Salon du livre de Nice, début juin 2019. A l’heure du déjeuner, nous nous retrouvons dans un restaurant sur la plage. Il y a de longues tables, face à la mer. Chacun s’installe où il veut. Soudain, j’entends une voix que je ne connais pas. Douce. Presque délicate. Je regarde de quel visage elle vient et il me semble le reconnaître alors que je ne le connais pas. Nous nous présentons, échangeons nos prénoms et je devine que c’est elle. Elle ressemble à ses livres*. Elle en incarne la beauté grave. Et quand elle sourit, ce sont tous les livres qu’elle semble faire danser. Elle est rare. Et furieusement douée. Je suis extrêmement heureux qu’elle ait accepté de nous confier l’un de ses coups de cœur. Merci Laurence.
Ah ! Comme je suis reconnaissante à Grégoire Delacourt de me donner un espace pour parler de ce livre**, dire à quel point sa lecture a provoqué un tremblement intérieur en moi, qui depuis ne m’a jamais quittée. Et ils sont rares, ces textes qui, une fois lus, ne nous quittent plus, demeurant comme des puits de lumière au-dedans de nous, des pulsations de vie, des espaces imaginaires auxquels nous pouvons revenir nous amarrer et reprendre notre souffle, retrouver du sens, nous souvenir de la joie. Alors, voilà. Pas envie de vous raconter l’histoire. Vous dire simplement que ça commence avec le monologue intérieur d’une vieille femme qui vit ses derniers jours et se demande comment, à présent qu’elle est si faible, elle pourrait atteindre la fenêtre de sa chambre, c’est traversé tout du long par l’image poignante d’un lac près d’un kibboutz, lac qui aujourd’hui n’existe plus et a marqué à jamais une enfance, la vieille femme a deux enfants, un garçon et une fille, qu’elle n’a jamais su aimer de la même façon et c’est obsédant de questionnements sur la famille, sur l’amour filial, la difficulté à aimer, l’usure du quotidien, l’appel du vertige, enfin ça s’achève sur une des plus belles scènes que j’ai jamais lues, qui a changé quelque chose en moi dans mon rapport au monde, aux autres, à l’enfance, à la liberté, et qui me hante encore, scène que je ne vous raconterai pas mais qui parle d’adoption, qui raconte un sursaut de vie envers et contre tout – le tout porté par une langue lyrique somptueuse, affutée et ample, une langue qui fait entendre le souffle des vies de chacun des personnages, et qui est à ce point juste qu’elle fait aussi – et c’est bien la puissance de la littérature, non ? – entendre le souffle de nos vies à chacun. Oui, je dis bien : le souffle de nos vies. Ce qui bat en nous, là, en secret, qu’on soit homme, femme ou enfant – qu’on soit simplement vivant. Lisez ce texte, oh lisez ce texte, que je porte encore dans mon cœur, dans mon corps.
*Dernier livre paru : Nous aurons été vivants, aux éditions Stock. En librairie depuis le 2 février 2019.
**Ce qui reste de nos vies, de Zeruya Shalev. Éditions Gallimard, « Du monde entier ». Sorti le 4 septembre 2014