C’est en rentrant d’une rencontre au Furet du Nord à Lille, alors que nous parlions de ces livres coup de poing qui nous marquent à vie, que Florence Mas – épatante directrice commerciale du Livre de Poche –, m’évoqua l’uppercut que lui avait flanqué « Cinq matins de trop* ».
L’histoire d’un certain John Grant, instituteur dans l’Outback, qui doit se rendre à Sydney. Il a une nuit à passer dans la petite ville de Bundanyabba. « Tout le monde aime Yabba. Meilleure ville d’Australie » (dit un chauffeur de taxi, page 34).
Mais voilà.
À Yabba, on aime la bière fraîche, la bière tiède, la bière chaude, la bière avec le whisky et le whisky avec n’importe quoi, on aime les mélanges, on aime un fascinant jeu de pile ou face qui rend fou, on aime, la nuit, à la lumière des phares, massacrer des kangourous, « Doc leur mange le scrotum. Il dit que c’est c’qui y a de meilleur dans le ‘roo », (page 120) ; c’est une ville de fin du monde, comme celle de Darwin, où échouait Nick, le héros de « Cul-de-Sac** », Nick qui n’aurait jamais du écraser un kangourou et suivre la jeune Angie ; une ville où l’on s’ennuie et, on le sait pourtant bien, l’ennui est le moins bon conseiller qui soit.
Il fait très chaud à Yabba. Et John Grant accepte une première bière…
« Cinq matins de trop » est un roman noir, très noir, nauséeux, désespéré, comme ces chants qu’on entend dans les trains qui sillonnent cet interminable continent brûlant.
Il raconte la chute vertigineuse d’un homme, avec ce moment d’espoir fragile où l’on croit que le sol va enfin nous arrêter, mais on passe soudain au travers, comme au travers d’une verrière, et l’on se retrouve de l’autre côté, là où on ne sait plus qui on est, là où on se perd pour de vrai et où il est urgent de mettre fin au désastre de soi.
À côté de ce genre de biture, Very Bad Trip, c’est de la limonade.
*Cinq matins de trop, de Kenneth Cook. Éditions Le Livre de Poche, à nouveau en librairie depuis mai 2010. Et au cinéma sous le titre Wake in Fright, (« Réveil dans la terreur ») réalisé par Ted Kotcheff en 1971.
**Cul-de-Sac, de Douglas Kennedy. Éditions Gallimard, Série Noire, 1997.