Il m’a été curieux de lire ce livre au moment même où, en Ukraine, en Israël et ailleurs, les uns massacrent allègrement les autres, de découvrir ce livre à l’étrange beauté, Impossibles adieux*, qui évoque la tuerie, par le gouvernement coréen, de 30.000 personnes, hommes, femmes, enfants, sur l’île de Jeju en 1948, soupçonnés qu’ils étaient d’être communistes. Il faut décidément bien peu de soupçons pour tuer un homme.
Han Kang (Man Booker Prize 2016), dont on dit qu’elle est la plus grande voix coréenne, nous livre ici un texte d’une beauté de neige et de feu où la grâce de la poésie le dispute à l’horreur de la chose enfouie ; ici tout est mystères et apparences, un oiseau revit plusieurs fois, des mots ressuscitent dans la mémoire gelée, la parole se fait flocon, fond, redevient source ; l’écriture est virtuose et lente, elle est de la famille de ces musiques qui finissent pas vous posséder si vous acceptez enfin de lâcher prise et de croire qu’on peut croire à l’incroyable.
*Impossibles adieux, de Han Kang, traduit du coréen par Kyugran Choi et Pierre Bisiou. Éditions Grasset, coll En lettres d’ancre. En librairie depuis le 23 août 2023. Pris Médicis Étranger 2023.