Prenez un petit gars des Vosges, pas le plus fort, pas le plus solide, choisissez-le sans diaphragme par exemple, une rareté, faites-lui faire mille opérations pour survivre, regardez-le fusionner avec sa grand-mère, se refaire une santé à son amour, retrouver le mot sourire, puis le sourire lui-même, prenez-le un peu cancre et inattentif, laissez-le mariner dans la grisaille du monde, faites-le commencer à bosser vers 11 ans dans la cuisine de son père, rendre une copie blanche au brevet des collèges, déviez-le vers un lycée hôtelier, qu’il devienne apprenti, se frotte à l’exigence d’un Marc Veyrat, sortez lui un drame du chapeau, le suicide de son demi-frère par exemple, ou la mort de sa grand-mère bien aimée, regardez-le pleurer mais ne jamais s’effondrer, se relever à chaque fois, continuer à croire en la beauté des choses, faites-lui rencontrer une femme qu’il aimera comme un fou et lui fera pousser des ailes, écoutez-le dire qu’il aime à transformer le négatif en positif, demandez-lui de vous montrer ses tatouages, ces histoires en noir et blanc qui recouvrent ses douleurs et racontent ses rêves, arrangez-vous pour qu’il ne gagne pas la Coupe du Monde de pâtisserie en 2009 et garde malgré tout toujours la foi et la joie, faites-le travailler dans les restaurants étoilés, à Paris, à Monaco, puis installez-le à Èze, sur la Méditerranée, à La Chèvre d’Or, confiez-lui les clés du Royaume et vous comprendrez finalement pourquoi il a choisi le sucré comme antidote au malheur, le sucré comme miel sur le cœur du monde et qu’il en est devenu le Roi.
*Julien Dugourd, Mes pâtisseries, mon parcours, ma résilience. De Julien Dugourd avec Leslie Gogois (textes) et Philippe Vaurès Santamaria (photos). Éditions de la Martinière. En librairie et dans toute cuisine qui se respecte depuis le 18 novembre 2021.