Après le très joyeux L’Écrivain National*, Serge Joncour revient avec une histoire d’amour**. Elle met en scène Ludovic le géant (un mètre quatre-vingt-quinze, cent deux kilos), veuf, ex-agriculteur reconverti en homme de main pour le compte d’une société de recouvrement, et Aurore la fluette, styliste à la mode, mariée, deux enfants. Les deux habitent le même improbable immeuble où, d’un côté sont les grands appartements riches et bourgeois, de l’autre, les studios petits, humides, sans soleil. Entre les deux, une cour (des miracles) où poussent quelques arbustes, un potager aimable, des plantes aromatiques, mais où surtout ont établi campement des dizaines de gros corbeaux menaçants qui effraient la belle Aurore. C’est sans compter sur la force joncourienne de Ludovic qui, d’une pierre deux coups, les plume sans préavis et fait s’ouvrir sur lui les yeux de l’inaccessible voisine. Bref, tout est en place pour la romance.
Je ne vous dévoilerai pas la trame romanesque, les trajectoires professionnelles des deux personnages, qui sont le corps même du roman, le lieu où ils se rencontrent et non pas, curieusement, dans un lieu d’amour, comme aurait dit Marguerite Duras, parce que leur histoire d’amour est justement constituée, tracée, par ces évènements qui leur échappe. Et leur rapprochement tient, comme dans ces vieux Hitchcock, de ce qu’il leur permet d’affronter les méchancetés du monde. Car, in fine, écrit Serge : « C’est un choix démesuré de quitter la personne avec qui on vit, avec qui on est installé depuis des années, avec qui on a des enfants, c’est une décision impossible à prendre, parce qu’elle ouvre sur trop d’abîmes… ».
Aurore, l’exact contraire d’Emma, dans Danser au bord de l’abîme. Ce qui m’a rendu cette lecture passionnante.
*L’Écrivain National. Éditions Flammarion, en librairie depuis 27 août 2014. Prix des Deux Magots 2015.
**Repose-toi sur moi. Éditions Flammarion. En librairie depuis le 17 août 2016. Prix Interallié 2016.