L’Internationale, nouvelles paroles.

Lire au temps du virus. On parle beaucoup des premières lignes. L’armée des discrets. Les chauffeurs. Les caissières. Les infirmières. Les agriculteurs. Les livreurs. Tous ceux qu’on ne voit jamais. Soudain, ils deviennent les indispensables. Alors lire l’histoire d’un gars qui bosse en usine, trie les crevettes, fait de l’intérim dans un abattoir, ça remet les choses en place. Surtout quand on est confiné dans un canapé.

Voici un texte* qui,
comme Charlotte de David Foenkinos ou
Les Chardons de Flavie Flament
s’écrit avec retour
à la ligne
dépouillant ainsi l’écriture
de tous ses poux
avaries
vilenies
pitreries
ne se concentre que sur l’essentiel
ici même
la vie de Joseph Ponthus auteur
équarisseur nettoyeur trieur
en usines de crevettes de tofu langoustes poissons panés
poissons pas nets
ouvrier intérimaire qui décrit les souffrances de son corps dans le corps de l’usine le ventre de l’usine le cœur de l’usine entre pause café clope blagues salaces chagrins odeurs corporelles
et revient sans cesse
à la ligne
comme on revient au port
au porc
pour s’accrocher aux mots des autres des chansons Barbara Trénet
Trenet surtout
et les poètes Apollinaire Aragon Ferré ah Ferré Poètes vos papiers
et l’auteur usine la nuit épuisé ses mots comme on sarcle comme on bine comme on croit que la culture peut sauver de toutes les conditions humaines ah la condition humaine le point du jour le travail de nuit les heures sup la soupe le crachin et l’espérance immense d’être par la connaissance sauvé
à la ligne
c’est le chant du désespoir nourri à l’espoir
comme le poulet au grain
un texte inoubliable déjà
qui dessine un auteur libre
un homme fier
un affranchi
affranchi de tout
qui chaque fois
à la ligne
retourne
et fait les lendemains chanter et son chien Pok Pok sautiller de joie et son épouse d’amour d’amour mourir et nous lecteurs vivre plus fort
enfin

*À la ligne – Feuillets d’usine, de Joseph Ponthus. Éditions La Table Ronde. En librairie depuis le 22 septembre 2019. Grand Prix RTL/Lire. Prix Régine Deforges. Prix Jean Amila-Meckert. Prix du Premier Roman des lecteurs de la ville de Paris. Prix de la librairie Coiffard. Prix Eugène Dabit du roman populiste.