Je n’avais jamais lu un livre aussi lentement. Sans doute est-ce parce qu’il est le dernier, qu’il n’y en aura plus jamais, à moins qu’on ne découvre, enfoui quelque part au Mozambique où il aimait à vivre, à y faire jaillir la joie par le théâtre, un ultime manuscrit. Mais je n’y crois pas. Henning Mankell est mort le 5 octobre 2015 à Göteborg d’une saloperie de cancer, qu’il raconte dans le crépusculaire Sable Mouvant –Fragment de ma vie, son avant dernier texte.
Les Bottes Suédoises* est un roman magnifique et lent. Un livre dans lequel il savoure le temps, dans lequel il le mâche presque, comme s’il cherchait à en extraire toutes les saveurs dernières, à le retenir un jour encore, une heure encore, le temps d’un dernier frisson de vie, un ultime vertige.
Voici donc l’histoire de Fredrik Welin, médecin retraité qui vit sur une minuscule île de la Baltique. Lorsque commence le récit, sa maison brûle, il échappe de justesse aux flammes et regarde sa vie se consumer, les cendres danser, emportant avec elles tout ce qui fut de lui. C’est l’hiver. Le froid gagne. Ce feu, c’est celui qui dévore Mankell (il achève ce texte sept mois avant sa mort), un feu vif et joyeux dans les flammes duquel, il raconte ses amours perdues, ces femmes aimées, mal aimées et ratées jusqu’à cette ultime, journaliste qui écrit un article sur l’incendie, une femme beaucoup plus jeune que lui, une dernière tentation, une dernière espérance, comme si la jeunesse pouvait prolonger la vie, lui redonner une inestimable saveur. Jusqu’au bout, le goût de la vie est plus fort que tout, et des cendres mortes jaillissent d’autres lueurs. C’est là le flamboyant testament de Mankell.
Putain, il va nous manquer.
*Les Bottes Suédoises, de Henning Mankell. Éditions du Seuil. En librairie depuis le 18 août 2016.