C’était à Morges en septembre dernier, face au lac Léman – un endroit de rêve pour un salon du livre. Il n’a pas osé tout de suite, et avec un peu de temps, l’apprivoisement, dont parlait Saint-Ex, il est venu. Il m’a dit qu’il appréciait mes livres, ce qui m’a fait extrêmement plaisir, vous vous en doutez, et il m’a tendu le sien*. Ça serait important pour moi si vous pouviez le lire, a-t-il dit, oui, important. Moi aussi, je n’ai pas osé tout de suite. J’ai laissé le livre là, sur ma table. Je l’ai emporté parfois dans un train, un hôtel. J’attendais. Je ne voulais pas le lire trop vite puisque c’était important pour lui. Lorsque j’ai enfin été prêt, j’ai lu son livre. D’une traite. J’ai été bousculé par son écriture puissante, ses mots qui cognent les choses, comme des colères, des impuissances ; emporté par cette histoire qui s’assemble comme un puzzle et révèle certaines insoutenables noirceurs dont sont capables les hommes en nous renvoyant à nos propres limites ; groggy par une enquête (policière) à laquelle je ne m’attendais pas et qui restera là, comme un caillou au fond d’une poche et dont le poids léger me rappellera toujours à quel point j’ai, et nous, avons la chance d’être passé entre les gouttes de l’horreur. Alors je lui ai dit que son livre avait été important pour moi.
*Le Pas de l’éléphant, de Pierre Crevoisier. Éditions Slatkine, Genève. Sorti le 1er février 2017.