Je me souviens de cette injonction terrifiante dans Michel Strogoff, ce moment où un méchant s’apprête à l’aveugler sous le regard de sa mère, avec la lame incandescente d’un sabre. Strogoff regarde une dernière fois sa mère et pleure. Et voilà que les larmes le protègent de l’aveuglement. Du noir total.
Chez Françoise Grard, c’est une fort mauvaise vue depuis l’enfance qui la handicape dans sa perception du monde, et davantage encore dans la façon dont le monde la perçoit. Elle voit mal, on le voit bien, on la raille, la montre du doigt, ses yeux se croisent, on ne sait lequel regarder, et contre mauvaise fortune bon cœur, la voilà qui tente de grandir à la vie, s’y frayer une place, entre ombres et lumières.
Mais un 5 septembre, tout s’obscurcit. Le voile sur ses yeux s’est épaissi. Soudain, dans la rue, dans la clarté de la ville, elle n’y voit plus. Panique. Hôpital. Opération en urgence. Espérance qu’un filet de lumière revienne un jour taper dans l’œil. L’attente. L’attente interminable.
C’est cette obscurité que raconte Françoise Grard dans son dernier livre, Et le jour sera pour moi comme la nuit*, toutes ces choses qui s’effacent et que l’on croyait pérennes, les mots qu’on ne parvient plus à écrire sur une page que les doigts cherchent à délimiter, l’autre qu’on ne voit plus, les voix qui n’ont plus de visage, la nuit qui s’installe et recèle toutes les frayeurs de l’enfance. Un récit lumineux.
*Et le jour sera pour moi comme la nuit, de Françoise Grard. Aux éditions Maurice Nadeau. En librairie depuis le 17 février 2023.