous faire réfléchir, frissonner, rêver, elle a pour but l’analyse des conséquences. Elle est ce recul, ce point de vue différent sur les choses de la vie. Pourquoi Antoine, dans On ne voyait que le bonheur, tire sur sa petite fille ? Pourquoi Jocelyne, dans La Liste, refuse d’encaisser le chèque de dix-huit millions ? Pourquoi ici, Emma risque tout pour une promesse, une incertitude ? C’est la grâce de l’art de pouvoir prendre du temps, d’être dans un autre rythme que la vie elle-même. La littérature est là, dans cette distorsion.
Le désir est un thème récurrent dans tes livres. Tu laisses entendre que ça ne peut pas durer. N’est-ce pas un constat tragiquement triste ?
Le désir est justement fascinant parce qu’il ne dure pas. Pas dans son intensité magnifique en tout cas, dans la passion, dans le feu. Ce n’est pas triste. Ce qui est triste de ne pas l’avoir connu. De ne pas s’être brûlé.
Dans La Liste de mes envies tu as quand même écrit que le bonheur consiste à désirer ce qu’on possède déjà ; n’est-ce pas une contradiction ?
Touché ! Mais je pense que cette citation renvoie au désir des choses d’une vie et probablement de l’amour, continuer à désirer son amour. Le désir d’Emma dans ce nouveau livre, est un désir de fusion, de perte, un danger, une éphémérité.
Alors, voici quelques citations autour du désir. Dis-moi ce que tu en penses…
« On ne désire que ce dont on manque » (Platon).
Probablement vrai il y a deux mille trois cent seize ans. Encore plus vrai aujourd’hui.
« Les femmes désirent ce qu’elles aiment, les hommes aiment ce qu’ils désirent. » (Sacha Guitry).
Guitry aimait trop jouer avec les mots pour avoir toujours été précis ou juste ou même sincère. Dans cette citation c’est le « aiment » des hommes que je trouve inexact. Ils sont un peu plus cannibales que cela. Je crois qu’ils désirent davantage ce qu’ils désirent qu’ils ne l’aiment.
« On en vient à aimer son désir et non plus l’objet de son désir. » (Friedrich Nietzsche).
Malheureusement. Le désir lui-même est un tel vertige qu’il peut se suffire à lui-même.
« C’est lorsque le désir cesse que tout commence. » (Stéphane Jean).
Je ne connais pas Stéphane Jean, mais je trouve cette phrase terrible. Comment, on doit remiser le désir pour vivre ! Quelle tristesse, quelle négation même de notre humanité !
« C’est une perle rare en ce monde que d’avoir un cœur sans désir. » (Bouddha).
Sacré Bouddha.
Et qu’est-ce qui se passe avec tes autres livres ?
Ils continuent à vivre leur vie. Grâce au fait d’être édité au Livre de Poche, d’abord. Certains ont plusieurs vies, comme La Liste qu’on a vu au cinéma, au théâtre en France, au Canada et bientôt en Belgique. On ne voyait que le bonheur va être créé en Avignon en juillet 2017 avec un acteur fabuleux, et le cinéma rôde autour de ce texte. Enfin, La Première chose qu’on regarde a été acheté par les anglais pour le cinéma.
Enfin, as-tu personnellement dansé au bord de l’abîme ?
Oui. Avec toi. Et nous ne sommes toujours pas tombés.
Extraits de la revue de presse : http://www.editions-jclattes.fr/revue-de-presse-danser-au-bord-de-labime-de-gregoire-delacourt
Une petite radio, en plus : http://www.rtl.fr/culture/arts-spectacles/gregoire-delacourt-publie-danser-au-bord-de-l-abime-7786595659
Je ne résiste pas à l’envie de partager avec vous cette chronique du brillant et facétieux ami, Jean-Fabien : https://jeanfabienauteur.wordpress.com/2017/01/11/la-chute-ca-va-cest-le-sol-qui-est-dur/
Dimanche 25 décembre.
Après l’écrit, il faut être bon à l’oral…
Mercredi 21 décembre.
Le livre existe. Il est ouvert. Il est lu. Il vit déjà sa vie avant même d’être en librairie. Le magazine Lire l’a sélectionné avec trois autres qui « font » la rentrée de janvier. C’est une première grande joie.
Mercredi 14 décembre.
À la demande de nombreux lecteurs, j’ai enfin fait un marque-page.
Je le glisserai moi-même dans votre livre.
Lundi 12 décembre.
J’aime cette phrase, écrite par Charlotte von Essen, éditrice chez Lattès, avec laquelle nous avons travaillé le livre.Au-delà d’en résumer l’enjeu, elle raconte aussi, pour moi, le danger que j’aime à prendre à chaque livre, les risques dans le sujet, dans le style, dans la fracture même de la narration.
Jeudi 8 décembre.
La « quatrième de couverture » est toujours un exercice difficile. Que doit-on dire et surtout ne pas dire ? Comment donner envie du livre en quelques secondes ? Comme ça – peut-être.
Jeudi 1er décembre.
Le livre est arrivé. Je le trouve magnifique.
Commence maintenant la longue séance du Service de presse.
Et la joie d’en lire quelques pages au hasard, comme si je les découvrais pour la première fois.
Lundi 28 novembre.
Une prof de français rencontrée aux Beaux Titres, librairie à Levallois.
La voilà, plus tard, qui anime un atelier d’écriture dans un hôpital psychiatrique. Elle soumet juste le titre de mon prochain livre – juste ces cinq mots.
Et voici ce qu’écrit E*, sans rien savoir du livre. Ça m’a bouleversé.
Mardi 22 novembre.
Et voilà la couverture. Le livre imprimé arrivera dans quelques semaines, quelle joie !
Mercredi 16 novembre.
Après les mots, les images. Il y en aura une très belle sur la couverture. Enfin, un petit bout.
Lundi 14 novembre.
Trois degrés sur Paris et pourtant c’est une agréable douceur qui m’étreint. Le joie de lire des « Secondes » parfaites, de découvrir une pagination élégante, aérée, un corps de lettre qui évitera le port de lunettes de presbyte. Bref.
Les feuilles vont maintenant s’envoler jusqu’à Mayenne où Floch va imprimer le livre. Bientôt, je vous dévoile la couverture.
Mardi 8 novembre.
L’évènement du jour est sans nul doute les élections américaines, mais pour moi, il est aussi la fin des corrections des « Premières » et l’envoi ce matin du texte à la compo. Une ultime relecture dans quelques jours et puis le livre sera imprimé. Il devrait être très beau.
Mercredi 2 novembre.
Les « Premières » sont arrivées avant-hier. Le texte est donc composé tel qu’il apparaîtra sur chacune des pages du livre. C’est, pour moi, l’un des moments les plus émouvants, dans le processus de fabrication. Comme les premières échographies de mes enfants. Tout est là, tout est vivant, mais ce n’est pas encore parmi nous.
Dimanche 2 octobre.
De Brooklyn, où je relis la version définitive du texte.
Dans chacun de mes livres, il y est fait mention d’un livre – sans doute pour les remercier de m’avoir sauvé la vie à un moment où je voulais me sauver de ma vie. Dans celui-ci, c’est celui-ci. Qui est au coeur même du désir irréfrénable, puisque le désir est au coeur du livre.
Jeudi 15 septembre.
Bien qu’aux États-Unis depuis plus d’une semaine, une part de moi est toujours en France. À la gare de Lille pour être précis. Là où, dans le roman, ce qui devait être un point de départ devient une sorte de terminus.
L’écriture s’achève bientôt. C’est un moment toujours bouleversant.
Lundi 29 août.
C’est l’an dernier, au coeur de la campagne anglaise, à la tombée de la nuit, que l’on m’a fait découvrir cet opéra envoûtant, dans une mise en scène très moderne. Le duo Othon-Poppée est l’une des choses les plus belles que j’aie entendu (avec quelques oratorio de Bach, depuis). Bien sûr, cette émotion est dans le livre.
Vendredi 19 août.
J’aime particulièrement ce moment de retravail, dans le processus d’écriture ; l’histoire existe, elle est solide, les personnages ont leur caractère, leurs trajectoires, les émotions sont là, les rebondissements. Vient alors ce moment où c’est l’écriture elle-même qui prend le pouvoir, où des mots s’imposent, raflent tout. Le problème, c’est qu’on pourrait ne jamais s’arrêter.
Samedi 13 août.
J’ai toujours été fasciné par les maximes, proverbes, aphorismes, apophtegmes, adages et autres, sans jamais savoir s’ils étaient un aimable foutage de gueule ou le reflet sincère d’une vision du monde.
Des gens les brodent, ces mots-là, sur des coussins, des couvertures, les gravent parfois sur du bois. Ça me fait rire. Alors, un de mes personnages fait ça. Il grave ses pensées.
Lundi 8 août.
Dans mon prochain livre, je m’interroge aussi sur l’écriture. Dans quels endroits de nos vies prend-t-elle racine ? De quoi se nourrit-elle ? Prolonge-t-elle la vraie vie ? Emma, mon héroïne, va chercher à distinguer ce qui est l’écriture et ce qui est la vie. Un peu comme si l’existence passait, que seule la littérature pouvait en pétrifier l’essence.
Mercredi 3 août.
La maladie est quelque chose qui m’a toujours intéressé. À quoi sert-elle ? Que dit-elle ? Que cimente-t-elle avec les autres ?
La longue agonie de mon père m’avait interrogé et poussé à écrire On ne voyait que le bonheur. Aujourd’hui, d’autres violences foudroient des gens autour de moi. Alors oui, la maladie montrera le bout de son nez dans le livre, et avec elle, des humanités magnifiques – enfin, j’espère.
Vendredi 29 juillet.
Qu’il est difficile de trouver un titre ! Je me souviens que le premier titre pour mon premier livre, et parce que le narrateur s’escrimait à faire des rimes, était « L’Écrivain vain ». Mais, lors de ma toute première discussion téléphonique avec Jean-Louis Fournier (qui venait de lire le texte et le fera publier), il me dit ceci:
– Pas terrible ton titre. Dans ce milieu, on n’aime pas trop les jeux de mots.
Je risquai, penaud :
– L’Écrivain de la famille ?
– Ça, ça va.
Bon, ceci dit, le titre du prochain, je ne l’ai pas encore. Je vais peut-être appeler Jean-Louis.
Lundi 25 juillet 2016.
L’an dernier au Livre sur la Place à Nancy, un lecteur m’offrit des Bergamotes (de Nancy). Je le remerciai et il me dit alors que ce qui lui ferait vraiment plaisir, c’est que je mentionne ces bonbons un jour dans un livre. Je l’ai fait dans celui-ci. Tout comme j’ai mis le prénom d’une lectrice rencontrée à Saint-Paul de Vence, qui me l’avait demandé, et le fait qu’elle aimait Madrid.
Un livre, c’est aussi ces clins d’oeil, ces liens avec ceux que vous croisez et que vous n’oublierez plus.
Mardi 19 juillet 2016.
Ce ballet-là a été une immense claque. Quelque chose d’absolument inattendu. J’ai enfin compris ce besoin qu’ont les corps qui s’aiment de s’entrechoquer, de risquer le vertige. Ce vertige-là, je l’ai mis dans le livre.
Mercredi 13 juillet 2016.
Je n’ai pas assez d’imagination pour inventer des lieux aussi authentiques que les lieux authentiques justement. Dans cette brasserie, à Lille, j’ai bu un demi il y quart de siècle. J’attendais quelqu’un. Je m’en suis souvenu en écrivant. Alors « Les Trois Brasseurs » deviennent un décor pour une scène bouleversante sur l’attente.
Vendredi 8 juillet 2016.
Je bosse, je bosse.