Dans le petit Embraer ERJ-135 qui relie Martha’s Vineyard à New York en gigotant, et m’arrache au calme, au contemplatif de l’île, pour me plonger dans l’énergie sans fin, dans les vertigineuses verticales, je lis ce livre* d’amour immense et fou.
Celui d’une mère, forcément.
Et de la naissance d’un fils.
« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » prédit la mère à son fils. En fait, bien plus que son fils, il est son œuvre, son destin. Elle en fera un homme fier, chic, français, qui ne lèvera pas le petit doigt en buvant son thé (c’est une faute), qui s’habillera à Londres, et qui devra être prêt à rentrer sur un brancard s’il le faut parce qu’un gugusse aura manqué de respect à sa mère ; un homme qui changera le monde, qui gagnera la guerre, accouchera d’une œuvre littéraire, et fera carrière dans la Carrière, un homme qui l’aimera toujours – elle. Ce fils sera ce feu qui la fera vivre, qui la maintiendra debout, mais finira tout de même par la consumer.
La Promesse de l’aube est une histoire vraie d’amour fou, une histoire de lien secret, indestructible, entre deux êtres du même sang. L’histoire d’une mère qui protège son enfant, au-delà des mers, au-delà du mal, et même dans l’Au-delà.
Avant de mourir, elle écrira deux cent cinquante lettres à son fils, dont elle chargera une amie de les lui expédier sur le front pour qu’il ne sache pas qu’elle est morte. Ce sont ces lettres, entre autres, qui feront de Roman Kacew Romain Gary.
Un fils immense.
Nous partageons, lui et moi le même chagrin. Celui de ne pas avoir eu le temps d’apprendre à nos mères que nous avions réussi un livre.
*La Promesse de l’aube, Romain Gary. Éditions Folio.