Il y a des livres qu’on n’aime pas lire en même temps que tout le monde, histoire de rester étanche aux avis, louanges et autres critiques. Ainsi cet Enragé* de Sorj Chalandon, grand succès de l’automne dernier, qui a attendu de longs mois sur ma pile que passent le tourbillon de la Rentrée littéraire et les escobarderies de la Grande Foire aux Prix.
Après des romans de journaliste, après un texte plus burlesque qui lui permettait d’évoquer les cancers de sa femme et le sien, voici un roman furieusement romanesque (même si son propos s’inspire d’évènements réels) dans la lignée des Aventures de Huckleberry Finn et des grands films du dimanche après-midi dans les années 80 : un roman de scénariste qui met en scène l’évasion d’une cinquantaine d’enfants d’une colonie pénitentiaire de Belle-Île -en-Mer. Tous serons repris sauf un. Et c’est celui-là, homonyme de Jules Bonnot, mais ça s’écrit pas pareil, dit-il, dont on suit les aventures.
Le voilà recueilli par un marin sympa qui le fait passer pour son neveu. Le voilà à apprivoiser sa rage à bord d’un canot de pêche les jours de sortie en mer. Le voilà à fréquenter puis fuir des extrémistes de droite. Le voilà enfin à venger son ami de colonie avant de disparaître sur le continent où la guerre l’attendra de balle ferme.
Il aura entretemps été touché par une forme de rédemption, de salut, comme dans les grands drames humanistes de Gilbert Cesbron — C’est Mozart qu’on assassine ou Chiens perdus sans collier.
Paradoxalement, avec L’Enragé, Sorj signe son livre le plus doux, le plus sage. Presqu’un feel bad good. Pour preuve, cette jolie phrase, page 306 : « Ne vous moquez jamais d’un poète, ça vous fait trop ressembler à un gendarme ».
*L’Enragé, de Sorj Chalandon. Aux éditions Grasset. En librairie depuis le 16 août 2023.