Un été rue des Saints-Pères (6/9). Dans Interiors (1978), de Woody Allen, il y a une scène où deux sœurs, par l’une des fenêtres d’étage regardent la troisième arriver et l’une demande à l’autre où en est la troisième de son art et l’autre répond (de mémoire): Elle en a les affres, mais pas le talent. Ces affres, c’est ce qui très tôt gangrène Oscar Coop-Phane (nom fabriqué par son anglais grand-père Coope, réduit à Coop, auquel il adjoignit Phane, le nom de l’amant de sa femme — page 69) qui décide à l’adolescence de devenir écrivain, lorgne* alors vers Le Feu follet de Drieu et se fabrique un costard digne d’Alain Leroy (sublime Maurice Ronet dans le film), nuits d’ivresses, tout y passe, alcools clairs, dorés, sombres, kétamine, cocaïne, speed, GHB et j’en passe, couche avec toutes les filles qui passent, n’en reconnait pas certaines une heure après le coup de reins, accouche de trois romans refusés, cherche la femme de sa vie comme une aiguille dans une botte de foin et finit par pondre un premier roman** à 24 ans, Prix de Flore, et voilà enfin le talent, contrairement à cette pauvre sœur dans le film d’Allen. Le vrai talent. Celui d’un authentique écrivain, même si écrire ne nourrit pas son homme ni la femme de sa vie ni leur fille. Mais ça nourrit les affres.
Morceaux cachés d’une chose*** est un très beau livre sur une idée fixe, « le sentiment de ne jamais pouvoir libérer son esprit d’une obsession » (page 145), laquelle nous a donné ce formidable écrivain. Il n’a que 33 ans. Et c’est sacrément excitant de penser à tous les livres qu’il lui reste à écrire, et nous à découvrir.
*«J’avais commencé à penser à une réécriture du Feu follet, puis plus rien » (page 39).
**Zénith-Hôtel, d’Oscar Coop-Phane. Éditions Finitude (2012).
***Morceaux cassés d’une chose, chez Grasset, éditeur sis rue des Saints-Pères à Paris. En librairie depuis le 15 janvier 2020.