Voici un roman* tragique. Non pas parce qu’il commence par la fin et se déroule en un grand flashback jusqu’au début, mais parce qu’il raconte une vie dont on n’imagine pas au début qu’elle soit celle-ci à la fin. Car c’est à la fin, donc au début, que l’histoire est belle. Comme toujours les rencontres.
On est en 1955. Jules a 22 ans et tombe, le jour de son mariage, fou amoureux de l’amie de sa femme. Bien sûr, il écoutera son cœur, quittera sa jeune épousée et vivra soixante ans auprès de l’autre. La première tragédie donc, c’est que l’amour se fasse sur le dos d’une autre. La seconde, et qui hante tout le roman comme un fantôme, un obsédant acouphène, c’est que la vie que vit ce couple est bien loin de l’amoureuse violence du début et bascule, sombre même, dans une vie ordinaire, presque conforme, à la limite ennuyeuse, qui se maintient parfois, quand ce n’est pas à l’aide d’un psy, grâce la réminiscence des débuts, comme si le début justement justifiait la fin. Et c’est là, je trouve, toute l’audace tragique de ce roman vif, découenné : déconstruire le couple en donnant l’impression qu’il se construit.
Il y a au début d’eux, donc à la fin du livre (page 162), une phrase absolument magnifique : Ils font l’amour, et l’amour les fait.
Et le couple les défit.
*Un couple, de Éliette Abécassis, aux éditions Grasset. En librairie depuis le 29 mars 2023.